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Rappel du contexte : le Dimanche 24 octobre, Jean FABRE, Préfet de Guadeloupe est l’invité du journal de 19h30 sur RFO Guadeloupe. Il est interrogé sur la mobilisation à venir du 26 octobre. Lundi 25 octobre, Elie DOMOTA est l’invité de RFO Radio à 18h00. Mardi 25 octobre, au soir de la manifestation qui a réuni plus de 20 000 manifestants, RFO rouvre ses antennes, mais surtout son JT avec Elie DOMOTA en invité. Le mercredi 26 octobre, Le Préfet FABRE et Jacques GILLOT, réagissent à l’interview de la veille. Depuis, silence radio.
Lettre ouverte au Préfet Jean FABRE, et à ses fantômes
Notre propos est d’interroger les deux interventions du préfet. Car, après avoir revêtu l’uniforme colonial de représentant de l’ordre le dimanche soir, il a choisi, trois jours plus tard, d’enfiler le costume de l’Homme blessé et révolté au plus haut point par les déclarations du porte-parole du LKP.
Commençons donc par le début : l’interview du préfet, le dimanche 24.10.2010, en direct sur RFO Télé Guadeloupe.
En réponse à la question du journaliste Jérome BOECASSE, « Quelle va être l’attitude de l’Etat par rapport à ce mouvement mardi ? On a l’impression d’ailleurs, que dans l’hexagone actuellement, il y a une certaine forme de tolérance par rapport aux différents mouvements »…
Jean FABRE déclare : « La Guadeloupe a sa propre originalité. Il ya ce qui se passe dans l’Hexagone et ce qui peut se passer en Guadeloupe. On fera en sorte que tout ce qui n’est pas légal dans ces protestations soit sévèrement sanctionné ».
« Originalité » : Dérivé de « orior » (« naitre »), du latin õrigō, õrigĭnis (« origine, provenance, naissance »).
En prononçant ce mot, le Préfet FABRE marque une distinction claire entre la Guadeloupe et la France, lors même qu’il martèle depuis le début de l’interview le caractère républicain et démocratique de la Guadeloupe ; sous-entendu, de par son appartenance à la France.
Contrairement à cette dernière, où des manifestants défilent par millions depuis plusieurs semaines, la Guadeloupe mériterait donc un traitement original, alors même que rien ne s’y passe…
Car, a-t-on vu des hélicoptères survoler dès 6 heures du matin, les raffineries de pétrole pourtant bloquées par des grévistes ? Ou vu un quadrillage policier et militaire de zones industrielles avant même le début du mouvement de grève contre la réforme des retraites.
En fait, ce n’est pas tant « la Guadeloupe » mais les guadeloupéens, qui méritent un traitement différent, « original ». Serait-ce alors en raison de nos « origines », de notre « provenance », de notre (lieu de) « naissance » ? Bref, de tout ce qui fonde notre « originalité ».
Notons, au passage, que ce même raisonnement et ce même type de traitement avait abouti aux massacres des 26 & 27 mai 1967 ordonnés par son prédécesseur Pierre BOLOTTE, lequel avait donné pour consigne à la troupe de « tirer sur tout ce qui est noir ou qui tire ses origines de cette couleur ». Puisqu’il pouvait s’y passer quelque chose...
Jean FABRE a-t-il seulement pensé cette catégorisation – et au traitement original qu’il entendait nous réserver - sur le plateau du journal de RFO ?
Tout porte à croire que non : les violences contre Maître Sarah ARISTIDE et des syndicalistes 48 heures auparavant, les attaques aux lacrymogènes des manifestants le 13 octobre 2010 devant le Conseil Général et, plus largement, les poursuites et condamnations de syndicalistes, singulièrement ceux de l’UGTG, démontrent s’il en était besoin, que l’ « originalité » dont parle le préfet est autre.
Ce n’est pas celle de la beauté d’une île aux belles eaux, empoisonnées par les descendants esclavagistes, avec la bénédiction de l’Etat et la complicité de ses institutions ; aujourd’hui protégés par les obstructions judiciaires visant à empêcher la manifestation de la vérité et la poursuite des auteurs de cet empoisonnement de masse.
Ce n’est pas non plus celle des ses traditions culinaires et folkloriques : ti punch/CRS, accras/boudin, colombo/court-bouillon, tambour/biguine, et belles doudous en madras-colliers-choux rimant langoureusement devant quelques touristes français libidineux qui - certes - les auraient préféré bien plus jeunes et bien moins revendicatrices.
Il ne fait pas non plus référence - sauf à assimiler mouvement social et délinquance… - aux incivilités, aux violences et aux actes quotidiens de délinquance qui ravagent ce pays. Car, tous les guadeloupéens ont déjà noté que les violences quotidiennes, les agressions, les crimes et délits, les accidents de la route ne sont nullement endigués - bien au contraire !- par le déploiement exponentiel dans ce pays de manblos et de forces policières.
