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Yarimar Bonilla est anthropologue socio-culturelle et professeure à l’Université de Virginie aux Etats-Unis, où elle enseigne l’anthropologie politique et étudie la Caraïbe. Elle a vécu en Guadeloupe pendant les années 2003 - 2005 en faisant une étude ethnographique sur les mouvements sociaux en Guadeloupe. Actuellement elle dirige plusieurs ouvrages sur le rôle de la mémoire dans le syndicalisme Guadeloupéen, et la politique préfigurative du mouvement LKP.
Lettre Ouverte d’une Portoricaine au peuple LKP.
Chers camarades et amis, je vous écris pour vous féliciter en tant que peuple pour ce que vous êtes arrivés à faire ces derniers mois. Je ne pense pas seulement aux acquis matériels que vous avez obtenus, pendant et après ce mouvement, mais également au fait que vous ayez osé entamer une telle démarche et que vous soyez parvenus à la soutenir et à la défendre jusqu’au bout.
Au moment où vous déclenchiez votre combat, on parlait beaucoup, chez moi à Porto Rico, de Mr Obama et de sa hardiesse vis-à-vis de l’espoir – cette audace à vouloir changer le monde. Dans le cas d’Obama, cela pourrait paraître être le succès d’un homme seul – mais en fait, il y avait toute une machine humaine derrière lui qui a été la vraie garante de cette victoire, parce qu’ils ont osé y croire et entrer en action. En fait, la victoire d’Obama s’est construite grâce à des gens qui se sont engagés pour la première fois de leur vie dans un mouvement politique. Obama nous a montré qu’il était encore possible de faire rêver un peuple et d’oser.
Dans le cas du LKP, c’est d’autant plus vrai. La victoire LKPienne est le produit de ses dirigeants, mais aussi de ces milliers et milliers de personnes qui ont osé sortir de chez eux, emprunter les chemins des manifestations et des barricades et s’élever face aux forces policières et militaires… Ces gens ont prouvé à eux-mêmes et au reste du monde que la force d’un peuple existe toujours, qu’il est possible de rassembler une population et que la solidarité et la ténacité ne sont pas que des mots. Dans un monde où l’on a complètement cédé à l’aliénation politique et au cynisme, où l’on se laisse à croire qu’il n’y a pas d’autres alternatives, vous avez réussi à nous prouver le contraire.
Au moment où dans le monde, et en particulier aux États-Unis, on est en train d’accepter une crise économique – qui est le résultat de l’avarice, de la recherche de profits faramineux et du manque de régulation et même d’humanité face au capitalisme sauvage, sans mesure et sans frontières – vous nous avez démontré que cela pouvait être différent. Au moment où le reste du monde accepte de vivre de plus en plus dans la précarité et dans l’insécurité, vous nous avez affirmé qu’il n’était pas nécessaire que les travailleurs et les couches moyennes payent pour les erreurs et les maux causés par les plus puissants.
Il n’y a pas eu de telle inspiration depuis les années 90 – au moment où les indigènes Zapatistes au Mexique s’étaient mis au devant des forces du capitalisme international et avaient dit au pouvoir « ya basta ! » - Pas plus ! Ce mouvement était devenu une inspiration pour tout ceux qui s’y retrouvaient et aujourd’hui plusieurs chercheurs le reconnaissent comme étant à l’ origine de ce qu’on appelle le mouvement altermondialiste.
Je trouve que le LKP a cette même capacité de changer l’imaginaire politique à l’échelle mondiale. De la même façon que les Zapatistes sont arrivés à inspirer des milliers d’activistes sur la planète entière et qui se sont retrouvés, dans leur mouvement, à affirmer “on est tous des Zapatistes !” (todos somos Zapatistas !), le LKP peut aussi être une source d’inspiration pour une nouvelle vague politique.
Déjà le mot pwofitasyon, qui semble être quelque chose de très particulier et lié surtout au contexte et à la langue guadeloupéenne, a pourtant vite fait écho, car, dans le monde entier, on n’a pas tardé à comprendre sa signification. De plus, vous êtes arrivés à créer un lyannaj en mettant les différences institutionnelles de côté, en trouvant une voix unique et un chemin commun pour donner une leçon au monde qui se trouve de plus et plus en “réseau” mais pas forcément en lyannaj.
En tant qu’anthropologue qui s’intéresse aux mouvements politiques de la Caraïbe, et en tant que Porto Ricaine et Caribéenne, je vous assure que le monde vous regarde. Tous attendent de voir ce que va devenir le LKP et quelles leçons pourraient être tirées de vous.
Pendant mon séjour en Guadeloupe ces dernières semaines, j’ai beaucoup entendu parler de démocratie (et de son absence), de l’importance des institutions politiques actuelles, et des limites qu’il faut imposer aux mouvements de masse. Mais, je pense qu’il faut faire attention à ne pas vous laisser restreindre par ces discours. Tandis que vous cherchez le chemin que pourrait prendre votre lyannaj, [je vous en prie], ne vous laissez pas limiter dans votre recherche et dans la construction de votre propre modèle politique.
Il faut se souvenir que la Caraïbe a toujours été un espace de création, de fabrication et d’invention politique. On a déjà si souvent osé rêver dans la Caraïbe : en Haïti, on a eu la première République noire de l’hémisphère, à Cuba, on a fait face à la plus grande force impérialiste du monde et dans des lieux tels que les Antilles Francaises ou Porto-Rico, on a osé imposer de nouvelles formules politiques au-delà de ce qui existait dans le système mondial qui nous entoure.
Je vous exhorte à continuer d’oser, de rêver, et d’ouvrir le chemin pour la Guadeloupe et la Caraïbe de demain. Je vous assure que l’on vous observe et que l’on vous suivra. De la même façon que les Zapatistes ont allumé la flamme altermondialiste, je suis sûre que le LKP ouvrira le chemin pour que, pas seulement la Guadeloupe, mais la Caraïbe et (pourquoi pas) le monde ké vin tan nou.
Kyembé fô, pa lagé !
Yarimar Bonilla,
Professeur d’Anthropologie
Université de Virginie, [Etats-Unis]
Lettre ouverte d’une
Portoricaine au peuple LKP