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Le discours prononcé par Elie Domota au soir du 26 mars 2012, veille de la journée de mobilisation du 27 mars, confirme un tournant entamé depuis un certain temps où la question de la souveraineté de la Guadeloupe est abordée sans tabou. Chien Créole vous propose de découvrir les passages les plus remarquables, traduits en français, de ce discours, riche et souvent émouvant.
Comme à chaque meeting LKP, Domota est le dernier à prendre la parole, et il n’est pas loin de 23 heures quand face aux centaines de militants rassemblés devant le Palais de la Mutualité, il s’empare du micro. Sa voix, relayée par de puissantes enceintes résonne dans tout le quartier de l’assainissement. Il commence par s’en prendre aux habitudes consuméristes et à désigner les priorités que nous avons parfois tendance à négliger :
« Il faut bien qu’on se mette en tête que changer la Guadeloupe et construire une autre Guadeloupe ne se résume pas à baisser le prix du butane ou du paquet de gâteaux. Nous avons mis à nu la pwofitasyon, mais mettre à nu la pwofitasyon, ça veut dire que nous même nous devons réfléchir pour voir comment éviter de nous laisser prendre dans leurs pièges. Nous pouvons éviter d’acheter leur paquet de biscuits. (…)
Je ne dis pas qu’il ne faut rien posséder, tout le monde aime bien avoir certaines choses, mais il y a beaucoup de choses pour lesquelles nous nous endettons et dont nous n’avons pas besoin. Par contre, la santé, l’éducation, la formation, la culture, ça c’est vraiment important pour que nos enfants grandissent, pour qu’ils apprennent et pour qu’ils comprennent la nécessité du fait qu’ils dirigent ce pays. »
Il poursuit en reprenant les idées d’un discours déjà tenu en 2009, une charge contre la façon dont fonctionne la démocratie représentative. Parlant des politiques, il dénonce avec un ton sarcastique qui provoque plusieurs fois des rires nourris dans l’assistance :
« Trop souvent, ils considèrent le peuple comme une masse inerte qui n’est là que parce qu’on lui donne le droit de voter un jour mais le lendemain matin, ils ne le connaissent plus. Nous voyons tout le temps, ici comme en France, y a un gars qui va aux élections et qui vient nous dire que ses amis sont venus lui demander de sauver le pays (…) et une fois élu, évidemment le gars fait ce qu’il veut vu qu’il est devenu chef. Là il vient te voir et il te dit ouais, mais c’est pas ça que j’avais dit, tu sais, avec la conjoncture, le CAC40, tout ça, tu ne comprends pas de quoi le gars est en train de parler mais le gars le dit comme ça donc vous ne comprenez pas. Mais comme vous, vous êtes dans une association, dans un syndicat, vous allez voir les autres et vous dites ça va pas, nous allons au conseil municipal lui dire ce qu’on pense, et de toutes façons, on se met en grève.
Mais le gars envoie les manblos parce que vous troublez l’ordre public, vous faites de l’entrave à la circulation. Donc ce gars que vous avez mis au pouvoir, il vous met en tôle parce que vous l’empêchez d’administrer "son" pays ! Et très souvent il vous dit : « mais si vous n’êtes pas content, dans 6 ans, choisissez quelqu’un d’autre à ma place ». Vous êtes furieux, vous vous mettez à chercher quelqu’un d’autre. Et quand vous avez trouvé votre homme, vous dites : « on va le faire élire », il dit « pani pwoblem » et quand il est élu, il vous dit « on ne peut rien faire parce que mon prédécesseur a laissé une ardoise plus que salée ! Du coup, on est obligé d’augmenter les impôts. Et à ce moment-là, vous culpabilisez, vous vous dites, c’est moi qui ai fait ça, c’est moi qui ai été le chercher (…) Donc en fin de compte, ils nous manipulent sans cesse dans ce système, mais par contre eux y sont très bien dans ce système puisque c’est leur système ! »
Oubliant le ton amusé qu’il venait de prendre, Elie Domota avance l’idée d’instaurer un contrôle des élus par la population :
« Quand est-ce que nous, peuple en mouvement nous allons dire : mais c’est ça qu’on veut ; quand allons nous instaurer un autre pouvoir où nous pourrons contrôler ce que font les élus ? Vous vous engagez à faire telle et telle chose, et bien au bout de deux ans, nous allons vérifier ce que vous faites. Si au bout de deux ans, vous n’avez pas fait ce pourquoi vous êtes là, sortez de là. (…) Et deuxième chose, s’il y a trou et que vous n’êtes pas capable d’expliquer, parce qu’il y a un cyclone qui est passé ou autre, nous saisirons vos biens personnels. Alors bien évidemment, dans ce système-là, ce n’est pas possible. »