Tout simplement, parce que les raisons de leur présence sont autres : Casser du guadeloupéen, casser toutes celles et ceux qui refusent le système de pwofitasyon colonial et capitaliste. Seul mot d’ordre : Terroriser !
L’originalité dont parle le Préfet Jean FABRE et dont il entend nous défaire, n’est autre que la lutte séculaire de notre peuple pour sa liberté : d’abord, celle des premiers esclaves et des premiers Mawons qui se sont révoltés contre le système esclavagiste ; celle aussi des combattants de la période 1801-1802 ; celle toujours des premières Sosyété et Nasyon qui se sont secrètement développées ; celle encore des premiers mutualistes et syndicalistes ; celle enfin des jeunes, des ouvriers et employés, des artisans et des travailleurs indépendants luttant depuis contre la domination coloniale et capitaliste.
Et pourtant, le mercredi 27 octobre 2010, toujours au journal du soir de RFO Télé Guadeloupe, c’est le même Jean FABRE, interrogé plus tôt dans son bureau à la préfecture, qu’on retrouve. Mais cette fois, complètement métamorphosé.
Lui qui parlait sans sourciller de notre « originalité » censée justifier que « tout ce qui n’est pas légal dans ces protestations soit sévèrement sanctionné », y apparait ulcéré par des propos qu’il qualifie de « vils et abjects » (ceux d’Elie DOMOTA, pas les siens...) ; convoque la mémoire de son père ; nous assure qu’il a eu à souffrir du racisme, invoque sa lutte qui gagnerait à être connue en Guadeloupe contre le racisme…
Pour, à la fin de cette longue tirade humaniste, se faire très menaçant… Une sombre habitude chez cet individu.
En fait, à voir et à écouter Jean FABRE pérorer et menacer le dimanche 24, puis larmoyer et éructer le mercredi 25 octobre, notre sentiment commun est que cet individu ne sait plus qui il est. Un Préfet, chargé de conduire la politique répressive de l’Etat dans la colonie Guadeloupe, ou un Homme, cet un humaniste antiraciste qu’il a dépeint.
Explications :
Pris au dépourvu par la force des arguments et des exemples fournis la veille par Elie DOMOTA ;
Déstabilisé par la réussite de la manifestation et la détermination des Guadeloupéens à rester mobilisés ;
Désemparé par l’intelligence des dirigeants de LKP face au déploiement de la machine de guerre de l’Etat colonial ;
Lâché par une sous-ministre des colonies en villégiature aux îles CANARIES, quand son « département préféré » est menacé d’une nouvelle crise sociale et politique ;
Lâché aussi par ses habituels larbins : les chefs de meute anti-LKP et leurs quelques fantoches qui avaient misé sur l’échec de la mobilisation et enterré LKP avant Toussaint ;
Lâché également par RFO qui a fermé ses antennes toute la journée du mardi 26 octobre, avant de les ré-ouvrir le soir pour donner la parole à… Elie DOMOTA ;
Lâché même par France Antilles qui a tourné en dérision les chiffres officiels avancés par la préfecture ;
A bout de mensonges quant au respect par l’Etat de ses engagements, totalement décrédibilisé…
… Il n’a fait que changer de tactique et tenté de s’ériger en victime de propos diffamants portant atteinte à sa fonction, à sa personne, à son histoire, et à l’honneur de son père. Tout en laissant planer la menace de poursuites professionnelles, voire des suites judiciaires… Bel exemple de sang-froid et belle leçon de courage.
Le Préfet est donc aussi un « Homme »…, nous dit Jean FABRE en substance et au bord des larmes…
Nous en convenons, Monsieur FABRE, ce cri du cœur aurait pu être tout à votre honneur. Mais hélas, si comme tout être humain vous êtes digne de (notre) respect, nous sommes cependant au regret de vous affirmer que si vous êtes bien « un Homme » (pris comme tout individu adulte de sexe masculin), à nos yeux ou pa Nonm ! Et cela, malgré tous vos galons, malgré tous vos manblos, malgré tous vos juges…
Car si vous l’étiez vous n’auriez pas une nouvelle fois brandi la menace de sanctions et de poursuites qui seront conduites par les services et institutions de l’Etat que vous servez dans cette colonie. Et qui ne sauraient vous désavouer…
Car si vous l’étiez vraiment, à l’instar des dirigeants du LKP et de son porte-parole, vous n’auriez pas adopté ce ton larmoyant et fui le débat social, économique et politique auquel il vous conviait, pour trouver refuge dans un champ émotionnel et compassionnel ;
Car si vous l’étiez vraiment, vous n’auriez pas fui vos responsabilités de préfet en occultant sciemment les questions relevant de vos prérogatives premières ; pour nous brandir - avant la moindre manifestation - le sceptre de la peur et répression.
