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Elie Domota : On a choisi de lever la tête et de se battre

Interview au quotidien France-Antilles
>Mots-clés : LKP 
 

Qui sont les profiteurs ?

L’Etat, les collectivités, les capitalistes, les patrons. On se rend bien compte quand on analyse la structure des prix des marchandises que les Guadeloupéens devraient acheter leurs produits, au maximum 10% plus chers qu’en France et même que certains produits devraient coûter moins chers, particulièrement ceux qui sont exonérés de taxes comme la TVA. On ne comprend pas pourquoi, notamment sur les produits de première nécessité, il existe des marges de 30, 40, 50 et parfois 80%.

Cela, personne ne peut nous l’expliquer. Avec la complicité de l’Etat, les importateurs-distributeurs s’en mettent plein les poches. Et ça ne dérange pas trop les collectivités parce que les importations leur procurent des recettes grâce à l’octroi de mer. Dans cette histoire-là, tous ceux que je viens de citer arrivent à se tirer d’affaire et c’est toujours les mêmes qui paient : les consommateurs, les travailleurs, en somme les Guadeloupéens.

L’indépendance ? Nous ne sommes pas dans cette configuration.

Vous dites qu’il faut inventer des outils, faire preuve d’imagination. Pour certains points de votre plate-forme, cela signifie clairement des aménagements législatifs. Votre objectif est-il un changement de statut de la Guadeloupe ? L’indépendance ?

Ce sont des raccourcis qui arrangent certains. Nous ne sommes pas dans cette configuration. On peut répondre aux questions qui sont posées. Un petit exemple. Mme Koury parlait des revendications sur les droits et libertés syndicales. Aujourd’hui, la loi prévoit un certain nombre de choses mais la loi n’interdit pas de proposer mieux, tant au niveau des salaires que de la représentation du personnel. On vient de signer dans le secteur de la sécurité un accord qui permet d’organiser des élections de délégués du personnel dans des entreprises de six salariés. Le code du travail prévoit onze. Et l’accord est valable. Les accords d’entreprise, les accords de branche, les conventions collectives peuvent permettre d’améliorer les situations existantes. Pas la peine d’aller proposer de nouvelles lois au parlement.

Deuxième chose, la notion de pays au sens de l’Europe permet justement dans le cadre du développement territorial de faire des aménagements qui sont tout à fait conformes à tout ce qui existe aujourd’hui mais qui tiennent compte des réalités locales. On peut, avec les outils à notre disposition, faire un certain nombre d’aménagements pour répondre à la plateforme de revendications. Quand à l’idée d’évolution statutaire, nous ne sommes pas aujourd’hui dans ce débat et comme je l’ai dit samedi après-midi, ce que nous demandons, ce sont des réponses aux préoccupations des Guadeloupéens.

8 000 à 25 000 manifestants sur 400 000 habitants, soit 2 à 5% de la population, cela vous donne-t-il la légitimité du peuple ?

J’aime bien les chiffres. Faites le ratio et rapportez-le aux 64 millions de la population française et vous verrez que jamais une telle manifestation n’a été organisée en France. Vous prenez 25 000 personnes divisées par 400 000 et vous multipliez ça par 64 millions et vous verrez ce que ça donne en France. Dans un pays normal, après une manifestation d’une telle ampleur, Lurel et Gillot auraient démissionné.
C’est une très très très grosse manifestation. Ca prouve qu’aujourd’hui Liyannaj kont pwofitasyon est une émanation du peuple guadeloupéen. Et c’est pour cela que nous recevons des marques de soutien. Tout le monde a vu, hier, [NDLR : dimanche 25 janvier 2009] que les gens sont venus dans les rues de Pointe-à-Pitre non pas pour le carnaval mais pour marquer leur adhésion au mouvement. C’est la Guadeloupe.
Répondre aux préoccupations des Guadeloupéens, c’est empêcher la barbarie de demain.

Parlons de la méthode. Que dites-vous aux Mornaliens qui n’ont plus d’eau depuis trois jours, aux agriculteurs qui n’arrivent pas à écouler leur production, aux travailleurs expulsés des entreprises de Jarry ?

On le voit, on le comprend. Nous aussi, on en souffre, nous aussi nous n’avons pas d’eau. Mais arrêtons-nous sur les causes et non sur les conséquences. Si le mouvement dure et perdure, c’est tout simplement parce qu’il y a en face la non volonté de vouloir régler la situation. Vous avez tous entendu, comme moi, Mme Koury et M. Vion dire que ce n’était pas possible, qu’il fallait être raisonnable et responsable.

