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Le rôle de la France pour la réparation du préjudice subi par le peuple haïtien
Dès la fuite de Jean-Claude Duvalier vers la France en 1986, des procédures judiciaires sont également déclenchées aux Etats-Unis, en Royaume Uni et en France mais sans succès.
Dans le cas de la France, le ministère de la justice reçoit en 1986 une demande d’entraide judiciaire pour récupérer 120 millions de dollars. Une action en justice est donc engagée au nom de la République d’Haïti.
Dans son arrêt du 25 avril 1988, la Cour d’appel d’Aix en Provence se déclare compétente pour statuer sur l’affaire. Mais la famille Duvalier se pourvoit en cassation et obtient que l’arrêt soit cassé sans être renvoyé, au motif que le code pénal français interdit toutes poursuites pénales ou civiles contre un chef d’Etat étranger devant un tribunal français pour des actes commis hors de France.
Aujourd’hui, la situation juridique n’est plus la même qu’en 1988 car la France est désormais partie à toutes les conventions régionales et internationales de lutte contre la corruption et le blanchiment. La dernière en date et la plus importante est la Convention des Nations-Unies contre la corruption de 2003 ratifiée par la France le 5 juillet 2005.
En effet, l’article 51 de cet instrument érige en principe fondamental du droit international la restitution des biens mal acquis et des avoirs illicites aux victimes. Soulignons également que Duvalier est un « sans-papier de luxe » en France puisqu’il n’a pas répondu à la convocation dans le cadre d’une citation directe pour séjour irrégulier en 1999.
Une action judiciaire devrait donc être déclenchée en France pour à la fois questionner les autorités politiques sur la protection qu’ils accordent à l’ancien dictateur et mettre en lumière ses avoirs illicites et autres biens mal acquis dans l’Hexagone.
Rappelons qu’une enquête judiciaire a été ouverte le 18 juin 2007 contre les dictateurs africains Sassou N’Guesso et Omar Bongo suite à une plainte déposée par l’association de juristes Sherpa, la Fédération des Congolais de la diaspora et l’association Survie pour recel et détournement de biens publics. Duvalier a lui aussi possédé de luxueuses propriétés en France : le château de Théméricourt (Val d’Oise), un appartement au 56 avenue Foch à Paris, deux appartements à Neuilly, un 240m² dans le 16ème à Paris (appartenant à la veuve du Papa Doc).
On peut donc penser qu’une plainte contre Duvalier déposée par une association d’Haïtiens enregistrée en France et qui reprendrait le même fondement juridique aurait de grandes chances d’être déclarée recevable par les juges français. Mais pour identifier l’argent public détourné et placée en France, il est essentiel de réaliser un audit de la dette haïtienne.
Les millions de dollars détournés par la famille Duvalier constituent une grosse partie de la dette extérieure d’Haïti qui s’élève, aujourd’hui, à 1,4 milliard de dollars. A la chute de Bébé Doc en 1986, la dette externe du pays était évaluée à 800 millions de dollars, soit à peu près l’équivalent de la fortune du clan Duvalier.
Le lien entre le butin de Duvalier placé à l’étranger et la dette est donc évident. Pourtant, alors qu’Haïti figure parmi les pays les plus pauvres de la planète (80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté), le remboursement de la dette extérieure, essentiellement multilatérale, constitue la priorité pour les créanciers. En effet, le gouvernement haïtien a payé à la Banque mondiale des arriérés de 52,6 millions de dollars en janvier 2005. Le service de la dette (sommes des montants des intérêts et du capital emprunté) a, quant à lui, doublé entre 1996 et 2003. Au cours des dernières années, il a représenté le double du budget de la santé publique.
Les mouvements sociaux haïtiens devraient se saisir de l’audit de la dette pour exiger la répudiation des dettes odieuses héritées de la dictature et établir les responsabilités des créanciers. Selon cette doctrine de la dette odieuse, « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, une dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir. »
Source : CADTM