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L’humanité : Élie Domota « En Guadeloupe, le combat contre la pwofitasyon continue ! » Entretien réalisé par Tiennot Grumbach, Avocat

« Dans un cri s’est levée une île Avec son ceinturon de mer sanglé » Sony Rupaire, militant et poète
 

Article paru dans l’Humanité.

Élie Domota « En Guadeloupe, le combat contre la pwofitasyon continue ?! »

Porte-parole du LKP, le grand rassemblement qui a conduit le mouvement populaire historique de 2009 en Guadeloupe, Élie Domota fait le point de la situation sur l’île, dans un entretien accordé, pour l’Humanité, à l’avocat Tiennot Grumbach. Face aux tentatives patronales de remettre en cause les acquis de 2009 et à la répression antisyndicale, le LKP affiche sa détermination.

« Dans un cri s’est levée une île Avec son ceinturon de mer sanglé » Sony Rupaire, militant et poète

Peux-tu nous indiquer quels sont les faits saillants qui marquent la société civile guadeloupéenne au début de cette année 2012 ?

Élie Domota. La priorité des élus n’est autre que la préparation de l’élection présidentielle française. La situation économique et sociale est désastreuse : 25% de la population est illettrée ; 33% de la population active et 60% des jeunes est au chômage.

Et pourtant, leur seule préoccupation demeure les prochaines échéances électorales.

À ce titre, plusieurs congrès des élus ont été organisés en fin 2011 afin de donner l’illusion aux Guadeloupéens que leur souffrance est prise en compte. En réalité, il n’en est rien. Toutes les positions des élus consistent à rendre le mouvement social responsable du désastre économique. Il faut faire peur afin de détourner les travailleurs de la réalité de leur vie. Bien entendu, ces manœuvres sont accompagnées par une farouche répression qui frappe toutes celles et ceux qui osent dire non. Pas moins d’une vingtaine de nos camarades sont mis en examen pour des faits liés au mouvement de 2009.

Mais, malgré les intimidations, le mépris, les pressions, les provocations, la répression et la campagne de diabolisation organisée avant l’élection présidentielle, les travailleurs et le peuple ne sont pas dupes. Un récent sondage commandé par la région Guadeloupe nous donne des indications quant à l’état d’esprit des Guadeloupéens.

À la question ? : « Si un nouveau grand mouvement de contestation sociale se développe dans les mois qui viennent en Guadeloupe, quelle sera votre attitude », ils sont 51% à déclarer être prêts à soutenir ce mouvement de contestation sans y participer et 17% se disent prêts à descendre dans les rues.

À la question ? : « En qui avez-vous le plus confiance pour améliorer la situation en Guadeloupe ? », les Guadeloupéens déclarent prioritairement faire confiance à eux-mêmes et à leurs proches. En second lieu vient l’État. Et c’est LKP qui arrive ensuite, au même niveau que la région et avant le département. Ce sondage confirme donc la défiance, voire la méfiance, des travailleurs et du peuple de Guadeloupe envers les élus. Tous ont désormais compris l’impérieuse nécessité de lutter contre l’exploitation capitaliste et colonialiste afin de construire une autre Guadeloupe.

Et le patronat ?

Élie Domota. Pour le grand patronat, l’heure est à la remise en cause des acquis et singulièrement l’accord Bino. Ainsi, après avoir bénéficié des aides des collectivités et de l’État pour financer les 200 euros d’augmentation de salaire, les gros patrons (Medef) dénoncent les accords d’entreprise au moment même où elles devraient commencer à financer elles-mêmes les 200 euros. Les organisations et les travailleurs ne se laisseront pas faire.

Dans le secteur public, c’est la remise en cause des 40%. Ainsi, un maire socialiste, fidèle supporter de François Hollande, a décidé de supprimer les 40% pour tous les agents en congé maladie. Il s’agit d’une décision ayant pour objectif final la suppression de la « majoration outre-mer » sur l’ensemble des salaires de la fonction publique en Guadeloupe et plus largement en outre-mer. Les travailleurs affiliés à l’UGTG sont en grève.

Quand on est venu plusieurs fois en Guadeloupe depuis quinze ans, on constate une prolifération des grandes et moyennes surfaces, un développement des infrastructures, une diversité de l’offre dans la communication, une multiplication des institutions scolaires et universitaires, etc. Or, l’UGTG continue de dénoncer l’assujettissement de l’île au modèle colonial, à la mondialisation et à la pwofitasyon (1). Ce développement économique visible à l’œil nu crée-t-il des contradictions plus importantes avec une partie de la population de Guadeloupe ?

