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Tiennot,
Tu n’avais rien de rien à voir avec la mort.
Tu étais éclats de rire, coups de gueule, force de travail, extraordinaire moteur d’idées d’action et de débats.
Le Saf était ton syndicat, ta famille et comme dans toutes les familles dans toutes les histoires passionnelles bien sûr nous eûmes des orages et combien de jours heureux où tu nous donnais tant dans l’élaboration de la pensée
collective… Président du Saf, rien ne t’échappait qui puisse nourrir notre pratique, enrichir notre « boîte à outils ».
C’est toi qui nous fit rencontrer Irène Théry qui a tant fait bouger nos pratiques en droit de la famille, Lucien KARPIK qui éclaira d’une autre lumière nos réflexions sur la profession. Nous te devons tant.
Alors, au nom de tous ceux qui au Saf depuis vendredi se sentent orphelins je viens te dire merci, te lire ces quelques lignes d’un livre de Michel QUINT que je n’ai pas eu le temps de t’offrir, que tu aurais aimé.
« J’écris ton histoire. Et celle des tiens. Des miens désormais. Parce que tu m’as dit sans rancoeurs ni haines le terrible des petites vies de rien et de leurs théâtres intimes que les mots sont de la chair, qu’il suffit de les écouter battre, bien au ras des émotions simples et qu’ainsi tu m’as fait comprendre le métier d’écrire. Parce que avec du vif du sincère, sans fard, sans frime, ta vie dans tes paumes ouvertes, tu m’as dit aussi l’humanité nue. (…) je sais désormais le mal délicieux de Chimène des bas-fonds, de Rodrigue des beaux quartiers et que l’histoire de nous autres, hommes de peu, n’est que le malentendu d’un baiser attendu et jamais réclamé.1 »
1 - Michel QUINT « Et mon mal est délicieux » Ed J LOSFELD et FOLIO
Cimetière de Neuilly 23 août 2013 - Régine Barthélémy, Montpellier
« Tiennot ne nous a pas quittés. Citoyen vigilant et militant, juriste imaginatif et novateur, sa contribution à l’histoire sociale de notre pays restera exemplaire. »
Paul Bouchet et Mireille Delmas-Marty
« Lors d’un congrès, TIENNOT dit " l’antiparisianisme n’est pas une ligne politique". Ca le résume : recherche de l’unité, l’effort pour être rationnel et
dépasser les clivages. Bref, une intelligence en marche. »
Dominique RAIMBOURG, Nantes
« Il faut qu’on se voit Henri ! Bien sûr Tiennot, on s’appelle ! » Nous avions tant de choses à nous dire et nous ne trouvions jamais le moment.
Qu’importe il était là. Depuis quarante-cinq ans, il suffisait parfois de quelques instants au hasard des rencontres pour que nous nous disions tout. C’était un militant sans paresse intellectuelle, un juriste qui savait prendre le droit à ses propres pièges, un avocat qui défendait sans concessions, une conscience vigilante qui savait rire, un ami comme on en n’a peu dans une vie. Son départ laisse une absence dans la pensée
collective et nous fait un trou dans le coeur…
Henri LECLERC
"Il a beaucoup donné de la force au travail militant et collectif… Il a aussi voulu allier les ordres et les syndicats. Ce qui unit et ce qui distingue".
Patrick TILLIE, Lille
Revoir TIENNOT
Youtube - Documentaire de Jean-Luc Raynaud 2012 « l’Honneur des Gueules Noires » Dailymotion - « Ces marchés où le prix ne dit pas tout » 2011 avec son complice Lucien KARPIK
Les liens sont accessibles dans la version numérisée de la lettre
Les synergies
« …Il m’a tant appris à débattre, à écouter, à se laisser éclairer par les « camarades » et d’autant plus quand ils sont d’un autre bord. Il est certain que c’est grâce à lui que je me suis mis à lire passionnément des livres que je ne comprends que très peu, et qui m’ont fait avancer.
