Origine du document
   >Site : http://ugtg.org
   >Page : spip.php?article1317
   >URL complète : http://ugtg.org/spip.php?article1317

Élie Domota : « Nous persistons dans notre démarche unitaire »

Par Tiennot Grumbach, avocat
>Mots-clés : LKP  Accord Bino  26 octobre 2010  ADN Awa ! 
 

L’Humanité - Jeudi 28 octobre 2010

Élie Domota : « Nous persistons dans notre démarche unitaire »

Guadeloupe, Martinique et Guyane à nouveau en ébullition sociale. Après la grève du 26 octobre, un nouveau rendez-vous est fixé le 14 décembre. Dialogue avec élie Domota, secrétaire général de l’UGTG et porte parole du LKP.

Quand j’ai quitté les locaux de l’UGTG le vendredi 22 octobre, nous étions convenus avec Elie Domota que je l’appellerai de France pour connaître l’ampleur de la manifestation du 26 octobre appelée par LKP.
A minuit heure de Paris, c’est ce que j’ai fait. Elie m’indique alors que la manifestation a rencontré un très large écho dans la population guadeloupéenne. Malgré la pluie 20 000 personnes se sont rassemblées à l’appel des 48 organisations formant LKP. Il n’y a eu aucun incident, la Police étant restée cantonnée autour de la sous préfecture pendant que la manifestation se déroulait dans les rues de Pointe à Pitre. Il me dit que ce rassemblement de masse a renforcé la confiance des responsables de LKP dans leur volonté de poursuivre les luttes sur la plateforme commune qui les rassemblent depuis plus de 2 ans autour de l’application de l’accord BINO. La décision a déjà été prise de poursuivre l’action par une nouvelle journée d’action à avec appel à la grève générale le 14 décembre prochain.Avec d’autres camarades avocats, cela fait plus de 15 ans que je me rends en Guadeloupe pour des formations de juges prud’hommes du collège salarié. L’UGTG est l’organisation syndicale majoritaire aux élections prud’homales. Depuis la création de LKP, les organisations syndicales de Guadeloupe travaillent ensemble. Elie Domota est tout à la fois le secrétaire général de l’UGTG et le porte-parole de LKP. Au cours d’entretiens avec lui soit dans son bureau soit dans la grande salle du « Palais » de la Mutualité de Pointe à Pitre qui sert de siège au LKP, je lui ai posé toute une série de questions.

Comment expliquer la persistance du niveau de mobilisation en Guadeloupe depuis la signature le 26 février 2009 de l’accord BINO par LKP et une partie du patronat de Guadeloupe en dehors du MEDEF et de la CGPME ?

« Tu sais depuis le 5 décembre 2008, quand nous avons décidé de travailler ensemble, nous n’avons pas cessé de nous rencontrer. On se voit une fois par semaine, le lundi matin, à la Mutualité. Nous persistons dans notre démarche unitaire pour l’application des accords BINO, notamment sur les salaires. Notre combat va rebondir sur cette question au fur et à mesure que l’État et les collectivités territoriales se désengagent ».« Tu te souviens que dans l’accord BINO nous avons obtenu une augmentation de salaires pour tous les salariés, dont le salaire de base (hors primes et accessoires de salaire) est égale au SMIC et jusqu’à 1.4 SMIC inclus Ils devaient voir leur revenu mensuel augmenter de 200 € Net. L’État et les collectivités territoriales devaient verser une partie de cette augmentation par une contribution provisoire sur une durée de 3 ans. Ainsi la première année la part de l’employeur était de 50 € pour les entreprises allant jusqu’à 100 salariés et de 100 € au-dessus. L’État devait verser 100 € et la collectivité territoriale 50 €. Or l’État et les collectivités territoriales n’ont pas appliqué loyalement leurs engagements. Au lieu de calculer l’augmentation sur 1.4 SMIC Net, ils ont décidé unilatéralement de prendre 1.4 SMIC Brut. Cela a privé des milliers de salariés de leurs droits. Nous maintenons notre demande d’application de l’accord BINO sur ce point, comme sur d’autres. Nos mobilisations actuelles s’appuient sur la détermination des salariés à voir appliquer l’accord qui devait prendre effet le 1er mars 2009. Sur ce point comme sur d’autres, nos organisations consultent en permanence les travailleurs pour que nous validions les orientations du LKP. Comme tu as pu le voir toi-même, nous organisons régulièrement des assemblées et des meetings dans les communes auxquelles participe l’ensemble les organisations de LKP. C’est ainsi que nous préparons nos mobilisations comme celle du 26 octobre. Tu le sais pour cette date, nous nous sommes coordonnés avec nos camarades de Martinique et de Guyane. Nous nous étions réunis le 14 septembre à Cayenne avec le « collectif du 5 février » de Martinique et l’Union des Travailleurs Guyanais. Nous approfondissons notre plateforme commune. Elle nous permet de nous mobiliser ensemble sur les sujets qui nous sont communs ».