Élie Domota. Comme tu le sais, nous poursuivons, à notre manière, la ligne de nos fondateurs, qui soutenaient que « qui n’a pas fait d’enquête n’a pas le droit à la parole ». Nul ne conteste dans nos rangs l’existence d’améliorations du niveau de vie d’une partie de la population. Pour autant, depuis la départementalisation, rien d’essentiel n’a changé.

Dans le préambule de l’accord Bino, nous opposions le développement endogène à la domination exogène de l’économie de service des grands groupes de la distribution, du commerce, des transports, etc. Si le niveau de vie des moins défavorisés d’entre nous est certain, il est induit par la croissance de la consommation due notamment aux garanties des salaires des fonctionnaires et assimilés (25 ?% de la population active) et à la facilité d’accès aux crédits à la consommation de masse.

Notre production et nos échanges internes à la Guadeloupe ne cessent de se détériorer et de plonger dans la misère paysans, artisans, commerçants des centres-villes et petits patrons. Notre jeunesse est sans débouché professionnel gratifiant et se trouve contrainte à l’exil en France ou dans d’autres pays développés sans que rien ne soit entrepris pour une coopération économique et culturelle stimulante avec les îles voisines et le nord de l’Amérique du Sud.

Sur le plan syndical, nous avons commencé à tisser des liens avec les organisations de la région, notamment la Dominique, Trinité-et-Tobago, Sainte-Lucie, la République dominicaine et Haïti. À long terme, cet axe de développement pourrait nous permettre de sortir du système économique colonial où tout est importé ou délocalisé. Nous devons défendre notre agriculture et promouvoir l’industrie agroalimentaire. Notre agriculture est de type colonial, car axée principalement sur des cultures d’exportation et non pour nourrir les Guadeloupéens.

Nous importons tous nos produits laitiers de France. La mondialisation fait que même certains jus estampillés « production locale » sont en fait fabriqués localement avec des ingrédients importés. Pour toutes ces raisons, nous savons bien que la majorité du peuple guadeloupéen soutient notre combat pour un développement économique endogène qui respecterait notre identité et garantirait l’avenir.

À l’invitation de l’UGTG, j’ai participé à une réunion de vos responsables en présence de délégations de l’ensemble des syndicats représentatifs qui font partie de LKP, notamment la CGTG, CGT-FO, CFDT, l’Unsa. Quels étaient les objectifs de cette réunion ? Est-ce que la présence de toutes ces organisations syndicales fait sens ?

Élie Domota. Bien sûr que cette présence de tous a une portée essentielle. Je peux le dire en tant que porte-parole de LKP, car nous mettons tout en œuvre pour garantir cette unité la plus large possible entre toutes nos organisations.

Nous ne le faisons pas à partir des intérêts d’organisation de l’UGTG, mais dans le but de maintenir l’esprit de mobilisation et l’efficacité de notre rassemblement exceptionnel lors du mouvement de 2009. Si nous savons maintenir cette unité de lutte et cette écoute réciproque entre nos organisations, nous continuons à construire notre propre avenir.

C’est mon rôle depuis que les autres organisations m’ont assigné cette fonction de porte-parole, même si je suis secrétaire général du syndicat majoritaire. L’unité et la solidarité des travailleurs et des organisations restent essentielles pour lutter efficacement contre la pwofitasyon. C’est cette unité entre les travailleurs et le peuple en mouvement qui fait peur à l’État, aux élus et au patronat.

Peut-on en déduire que l’unité syndicale qui a marqué la constitution de LKP en 2009 se maintiendra à la veille de l’échéance des trois années d’engagement de mesures de soutien financier par l’État et les collectivités territoriales ?

Élie Domota. Non seulement je le crois, mais nous n’avons pas non plus le choix. Il s’agit de défendre l’ensemble des acquis des travailleurs. L’UGTG s’implique totalement dans la réussite du LKP. Une résolution a été prise et ratifiée en ce sens lors de notre dernier et 13econgrès. Cette volonté d’unité est toujours partagée par les autres organisations syndicales, même si chacune d’entre elles l’exprime au travers de sa propre sensibilité.

L’UGTG poursuit son propre développement, comme doit le faire chacune des autres organisations, mais LKP est le lieu de la confrontation de nos idées, de nos expériences, de la synthèse de nos réclamations et revendications. Nous nous réunissons d’ailleurs dans le Palais de la mutualité, que nous occupons depuis 2009. Il est ainsi devenu symboliquement le siège du LKP.

Au cours de ce « bokantaj » (2) du 6 janvier, avez-vous dégagé des points de mobilisation unitaire pour faire échec à la remise en cause des acquis de l’accord Bino ?

Élie Domota. Nous n’en sommes pas encore là. Mais je me réjouis d’avoir enregistré des convergences sur des questions essentielles qui vont alimenter nos réflexions, quelle que soit la forme que nous choisirons pour nos mobilisations futures. Nous voulons tous préserver les acquis de l’accord Bino.