C’est grâce à sa confiance que j’ai osé écrire quelques papiers. Que de moments passés ensemble, de fatigue, d’amitié, de rires, de plaisir de l’intelligence… ! »
Jean-Luc RIVOIRE, Nanterre
« Ton rire généreux, communicatif, et carnassier va nous manquer cher Tiennot, toi qui seul pour faire avancer la défense des salariés, était capable dans la même phrase de raconter l’histoire de la louche du curé de la Bégude, et de conclure en citant Antonio Gramsci « Allier le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. »
Jean Louis BROCHEN, Lille
« C’était un Juste. »
Philippe WAQUET - Doyen honoraire de la cour de cassation
Tiennot, immense présence, parfois irritante, toujours féconde. Immense absence aujourd’hui. Nous avons publié pendant plus de trois décennies des dizaines d’articles cosignés le plus souvent par Jean Luc RIVOIRE, sur la justice, sur le droit, sur la démocratie, sur les questions professionnelles, dans Le Monde, l’Humanité, Libération, la Gazette du Palais, etc.
C’était presque toujours le même processus. Il avait le plus souvent l’idée de départ, fournissait un premier jet, trop long, profus, fusant dans trop de directions, mais riche, très riche toujours, d’idées, de critiques, de suggestions. Je réduisais, formatais, ordonnais, réécrivais et généralement nous tombions d’accord tous les trois sans difficultés… Il manque désormais une borne milliaire sur les chemins de nos espérances.
Claude MICHEL, Bobigny
(…) « Mais attention, pas d’ironie sur les établis, j’ai un immense respect pour tous ceux qui ont été capables de se nier en tant que classe dirigeante.
Qu’ils aient eu ce courage. J’ai un grand respect pour Monsieur Linhart, et aussi Tiennot Grumbach, toujours avocat du droit du travail, chez Renault à
Flins, notamment. Ce sont eux qui ont sauvé notre génération. » (…) - Extrait de Libération
André WILMS, Comédien
« C’est Tiennot qui m’a fait découvrir Primo Levi Il m’a dit que cela changerait ma vie. C’était vrai. Tiennot voulait changer la vie, mais pas seulement, il voulait plus, il voulait modifier le cours des choses. Il y parvenait par la force de son engagement, presque de son acharnement. Il a changé le cours de l’injustice qui le révulsait. Pour cela et bien d’autre chose, il laisse une empreinte d’éternité à notre syndicat.
Débattre avec lui pouvait tenir du combat pour qu’il nous en laisse placer une… Pourtant, il aimait écouter, il avait besoin de cette confrontation d’idées. Jusqu’au bout, il a aimé notre syndicat. Rencontrer et côtoyer un homme debout, c’est exceptionnel. »
Catherine GLON, Rennes
Parler de Tiennot, c’est aussi parler de ses « enfants terribles ». Je veux
parler des avocats en herbe que nous étions, pendant notamment la période
de la place Germaine Tailleferre de Montigny-le-Bretonneux.
Parler de Tiennot, c’est parler aussi et surtout pour beaucoup d’entre nous de sa générosité dans la transmission du savoir, du savoir être avocat.
« Ceux qui veulent nous rejoindre sont les bienvenus » disait-il à ceux qui frappaient à sa porte. Je ne lui connais pour ma part aucun refus.
L’avocat pour lui, n’était pas un métier. Pas question de raccrocher la robe une fois la journée terminée. D’ailleurs, avec lui, pas de soirée, pas de week-end pas de vacances. Juste quelques jours de repos accordés çà et là.
Pas de place pour les petites natures, l’école GRUMBACH ça se méritait, et oh combien.(…) Alors, nous ses « enfants terribles » qui lui devons tant,
nous nous retrouvons orphelins.
Tiennot a créé l’avocat des travailleurs et a fait ce que nombre d’autres nous sommes aujourd’hui. N’oublions pas qu’il pourfendait les techniciens du
droit car comme il nous l’a enseigné « c’est le fait qui fait le droit. »
Juliette Goldmann, Grumbach et Associés - Marseille
Tiennot est né la même année que nombre des super-héros contemporains.
Pour beaucoup d’entre nous, il en avait les caractéristiques : infatigable résistant à l’oppression, il était mu par un sens aigu de la justice. Il défendait
la dignité humaine et les valeurs universelles en toutes circonstances. Mais contrairement aux super-héros, froids et distants, Tiennot donnait tout : sa détermination, son intelligence, sa compétence, son incroyable force et… son sens inégalé de la fraternité. Tiennot était plus qu’un super-héros, il est un frère irremplaçable.
Slim BENACHOUR, Paris
Tiennot Grumbach était, pour emprunter ce terme à Thomas Mann,
une personne de « grand format ». Invité plusieurs fois, par lui, aux
colloques du SAF, j’ai pu prendre la mesure du tribun (qu’il fallait parfois
arrêter dans son élan !), de l’homme engagé, parfois tourmenté par ses engagements, plein de projets, refusant les routines, de l’homme de connaissance toujours disposé à partager ses découvertes, de l’homme chaleureux qui suscitait la sympathie.