Aujourd’hui, dans ce petit pays, des entreprises sont exonérées de charges sociales. Certains chefs d’entreprise ne paient pas de charges sociales et patronales depuis des années. Pas un sou. Il y en a qui s’en mettent plein les poches avec la défiscalisation pour acheter des bateaux et toutes sortes de trucs dans les pays étrangers ou dans la Caraïbe. L’Etat français est en train de financer les banques et les spéculateurs qui déclarent des bénéfices. La Société Générale et la BNP vont se partager 10 milliards d’euros alors qu’ils sont en train de déclarer des bénéfices. Et que demande le peuple ? Plus de dignité, l’amélioration du pouvoir d’achat et pouvoir travailler et vivre décemment.

Comment peut-on tolérer que quelqu’un doive utiliser une semaine de sa paye pour payer l’essence ?
Bien évidemment les conséquences de ce mouvement sont graves, mais elles ne sont que le fruit de la non-volonté de l’Etat, des politiques et des socioprofessionnels de négocier.
Quand on voit que le Medef et les autres organisations professionnelles prennent la décision de fermer toutes les entreprises en se disant que lè Gwadloupéyen ké fen yo ké manjé yo antré yo. On est toujours dans un rapport de classes et de races dans ce pays. Comme en 1967...
Dans un pays normal, après une manifestation d’une telle ampleur, Lurel et Gillot auraient démissionné.

Vous n’avez pas l’impression que la sauce va coûter plus chère que le poisson ?

Il y a deux solutions. Soit on veut rester des sous-hommes, des rampants, dans ce pays, que nos enfants se prostituent, se droguent, qu’aucun Guadeloupéen n’accède à des postes à responsabilité, que nous la majorité, on reste les larbins de la minorité. Soit on lève la tête et on se bat. Nous, on a choisi de lever la tête et de se battre.

Certains vous accusent de manipuler ou d’orchestrer les violences urbaines. Est-ce vrai ?

Je n’aime pas cette question. Le système aujourd’hui, cherche par tous les moyens à discréditer le mouvement. Tous les jeunes qui sont dans les rues aujourd’hui ne sont pas des martiens. Ce sont des Guadeloupéens. Des Guadeloupéens qui font justement partie de ceux qui sont discriminés : les mille personnes qui quittent le système scolaire chaque année, qui ne trouvent pas de travail. Dans un pays, la majorité est exclue de tout, du savoir, du travail, de l’insertion, il ne faut pas s’étonner après des dérives et des déviances à tous les niveaux dans la société.

Nous sommes majoritaires en Guadeloupe, nous sommes exclus de tout.

Certains vous accusent de jouer le jeu de Jégo et Michaux-Chevry. Que leur répondez-vous ?

Ceux qui disent ça, refusent d’assumer leurs responsabilités. Je ne suis sur aucune liste. Le collectif n’a pas l’ambition d’aller ni aux législatives, ni aux régionales, ni à aucune élection locale, ni à l’assemblée unique. Ce qui est navrant dans ce petit pays-là, c’est que quand quelqu’un se bat c’est forcément qu’il est piloté ou manoeuvré par quelqu’un.

J’invite tous ces gens à se mettre plutôt au travail pour faire avancer les choses et donner gain de cause aux Guadeloupéens.

A chaque conflit, on constate une dérive d’exclusion. Des gens se plaignent de racisme, d’entendre blan dewo ?

Les blancs sont victimes de discrimination en Guadeloupe ? C’est ça la question ? J’aimerais bien qu’on me prouve ça. Il faut être très sérieux sur ces questions-là. Les victimes dans cette histoire, c’est qui ? Nous sommes majoritaires en Guadeloupe, nous sommes exclus de tout. Les entreprises à Jarry sont dirigées par des métropolitains, n’embauchent que par des boîtes d’intérim et des cabinets de consultants dirigés par des blancs qui ne recrutent que des blancs. Tout l’encadrement des grandes entreprises en Guadeloupe est blanc. Dans les administrations, tous les grands services sont dirigés par des blancs. Et on veut me dire que les blancs sont victimes de discrimination en Guadeloupe ?

Aujourd’hui, la majorité originaire des communautés africaines et indiennes, n’a aucun pouvoir dans ce pays. Il y a deux ou trois Guadeloupéens qui sont chefs de service à l’Assedic ou bien à l’ANPE, à l’Adi, pour gérer le RMI, à la CGSS pour gérer la CMU. Tout ce qui concerne la misère. Les vrais champs de pouvoir politique, financier, ce ne sont pas les Guadeloupéens d’origine africaine ou indienne qui les détiennent.

Par contre, sur les terrains de football, de handball, sur les pistes d’athlétisme, là on nous connaît bien. On est capable d’être capitaine de l’équipe de France, de courir sur les stades, mais on n’est pas capables de diriger. J’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi ;

Source : France Antilles,
27 janvier 2009

Publié par la Rédaction le mardi 27 janvier 2009
Mis à jour le lundi 27 juillet 2009

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