A un autre moment j’ai interrogé Elie sur la difficulté de faire vivre ensemble 48 organisations diverses allant de partis politiques et de syndicats différents, à des associations de consommateurs, des associations de défense de l’environnement, des organisations de défense des locataires, des mouvements culturels etc.

« Il est vrai que chacune des 48 organisations voudrait que le LKP soit à sa propre image, presque sa copie conforme. Mais le LKP est une structure vivante qui ne ressemble ni à l’UGTG, ni à la CGTG, ni à aucun parti, association et mouvement qui le compose. Le LKP c’est une création des 48 organisations qui ne peut reproduire l’image de chacune d’entre elles. C’est clairement une organisation anti-capitaliste et anti-colonialiste qui est en mouvement, en création permanente, et avance en se construisant et se construit en avançant ».
Elie Domota bénéficie d’une grande popularité. En se promenant dans le quartier où sont situés les locaux de l’UGTG face au « Palais » de la Mutualité, on peut en prendre la mesure. Il est interpellé à tout moment dans la rue. Ainsi un vieux guadeloupéen l’arrête et lui dit : « Elie, tu sais je crois que la Guadeloupe est déjà dans son cercueil ! Toi que proposes-tu pour l’en sortir ? ». La discussion s’engage. En quelques secondes y participent un grand nombre de personnes. Elie met en avant qu’il ne peut avoir de réponse toute faite. Il va falloir du temps pour dégager les perspectives qui rassemblent le peuple travailleur de Guadeloupe.

Un autre jour, une bagarre entre lycéens s’est déclenchée tout près des locaux de l’UGTG. Un des jeunes a été frappé d’un coup de couteau. La tension est montée très rapidement. La Police était absente. J’ai vu Elie passer d’un groupe à l’autre pour calmer les partisans de l’un et de l’autre. J’ai vu ces jeunes qui s’apaisaient au fur et à mesure que ses paroles et ses gestes trouvaient écho en eux.

Quand la Police est arrivée, le calme était revenu dans la rue. La plupart des lycéens étaient retournés en cours. La Police et les ambulanciers ont pu faire leur travail sans que quiconque ne proteste. Il faut ajouter que d’autres dirigeants de l’UGTG bénéficient également d’une grande notoriété, tissée depuis plus de 30 ans dans les différents secteurs d’activité du syndicat. Il est clair que cette popularité ne touche pas l’ensemble des catégories de la population guadeloupéenne. Il est par contre évident que dans la phase actuelle du mouvement, le style particulier d’Elie contribue à sa popularité. Il manie tout à la fois l’humour, l’anecdote et la fermeté sur l’orientation. Cela fait de lui un porte-parole efficace de LKP.

C’est pourquoi j’ai voulu approfondir avec lui une question qui me semblait délicate puisqu’il cumule la fonction de secrétaire général du principal syndicat guadeloupéen et celle de porte parole du LKP :