Notre amitié, qui s’est maintenue jusqu’au dernier moment, s’affirmait lors de réunions et de discussions au cours desquelles nous ne cessions de glisser, le plus souvent sous son impulsion, du renouvellement des connaissances juridiques, professionnelles, quelquefois sociologiques, à sa passion du politique qui se portait aussi bien sur la profession, sur le tribunal que sur l’État, à ses engagements qui selon les moments suscitaient l’enthousiasme, la déception quelquefois la colère, le tout animé par son art de restituer les expériences folkloriques et de conter des histoires réjouissantes.
Nous n’oublierons pas l’homme qui intégrait avec grandeur et talent les qualités les plus contradictoires : fier de sa profession qu’il n’hésitait
pas cependant à critiquer, intransigeant sur la Défense tout en dénonçant ses limites, « anarchiste » doté du sens de l’organisation, leader respectueux
de la discussion et des contraintes de l’action collective, « révolutionnaire » pleinement réformiste, homme d’ordre qui n’hésitait pas à s’en prendre publiquement aux autorités, homme de recherche, de réflexion toujours prêt pour l’action.
Il restera vivant dans notre mémoire parce qu’il fut lui-même un être vivant, sensible, réflexif, plein de charme qui a activement refusé la fatalité de
l’histoire.
Lucien Karpik - Sociologue (École des Mines et EHESS)
Tiennot.
Tu es d’abord un prénom ce qui a surligné le fil rouge que tu es devenu pour nombre de militants, copains, amis, adversaires aussi.
Tu voulais TOUT : la militance partout, en Algérie, à CUBA, en librairie (Git le Coeur), en usine (établi à Flins), à l’université (Dauphine), au barreau (pour
Pierre Goldman au départ1)…
Avec ceux de VLR (Vive La Révolution) le 23 septembre 1970 vous avez publié le premier numéro d’un quinzomadaire intitulé " ce que nous voulons :
TOUT" dont l’objet était de " réinventer la société " et tu as sans désemparer toujours vécu ce désir là. Comme nous partagions ce choix politique et social là avec toi, tu nous as souvent irrigués, bousculés, incités, nourris, pressés voire exaspérés par ton énergie débordante et multiforme à vouloir TOUT.
Ton départ crée entre toi et moi, entre nous et toi un assourdissant silence qui devrait nous permettre de persévérer avec toi dans les combats et le
réenchantement d’une société à la fois molle et barbare, qui a tant besoin de nos imaginaires et de nos forces vives. Le Front de Libération de la Jeunesse proclamait : « Nous ne sommes pas contre les vieux, nous sommes
contre ce qui les fait vieillir ». Il avait raison !
Simone
Voir Tiennot dans la BD d’Emmanuel Moynot : Pierre Goldman, La vie comme la mort d’un autre - Futuropolis 2012
Avec Tiennot il fallait que ce soit chaud. De la chaleur que produisent les énergies réunies, déployées, les tensions dialectiques réactivées, les oppositions affrontées dans des cogitations collectives enfiévrées, le travail "socialisé".
Et puis de la chaleur des solidarités tissées, des amitiés nouées, des rires partagés, des vagabondages improvisés. Parce que le froid et l’inerte lui étaient étrangers, il soufflait sur les braises et donnait le mouvement.
Oui, ce mouvement si communicatif, c’était bien un don, qu’il avait et qu’il nous faisait.
Patrick HENRIOT Paris
Le droit social, une passion
1978, « la "défense" prud’homale », un livre précurseur de Tiennot
Pendant 40 ans, j’ai construit une amitié fraternelle avec Tiennot. La
lecture de courts extraits, permet de comprendre l’importance de son
apport à la défense des salariés, au Syndicat et à la profession.
