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Puisque vous attendez une réponse franche de notre part, permettez-moi de vous expliquer certaines réalités qui ne sont peut-être pas évidentes pour vous alors que pour nous elles sont d’une importance capitale.
Or, depuis quelque temps, nous avons découvert d’abord avec stupéfaction et de plus en plus avec préoccupation, votre démarche visant à réhabiliter le Code Noir sous prétexte de scientificité, ainsi que votre volonté de neutraliser et délégitimer toute interprétation opposée à la lecture particulièrement bienveillante que vous en faites.
Je suppose que vous êtes d’accord avec moi pour admettre que, dans le domaine de l’Histoire personne n’est neutre parce que la neutralité n’existe pas. Il est donc normal que, concernant la déshumanisation des Noirs institutionnalisée par le décret de 1685, nous ayons des approches non seulement différentes mais foncièrement opposées et profondément antagoniques.
Je ne peux pas faire ici un inventaire de tous les travaux où vous avez utilisé votre position de Maître de conférences à l’université des Antilles et de Guyane pour valider, scientifiquement, la présentation d’un Code Noir ou Édit de 1685 au contenu on ne peut plus humanisant à l’égard des esclaves ; mais, il devrait me suffire de vous rappeler quelques-unes de vos affirmations contenues, précisément, dans votre travail « Le problème de l’humanité de l’esclave dans le Code Noir de 1685 et la législation postérieure : pour une approche nouvelle » publié en 2012 dans les Cahiers aixois d’histoire des droits de l’outre-mer français
Dans ce travail, vous faites savoir d’emblée, dès la 2ème ligne de la première page, qu’il s’agit bien de « la reconnaissance de l’humanité de l’esclave » dans le Code Noir. Et en effet, à la page 4, vous niez le rôle chosifiant du Code Noir, ajoutant que la réification du Noir est « une qualification juridique largement limitée par l’article 48 » ; et ensuite vous faites la promotion des nombreuses dispositions contenues dans les articles 12 et 13, 28, 49 et 54 ainsi que dans les articles 10 à 13 et 56 auxquels vous attribuez un rôle qui « ne s’accorde pas avec la réification ».
Á la page 5 au premier paragraphe, vous vantez le mérite d’une approche historique et juridique « restituant le contexte de l’époque et notamment la dureté des mœurs, ainsi que la question de la coexistence de la "réité" et de l’humanité de l’esclave dans l’Édit… ».
Concernant la dureté des mœurs, permettez-moi de vous rappeler qu’au 13ème siècle, les mœurs étaient également dures si ce n’est davantage. Et pourtant, La Charte du Manden proclamée en 1222 dans la première capitale de l’empire du Mali, a bel et bien déclaré dans son article 1, que « Toute vie [humaine] est une vie » et que « une vie n’est pas plus respectable qu’une autre vie. De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie » ; et dans les articles 5 et 6 que l’esclavage était banni du Manden ; et pour mettre fin à ce fléau dans la pratique, les autorités du Manden ont mené une guerre à mort contre les esclavagistes musulmans qui y sévissaient.
Á la fin de la page 8 vous insistez lourdement sur l’humanité que le Code Noir aurait reconnue à l’esclave pour ensuite fustiger ceux « qui ne le lisent que rétrospectivement, à travers le prisme de la philosophie et de l’idéologie politiques et juridiques modernes ».
Peut-être ignorez-vous que, quelques années avant la publication en France du décret de 1685 et plusieurs décennies avant les Lumières, deux capucins, l’Espagnol Francisco José de Jaca et le Français Epiphane de Moirans ont sollicité, outre les Ecritures et la théologie la « lumière de la raison » et « les droits de l’homme ».
Ces capucins non seulement ont considéré que la traite et l’esclavage étaient un crime contre les droits humains, mais ont exigé la fin immédiate de ce crime et le paiement de réparations aux victimes. Ils ont porté cette exigence à la Cour Royale d’Espagne et même au Vatican. Ils n’ont pas attendu l’évolution dont vous parlez pour condamner dans les faits et dans le droit l’asservissement des Noirs dans l’univers concentrationnaire d’Amérique. Vous pouvez consulter à ce sujet l’ouvrage « ESCLAVAGE RÉPARATION » Editions Lignes.
Au dernier paragraphe de la page 13, vous faites ouvertement de la propagande en affirmant que « le Code Noir consacre l’irréductible humanité de l’esclave… ». Et à la page 14 vous vous obstinez à trouver dans le Code Noir « la présence de la qualité humaine au profit de l’esclave » et à vanter les dispositions humanistes des articles 56, 29, 30, 22, 25, 42, 26, 32, 59. Mais, à la page 15 vous insistez encore à nous dire que « dans le Code Noir, l’esclave est un être humain, et donc une "personne humaine" au sens chrétien de l’époque ».
Et au dernier paragraphe de la page 16, concernant le système esclavagiste sur le territoire français vous poussez l’indécence jusqu’à soutenir que « le pouvoir royal tente d’en atténuer les effets à travers des dispositions de l’Édit favorables aux esclaves… » Mais, à la page 18, il ne vous suffit plus de faire l’apologie des « dispositions protectrices ou humanistes du Code Noir » et vous allez jusqu’à soutenir que, la violation de ces belles dispositions si favorables à la humanité des Noirs, « n’est pas si généralisée » que certains le prétendent. En fait, ce n’est pas seulement le Code Noir que vous réhabilitez mais c’est aussi le système esclavagiste.
Dans le titre de votre travail, vous plaidez « pour une approche nouvelle », mais en réalité, il s’agit d’un lieu commun fort ancien suivant lequel le Code Noir aurait été, avant tout, un frein contre l’abus de certains maîtres. A bien y réfléchir, votre démarche n’est pas révisionniste, car vous ne révisez rien ; elle est plutôt négationniste, non pas que vous niez l’esclavage ou l’existence du Code Noir, mais vous niez la nature foncièrement criminelle et chosifiante de cette monstruosité juridique que vous essayez de réhabiliter scientifiquement.
Vous faites du Code Noir une lecture on ne peut plus positive et bienveillante, c’est votre droit et c’est même légitime, surtout si en bon historien, sachant que dans ce domaine la neutralité n’existe pas et n’a jamais existé, vous avez l’honnêteté d’admettre le parti pris de votre interprétation qui est celle d’ « en haut ».
Mais, vous conviendrez que nous avons, nous aussi, le droit de faire du Code Noir une autre lecture, sachant que notre interprétation est légitime, surtout parce que nous admettons notre parti pris, lequel est celui d’ « en bas », celui des victimes.
Rosa Amelia Plumelle-Uribe
Extrait du Communiqué du MIR-France (Mouvement International pour les Réparations) :
Affaire Jean-François Niort, Guadeloupe – mars 2015