Car si vous l’étiez vraiment, c’est muni d’un véritable dossier, prouvant que vous et vos services avez véritablement respecté les engagements en 165 points signés le 4 mars 2010, que vous vous seriez présenté sur le plateau de RFO Télé Guadeloupe le dimanche 24 octobre 2010, à 19H30.
Et non pas avec cette vulgaire feuille de papier vierge plié en quatre, tirée de la poche intérieure de votre veste, censée être la copie d’un texte où « les syndicats eux-mêmes sur leur site internet se félicitent que leurs revendications du 4 mars aient pu aboutir ».
Sans vous en rendre compte, vous avez ce soir là apporté - en direct ! - la preuve de vos propres mensonges et d’une double incompétence : la votre et celle de votre garde rapprochée, réduits à utiliser le « site internet des syndicats » (sic) comme argument ultime quant à l’inutilité de la manifestation à venir et de la réunion de la commission de suivi des accords… Puisque tout est réglé, assuriez-vous. Et comme nous sommes Gros-Jean comme devant, dirions-nous.
Jean FABRE, vous n’êtes même pas ce démocrate, républicain et humaniste, que vous prétendez être. Vous n’êtes qu’un individu agité dont l’indignation est à géométrie variable :
Quand sur des sites internet, certains de vos compatriotes appellent à brûler vif Elie DOMOTA, le traitent de nazi et d’Hitler… on aurait aussi aimé vous entendre dénoncer et poursuivre ces écrits et cris de haine, ne serait-ce qu’avec la même émotion feinte.
Quand, en direct sur France 2, Jean-Paul GUERLAIN affirme ne pas savoir « si les nègres ont toujours tellement travaillé »… on aurait aussi aimé vous voir convoquer la presse pour vous en indigner.
Quand, la direction du groupe LANGLEY de l’hôtel Fort-Royal à Deshaies refuse d’embaucher des salariés guadeloupéens, on aurait aimé vous savoir aussi révolté et déterminé à combattre cette forme de racisme.
Quand vous êtes interpellé par une avocate sur la possible existence d’un fichier illégal de ressortissants d’Haïti, on aurait aimé vous voir agir ; ou encore vous voir agir pour que les services que vous dirigez aient les moyens de recevoir les mêmes ressortissants Haïtiens puissent être reçues dans des conditions respectueuses de la dignité humaine.
Quand la cartographie des emplois dans les administrations, services et autres institutions de l’Etat et des grandes entreprises jure tant avec la sociologie de l’immense majorité de la population de Guadeloupe, on aurait aimé vous entendre au moins vous interroger, comme jadis Yves JEGO.
Cette lettre ouverte, est d’abord destinée aux guadeloupéens qui refusent d’être pris pour des dupes et de céder au chantage, à la culpabilisation et à la campagne de terreur que vous êtes chargé de conduire pour le compte de l’Etat et des pwofitan. Elle s’adresse aussi à l’individu que vous êtes… et à tous ses fantômes :
Ceux liés à vos origines et aux drames de votre histoire personnelle, auxquels nous sommes totalement étrangers. Nous vous rappelons simplement que de 1940 à 1945, des centaines de guadeloupéens ont fait le choix de refuser l’ordre et la légalité - que vous vous targuez aujourd’hui de représenter, pour le compte du même Etat - pour rentrer en résistance.
Ceux de Sarkozy et d’Hortefeux, de par vos fonctions de représentant d’un Etat policier menant une politique ouvertement xénophobe et raciste. Nous vous rappelons simplement que la Mémoire des vôtres devrait s’accommoder assez mal de cette politique menée tant en France qu’en Guadeloupe. Manifestement, vous avez fait le choix de la trahir pour rester Préfet. Nous n’y sommes, hélas, pour rien.
Fantômes enfin de ces dizaines de milliers de guadeloupéens réclamant - pacifistes et dignes - justice sociale et respect des engagements. Et qui ressemblent tant à ceux que votre prédécesseur a fait massacrer en mai 1967.
En cette période de Toussaint, nous compatissons certes à vos cauchemars, mais ne vous plaignons point. Car vous l’ignorez peut-être, « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans ».
Vos gesticulations du mercredi soir ne feront pas oublier votre mépris, vos mensonges et vos menaces du dimanche soir. Et le fait de promettre - au nom de sa prétendue « originalité » - à une catégorie entière de la population la trique pour « tout ce qui n’est pas légal » relève bien du racisme. Car dans aucune région de France (ou de « l’Hexagone » pour reprendre vos propres termes) vous ne l’auriez ni pensé, ni dit, ni fait.
Inutile donc de vous raccrocher à deux mots prononcés par Elie DOMOTA comme à une bouée de sauvetage.
Toma & Gomo NAPTA
Pointe à Pitre le samedi 30 octobre 2010
Jean FABRE, préfet de Guadeloupe
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Elie domota 26.10.10 RFO
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Lettre ouverte au préfet Jean FABRE et à ses fantômes