Introduction à « la "défense" prud’homale 1 ». Il écrit : « Le barreau est encore lieu où l’idée de défense existe : n’en déplaise aux trop nombreux avocats dont les cabinets se transforment en entreprises de prestations de services juridiques ; n’en déplaise à ceux des magistrats de toutes tendances qui souhaiteraient "shunter" la défense pour y substituer une justice "accessible - rationnelle - économique" ; n’en déplaise à ceux qui ne voient dans les avocats que des larbins de luxe dont la parole s’achète du
même prix que le silence. »
(…) Nous ne devons pas gagner nos affaires en employant des moyens irréguliers, en surprenant l’intelligence des magistrats, en utilisant des jurisprudences détournées. Il nous faut assurer la légitimité de la cause pour
emporter la conviction du magistrat et faire progresser la jurisprudence. Seul ce type de progrès, appuyé sur l’affirmation du principe (issu de la vie, de l’émergence de la demande sociale), déséquilibre le caractère figé du droit et permet la conquête de nouvelles sphères de libertés consacrées par la loi. »
Merci Tiennot de ce que tu nous as donné…
Dany COHEN, Marseille
1 Édition APIL 2 tomes épuisés
Paul et Tiennot : la rencontre
Je visualise notre première rencontre comme si c’était hier. En 1973, je devais introduire une procédure en référé d’heure à heure devant le TGI de Versailles et n’avais aucun correspondant habituel sur place.
Le Syndicat des Avocats de France n’avait encore aucun adhérent qui aurait pu être sollicité. J’ai demandé au président de l’époque Francis Jacob,
s’il pouvait me suggérer un nom pour le compte de la Fédération CGT de la construction et des travaux publics. Après m’avoir mis en garde sur le fait que le confrère tout nouvel avocat avait un profil un peu « atypique » par rapport à la CGT, il m’a proposé Etienne Grumbach. Dès le premier contact téléphonique, celui-ci se montra chaleureux, disposé à répondre, sans réticences, à mes demandes et c’est ainsi qu’il a pris en charge la procédure.
Le jour de l’audience, j’ai fait sa connaissance et il m’a demandé si je ne voyais pas d’inconvénient à ce qu’il dise quelques mots avant moi pour me présenter et surtout remercier la présidente d’avoir accepté le référé en urgence. En fait, il a exposé la situation sociale de l’entreprise et a justifié la saisine du juge des référés.
Ces quelques mots furent du « super-Tiennot » tel que nous l’avons toujours connu et au fur et à mesure qu’il parlait, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir dire après une aussi brillante introduction.
A l’issue de cette audience, il n’était pas question de Monsieur et Cher Confrère, et j’avertissais la Fédération CGT que lorsque l’on avait un tel avocat sur un barreau, il était indispensable de nouer avec lui des liens sérieux pour la défense des salariés. Ce qui fut fait.
Paul BOUAZIZ - Paris
Il fait plus sombre
Du travail, des pratiques du droit qu’il suscite, du syndicalisme et de l’action
collective, il savait tout. De cet immense savoir, il se servait avec le sentiment que le savoir ne donne aucune prééminence mais crée des devoirs. Tiennot était le seul vrai ministre du travail. Le ministre n’est-il pas, en effet, celui qui sert ? Ministre à temps plein, Ministre plein, conjuguant toutes les exigences de la charge, tel il était.
L’action ? Elle était sa vie. Il en façonnait les stratégies. Il en respectait tous les protagonistes. Il avait une intimité avec son horlogerie. Mais avant tout, l’action c’était, pour lui, ceux auprès desquels il s’engageait, travailleurs, militants.
L’acteur ce n’était pas lui, c’était lui parmi les autres. L’action supposait l’intelligence, et pour lui, la tyrannique intelligence des faits et des situations. Sans elle, pas d’action, pas de progrès. Sans elle, le droit n’est que trompe l’oeil. Tiennot a donc multiplié pendant 30 ans, les revues, les séminaires et colloques, les articles, les revues qu’il a créées, illustrées, distribuées, les réunions qu’il a provoquées, y associant des avocats, universitaires, juges, syndicalistes, travailleurs…, tous gourmands des efforts auxquels il les conviait, les articles, trop longs, trop riches, dont il finissait cependant par contrôler la sève.
Mais à quoi sert l’action, à quoi bon se rencontrer si ce n’est pour accroître l’intelligence collective ? Apprendre, comprendre, faire participer, susciter et entendre la critique : Tiennot était, à lui seul, une université. Il sollicitait, pour un séminaire, pour une contribution à une revue, un expert-comptable, deux sociologues, trois juristes, tous étonnés que leur savoir provincial intéresse cet historien et géographe du monde qu’était Tiennot
Et puis, Tiennot, c’était une force. Qui faisait route avec lui devait aussitôt s’interdire d’être négatif et se sentait mû par l’espoir. Lumineux Tiennot.
Antoine LYON-CAEN, Professeur émérite