Nous sommes d’accord pour rappeler aux signataires que cet accord visait un comblement du retard salarial accumulé et non un accord de salaire classique. C’est une réparation pour toutes les formes de pwofitasyon subies par les salariés, notamment les plus bas salaires. Nous entendons distinguer dans nos actions les organisations patronales qui ont signé l’accord Bino des grands groupes et entreprises qui appartiennent au Medef et à la CGPME, organisations patronales de France.

Ces organisations ont fait pression sur le gouvernement pour qu’il revienne sur les engagements pris par son ministre Jégo. Par la suite, elles ont signé avec nous des accords régionaux de branche ou d’entreprise qu’elles entendent désormais dénoncer. Nous estimons que ces dénonciations sont de véritables fraudes dans la mesure où ces entreprises ont eu trois années pour se préparer à prendre en charge le comblement du retard en bénéficiant des aides du conseil régional, du conseil général et de l’État à travers notamment le RSTA (revenu supplémentaire temporaire d’activité).

En signant ces accords séparés, ces sociétés ont bénéficié d’aides financières et d’exonération de charges sociales et fiscales. Au moment où ce serait à elles de prendre en charge ce comblement de salaire, ces entreprises entendent se dégager des obligations qui en étaient la contrepartie.

La crise mondiale ne devrait peser que sur le revenu des catégories populaires pendant que ces grands groupes continueraient à pratiquer la pwofitasyon ? : nous sommes tous d’accord pour dire que nous ne l’admettrons pas ?! Qu’ils se le disent. Nous allons nous réunir dans les toutes prochaines semaines pour approfondir nos réflexions, interpeller les pouvoirs publics et engager des actions, voire des actions judiciaires.

Tu sembles croire qu’il est possible de s’adresser aux juges pour faire valoir vos droits alors que nombre de vos détracteurs soutiennent que l’UGTG ne connaît que le rapport de forces frontal ? : la grève, l’occupation, le blocage, le refus de la négociation…

Élie Domota. Il s’agit purement et simplement de mensonges d’État et de certains médias. Nous avons démontré en 2009, pour ceux qui en doutaient, notre capacité à conduire des négociations sérieuses. C’est l’État qui est revenu sur ses engagements, notamment en refusant l’extension de l’accord Bino initial que le Medef voulait paralyser.

Quant aux actions judiciaires, nous avons été contraints, par les offensives du patronat, de la répression antisyndicale et gouvernementale, à les subir. Le nombre de nos responsables et militants condamnés par le tribunal correctionnel et la cour d’appel de Basse-Terre en témoignent. Le nombre de militants et délégués licenciés, avec l’autorisation de l’administration du travail, dans des conditions qui soulignent l’alliance intime de la répression patronale et policière dans une société dominée par la tradition coloniale, est également un apprentissage difficile.

Ce type de situation nous a conduit à décider de ne plus subir et de prendre l’offensive sur le terrain du droit en prenant nos adversaires au piège de leur propre discours sur l’État de droit. Nous avons trop longtemps mis l’accent sur la défense de nos militants contre la répression, nous entendons désormais renforcer nos initiatives dans des actions offensives devant les conseils de prud’hommes et les juridictions civiles, voire pénales. À condition de s’inscrire dans notre démarche syndicale et dans nos priorités revendicatives, l’action juridique et judiciaire est l’un des instruments de notre représentativité et de notre légitimité.

(1) « Pwofitasyon » : surprofit.

(2) « Bokantaj » : échange.

Un syndicaliste à la tête du LKP. Élie Domota est secrétaire général de l’UGTG, syndicat majoritaire en Guadeloupe. Il est aussi porte-parole de Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), qui est l’organisation que se sont donné 48 associations, partis et syndicats. LKP les rassemble depuis le début 2009 et prolonge ainsi les acquis du mouvement contre les surprofits.

C’est à la fin de février 2009 que LKP et les organisations syndicales représentatives ont signé deux accords concomitants.

L’un qui portait la signature du préfet et des présidents du conseil régional et du conseil général, engageait financièrement l’État et des collectivités territoriales, par un abondement versé aux employeurs.

L’autre accord, une convention collective interprofessionnelle territoriale, organisait les rapports entre les signataires. Le Medef et la CGPME se sont refusé à signer l’accord Bino. Mais de nombreuses sociétés appartenant au Medef ont signé des accords d’entreprise en référence à cet accord.

Aujourd’hui, les organisations syndicales entendent réfléchir et agir ensemble pour que les employeurs ne remettent pas en cause les acquis du rattrapage de salaire à hauteur de 200 euros qui avait été consenti en février-mars2009.

Entretien réalisé par Tiennot Grumbach, avocat

Publié par la Rédaction le dimanche 12 février 2012

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