« Il est vrai que ce n’est pas facile » répond Elie. Il ajoute : « Parfois même au sein de l’UGTG on me demande si je ne suis pas d’abord le porte-parole du LKP plutôt que le secrétaire général de l’UGTG. A l’inverse d’autres à l’extérieur de l’UGTG, se demandent si le LKP n’est pas une simple extension des orientations de notre syndicat. Il faut dire que cette situation s’est imposée à nous. Elle n’a pas été réfléchie par quiconque. A la première réunion de ce qu’allait devenir LKP, les organisations m’ont désigné comme porte-parole. Sans que l’on sache pourquoi, cette formule fonctionne encore. Nous en discutons régulièrement avec l’ensemble des autres organisations : la CGTG, les associations, l’UTA … Forcément les dirigeants de chacune des organisations entendent exister en tant que tels. Parfois l’un d’entre eux peut estimer que le porte-parole lui fait de l’ombre. C’est une question que nous discutons franchement. Pourtant j’ai tendance à inverser la manière de la poser. Le peuple guadeloupéen s’est approprié la personne du porte-parole que je suis. Comme je viens de le dire, cela fonctionne bien. Chacune des organisations peut se renforcer mais l’essentiel consiste à renforcer LKP comme force collective. Dans tous les cas ce qui acquis par nous tous, c’est que je ne suis qu’un porte-parole, que nous prenons les décisions en commun, que nous prenons le temps nécessaire pour nous unifier en discutant, chaque fois, aussi longtemps qu’il le faut. Le porte-parole n’est pas chef de parti, il n’est pas un sauveur suprême. Il n’est que porte-parole, ce n’est pas rien mais ce n’est pas tout ».
Au cours de mon dernier déplacement de ce mois d’octobre, j’ai pu constater que l’UGTG ne réduisait pas son implantation à l’organisation des salariés mais aussi des travailleurs artisans et petits patrons notamment dans les transports. A titre d’exemple, l’UGTG organise les transporteurs privés indépendants. L’UGTG défend aussi des gérants de stations services en lutte contre les grandes sociétés internationales de distribution des produits pétroliers. Cette particularité permet de comprendre que, autant l’UGTG que LKP puissent ainsi irriguer des mobilisations populaires en dehors même du combat traditionnel des organisations syndicales.

Deux nouveaux fronts de lutte ont été ouverts par LKP. L’un s’attache à la place de la langue créole dans la vie de la société guadeloupéenne comme langue régionale et l’autre concerne le refus des syndicalistes interpellés par la Police ou condamnés à l’occasion d’actions syndicales de consentir au prélèvement ADN.


« Tu sais la langue créole, c’est notre langue maternelle. Dès la fondation de l’UGTG, ce n’est pas d’aujourd’hui, nous avons décidé que notre langue serait la langue de la négociation avec les employeurs. C’est la langue dans laquelle nous nous exprimons le mieux et qui fait que les travailleurs nous comprennent. De plus la Charte Européenne sur les langues régionales retient qu’il est possible d’utiliser ces langues lorsqu’elles sont parlées par la majorité de la population, dans une région donnée. Cet attachement à la langue créole est l’un des points d’ancrage de l’UGTG comme du LKP. Actuellement nous sommes confrontés au refus de certains magistrats de voir nos militants s’exprimer en créole. A Pointe à Pitre, la question est désormais réglée, le Tribunal fait appel à des interprètes si c’est nécessaire. A Basse Terre, un magistrat de la Cour d’appel, a exigé d’une de nos camarades qu’elle s’exprime en français. Elle a refusé d’où ces incidents. Pour nous cette position était d’autant plus inacceptable que notre camarade était poursuivie pour avoir tenu des propos diffamatoires et injurieux … mais elle les avait tenu en créole au cours d’un meeting de notre syndicat. Nous ne voulons pas accepter que certains, jusque dans la justice, veuillent nous effacer de notre histoire, qu’ils veuillent nous acculturer. Ils agissent comme si nous en étions encore à l’époque du code noir où l’on ne pouvait parler, chanter, s’exprimer dans sa culture qu’après l’accord du maître. Il en est de même sur la question de l’ADN. On entend pénaliser l’activité des militants syndicaux lorsqu’ils sont interpellés au cours de manifestations ou lorsqu’ils sont condamnés à des peines correctionnelles après tel ou tel conflit du travail. Nous ne voulons pas être enregistrés dans les fichiers comme si, syndicalistes, nous étions des délinquants. C’est pourquoi nous refusons les prélèvements ADN. Le vendredi 22 octobre, deux de nos responsables ont comparu à la Cour d’appel de Basse Terre pour refus de prélèvement ADN. Bien entendu ils se sont exprimés en créole. Le Parquet a demandé une condamnation à une peine avec sursis et 1 000 € d’amende. Comme nous n’entendons pas interrompre ce combat, il est probable que d’autres de nos responsables, auront à affronter les mêmes difficultés. Nous verrons ! »

Tiennot Grumbach

Source : L’Humanité.fr

Publié par la Rédaction le vendredi 29 octobre 2010

Forum article

Aucune réaction pour le moment !