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Occupy Wall St. : Panique chez les ploutocrates, par Paul Krugman

 

Dans une chronique, "Panique chez les ploutocrates", Paul Krugman, éditorialiste du New York Times et prix Nobel d’économie 2008, affirme que le centième de pourcent le plus riche des Etats-Unis panique. Pour Krugman, cette panique est décelable à la lecture de leurs réactions hystériques, injurieuses, quand elles ne sont pas ridicules, aux critiques les plus modérées du système économique et financier.

Il reste à savoir si les manifestations du mouvement Occupy Wall Street changeront la donne en Amérique. Cependant, les manifestants ont déjà déclenché des réactions hystériques remarquables de la part de Wall Street, des très riches en général ainsi que des politiciens et observateurs à qui l’on peut faire confiance pour servir les intérêts du centième de pourcent le plus aisé.

Et cette réaction en dit long sur quelque chose d’important - à savoir que les extrémistes qui menacent les valeurs américaines sont ce que Franklin Delano Roosevelt appelait les "royalistes économiques", sûrement pas les gens qui campent à Zucotti Park.

Tout d’abord, observons comment les hommes politiques républicains ont dépeint les manifestations, d’abord modestes puis plus importantes, qui ont donné lieu à des confrontations avec la police - ces confrontations semblent avoir généré beaucoup de réactions excessives de la part de la police - mais rien qui ressemble à une émeute. Et jusqu’à présent, rien ne rivalise avec ce qui s’est passé lors des rassemblements du Tea Party à l’été 2009.

Néanmoins, Eric Cantor, le leader de la majorité à la chambre des représentants, dénonce des "bandes" et le fait de "monter les Américains les uns contre les autres". Les candidats du Grand Old Party (les républicains) à la présidence en rajoutent, avec Mitt Romney accusant les manifestants de mener la "lutte des classes", pendant qu’Herman Cain leur colle l’étiquette d’ "anti-Américains". Cependant, mon préféré reste le sénateur Rand Paul qui s’inquiète, on ne sait trop pourquoi, du fait que les manifestants se mettent à voler des iPads, parce qu’ils pensent que les riches ne méritent pas d’en posséder.

Michael Bloomberg, maire de New York et géant à part entière du secteur financier, s’est montré un peu plus modéré mais a quand même accusé les manifestants d’essayer "d’arracher les emplois à ceux qui travaillent dans cette ville", une affirmation qui n’a rien à voir avec les objectifs du mouvement.

Et si vous avez écouté les têtes pensantes sur CNBC, vous avez appris que les manifestants "font flotter leur drapeau digne d’un phénomène de foire" et sont "dans la lignée de Lénine".

Il faut comprendre tout ceci en se rendant compte que cela fait partie d’un syndrome plus important, qui fait que les Américains aisés bénéficiant d’un système déréglé en leur faveur réagissent avec hystérie à toute personne qui met justement le doigt sur ce dérèglement du système.

Peut-être vous souvenez-vous que l’année dernière, bon nombre de ténors du secteur financier sont sortis de leurs gonds après une critique très mesurée du président Barack Obama. Ils ont accusé Obama d’être pratiquement socialiste parce qu’il soutenait la règle de Volcker, qui empêchait simplement les banques soutenues par des garanties fédérales de s’engager dans des spéculations risquées. Et pour ce qui est de leur réaction aux propositions de combler la faille permettant à certains d’entre eux de payer remarquablement peu d’impôts - eh bien Stephen Schwarzman, PDG de Blackstone Group, les a comparés à Hitler envahissant la Pologne.

Et puis il y a cette vendetta contre Elizabeth Warren, la réformatrice financière maintenant candidate aux sénatoriales dans le Massachusetts. Il n’y a pas si longtemps une vidéo sur YouTube montrant Warren exposer de façon éloquente et réaliste ses arguments en faveur de l’imposition des riches s’est propagée très rapidement. Rien de ce qu’elle disait n’était radical - ce n’était rien de plus qu’une version moderne du célèbre axiome d’Oliver Wendell Holmes, à savoir que "lorsque je paie des impôts j’achète la civilisation."

Mais à écouter les défenseurs acharnés des gens riches, on pourrait penser que Warren incarne un second Leon Trotsky.

George Will a déclaré qu’elle avait un "plan d’action collectiviste" et qu’elle croyait que "l’individualisme est une chimère". Et Rush Limbaugh l’a traitée de "parasite qui déteste son hôte. Elle espère le détruire alors qu’elle le vide de toute sa substance".

Que se passe-t-il donc ? La réponse se trouve certainement dans le fait que les Maîtres de l’Univers de Wall Street se rendent compte, au tréfonds de leur âme, que leur position est moralement indéfendable. Ils ne sont ni John Galt, ni même Steve Jobs. Ce sont des gens qui sont devenus riches en trafiquant des montages financiers complexes qui, loin d’amener de vrais bénéfices aux Américains, nous ont poussés dans une crise dont le contrecoup continue de gâcher la vie de dizaines de millions de nos concitoyens.

Ils n’ont cependant rien payé. Leurs institutions ont été renflouées par les contribuables, avec très peu de comptes à rendre. Ils continuent de bénéficier de garanties fédérales, explicites et implicites - concrètement, ils jouent encore au jeu de pile, ils gagnent, face les contribuables perdent. Et ils sont les bénéficiaires de failles dans les impôts qui font que dans bon nombre de cas, des multimillionnaires ont des taux inférieurs à ceux d’une famille de classe moyenne.

Ce traitement de faveur ne résiste pas à un examen minutieux - et c’est pour cela, de leur point de vue, qu’il ne doit pas y avoir d’examen minutieux. Quiconque montrant l’évidence, même de manière calme et mesurée, doit être diabolisé et mis hors-jeu. En fait, plus une personne est raisonnable et mesurée dans ses critiques, plus il est urgent de la diaboliser, d’où le dénigrement acharné contre Elizabeth Warren.

Alors, qui donc est anti-Américain ici ?

Pas les manifestants qui essaient simplement de se faire entendre.

Non, les vrais extrémistes aujourd’hui sont les oligarques d’Amérique qui veulent supprimer toute critique quant à l’origine de leurs richesses.

PAUL KRUGMAN

Source : RTBF.be
Article original (anglais) : New York Times | 09 octobre 2011

Publié par la Rédaction le samedi 15 octobre 2011

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