Origine du document
   >Site : http://ugtg.org
   >Page : spip.php?article1823
   >URL complète : http://ugtg.org/spip.php?article1823

En Guadeloupe, la profitasion continue : interview d’Elie DOMOTA par Samy ARCHIMEDE

 

Quelle est la situation sociale de la Guadeloupe trois ans après le grand mouvement social de 2009, mené par le LKP (1) ?

La situation sociale est tendue. Il y a actuellement entre 20 et 30 entreprises où les salariés sont en grève et où ils demandent l’application de l’accord professionnel (accord Bino (2)) sur les salaires, signé en 2009. Cet accord prévoyait une augmentation des bas salaires de 200 euros fi nancée par des aides de l’État pendant trois ans puis par les entreprises elles-mêmes à partir du 1er mars 2012. Aujourd’hui, à l’initiative des syndicats patronaux (le Medef et la CGPME) et de la FDSEA, une fronde est menée contre cet accord. Outre l’accord Bino, de nombreux engagements avaient été pris il y a trois ans par l’État et les collectivités.

Où en est-on aujourd’hui ?

Les engagements liés à l’encadrement des prix des produits de première nécessité n’ont pas été tenus. L’État était censé, à travers la répression des fraudes, sanctionner le non respect de ces engagements et prendre un décret en Conseil d’État pour encadrer ces prix, mais cela n’a jamais été fait.

Comment expliquer cela ?

Tout simplement parce que l’État s’est toujours rangé du côté des profi tants, et il ne bouge que quand le peuple est en colère. Ce sont les mêmes grandes entreprises qui fi nancent les campagnes électorales des présidents français, qu’ils soient de gauche ou de droite. Dans le domaine de la formation et de l’insertion de la jeunesse, un plan d’urgence était prévu mais
là encore, rien n’a été fait et nous sommes toujours champions d’Europe
du chômage des jeunes. Les autres engagements (prix des carburants, logement, transport, prix de l’eau, accès des cadres guadeloupéens aux postes à responsabilité, etc.) n’ont pas été tenus non plus. Cela fait près de deux ans que nous demandons au préfet, aux présidents des conseils général et régional et à la ministre de l’Outremer de réunir la commission de
suivi pour examiner les différents points du protocole d’accord. Mais nous ne recevons aucune réponse. C’est pour cela que, depuis trois ans, l’île est sous tension.

Que signifie le terme « profitation » ?

Sur le plan social, c’est une discrimination raciale directement organisée
par l’État. Sur le plan économique, ce sont des écarts de prix injustifiés. L’autorité de la Concurrence avait reconnu en 2009 qu’il y avait en Guadeloupe des marges absolument inadmissibles, des monopoles illégaux, des ententes illicites, etc.

Que faudrait-il dans cette île pour que les choses changent ?

Il faut un véritable projet de développement économique et social décidé par les Guadeloupéens euxmêmes et non depuis Bruxelles et Paris. Les politiques publiques mises en oeuvre par la France et l’Europe sont totalement inadaptées à nos réalités sociales et économiques. Au final, il s’agit purement et simplement de faire de la Guadeloupe une colonie de consommation destinée à recevoir les produits de l’Union européenne et de la France en particulier. Plus de 80 % des produits manufacturés consommés en Guadeloupe
proviennent de France.

La population guadeloupéenne n’est-elle pas découragée ?

Les gens restent mobilisés, 12 000 personnes ont manifesté à Pointeà-Pitre le 27 mars dernier. Le risque aujourd’hui, c’est qu’on aille vers une véritable explosion sociale.

C’est ma grande crainte. C’est ce que vous disiez déjà il y a trois ans… Il y a trois ans, le LKP avait réussi à fédérer toutes les forces sociales guadeloupéennes. Les gens savent très bien que c’est dans la lutte que les choses peuvent changer. Nous sommes conscients que le combat
est très difficile et qu’il faudra lutter longtemps. Le 3 octobre 2009, la ministre de l’Outre-mer m’avait dit que les accords [signés après la grande grève de 2009, NDLR] ne seraient pas respectés car cela reviendrait à remettre en cause les liens actuels qui existent entre la France et la Guadeloupe. Le problème est avant tout politique.

SAMY ARCHIMÈDE

(1) Le LKP, collectif contre la « profi tation », rassemble 48 organisations (associations, syndicats, partis politiques, organisations culturelles et artistiques).

(2) Cet accord porte le nom du militant CGT tué lors des manifestations de février 2009.

2009, année historique

À L’ISSUE DE LA PLUS LONGUE grève générale dans l’histoire de la Guadeloupe (44 jours), l’État français et les collectivités territoriales de l’île
avaient signé avec le LKP, en février et mars 2009, un double accord d’une portée considérable.

Rappel des principaux engagements pris :

– augmentation des bas salaires de 200 euros net (accord Bino du 4 mars 2009) ;

– baisse de la taxe d’habitation (9 %) et de la taxe foncière (7 %) ;

– baisse des prix des produits de première nécessité ;

– baisse de 3 à 10 % du prix de l’eau ;

– baisse de 5 à 10 % des tarifs bancaires ;

– gel des loyers (logement social) ;

– baisse de 20 % des tarifs des transports urbains ;

– plan d’urgence pour la formation professionnelle et l’emploi des jeunes ;

– priorité donnée aux Guadeloupéens pour les postes de cadres.

Publié par la Rédaction le jeudi 14 juin 2012
Mis à jour le mercredi 29 août 2012

Téléchargez les documents joints à l'article

Interview d’Elie DOMOTA
Fichier de type PDF
Poids : 229.4 ko
 

Forum article

Aucune réaction pour le moment !