Très inspiré, il en appelle ensuite à chacun, pour que le changement véritable passe déjà par une prise de conscience individuelle et des attitudes conséquentes et engagées :
« 2011, 2012, nous avons dit : déchouké tout pwofitasyon, nous avons dit liyanné les travailleurs, le peuple Guadeloupe, en mouvement et en conscience, dans la rue, pour que nous construisions une autre Guadeloupe. Mais construire une autre Guadeloupe, ça ne veut pas seulement dire changer les têtes au pouvoir, c’est changer ce système. (…) Ça veut dire que dans tous les domaines, nous devons faire preuve d’innovation, nous devons faire preuve d’audace, nous devons faire preuve de création. Il faut faire en sorte de libérer notre esprit dans tous les domaines et dans tout ce que nous faisons, faire œuvre de résistance. Résistance dans la pratique du créole, en utilisant le créole, dans la pratique de la culture, de la musique, pour ce qui touche à ce qu’on mange, à ce qu’on boit, dans tout ce qu’on fait il faut innover, même lorsqu’on fait à manger chez nous. Il faut que nous cherchions à innover, à changer, à découvrir de nouvelles saveurs, à utiliser les produits de chez nous. Il faut mettre nos esprits en action, l’objectif c’est de changer la vie. »
Il termine en replaçant la lutte pour la souveraineté dans une perspective à long terme, voire à très long terme et en en soulignant quelques voies qui peuvent être empruntées, toujours dans le domaine de la création, avant d’être applaudi à tout rompre :
« Nous voyons que beaucoup ont déjà annoncé la disparition du LKP depuis 2009, LKP continue à résister (…) mais nous résistons parce que nous savons que l’objectif, c’est de construire une autre Guadeloupe, plus juste, plus équitable, de réformer les rapports sociaux, de faire en sorte que nous Guadeloupéens prenions en main la destinée de ce pays, non pour faire ce que font les autres mais pour faire en sorte que nous ayons une société plus juste, plus équitable. Développer le pays pour nos enfants, pour que quand nos enfants se lèvent le matin, ils puissent se dire qu’il y a une Guadeloupe ouverte sur la Caraïbe et ouverte sur le monde et pas simplement être des petits Français dans la Caraïbe, qu’on arrête de leur faire croire qu’ils sont des ultra-périphériques, des ultra-marins. C’est ce combat-là que nous pouvons appeler un combat pour la souveraineté qui est extrêmement difficile. Alors très souvent nous entendons des gens dire : oui mais j’ai envie de voir, j’ai envie de voir, j’ai envie de voir.
Le premier esclave qui s’est échappé, qu’a-t-il vu ? Le deuxième, qu’a-t-il vu ? Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas voir, hein, mais ça veut dire qu’il ne faut pas que nous nous mettions en tête que nous devons absolument voir quelque chose. Parce qu’à force de vouloir voir, tellement notre envie est grande, l’âge finit par nous rattraper et nous nous fatiguons, nous finissons par croire que l’aspiration à la souveraineté, c’est utopique, que ce n’est pas possible et nous serons tenté par le renoncement voire pire : nous tenterons de dissuader ceux qui ont envie de continuer à se battre. Alors c’est pour ça que le temps ne doit pas être un obstacle. Il faut se mettre en tête que ce n’est pas pour nous que nous battons, mais que c’est pour nos petits-enfants que nous nous battons.
C’est pour nos petits-enfants que nous nous battons, pour leur permettre d’entrevoir le chemin vers la souveraineté, parce qu’il n’y a que comme ça que nous pouvons gagner. Alors ça veut dire que nous devons nous même changer notre comportement vis-à-vis de toute chose, nous devons développer notre esprit critique vis-à-vis de tout ce que nous entendons, de tout ce que nous voyons (…) et je redis ça une dernière fois, toujours laisser notre esprit divaguer vers la création, ne pas brider nos enfants, créer dans le domaine littéraire, artistique, en matière artisanale, créer ! Nous avons l’idée, le peuple a l’idée et c’est dans la construction que nous créerons une autre Guadeloupe. »
FG (chien.creole@gmail.com)
Merci à Rojé de Radyo Tanbou qui m’a fourni l’enregistrement.