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Une grève de 40 jours a secoué la Guadeloupe en janvier 2009. Un événement violent et médiatisé contre la “vie chère” qui a fait connaître les revendications dans l’archipel. Sur place, trois ans plus tard, les mobilisations continuent ; le conflit perdure.
Entretien avec Patrice Guillaume et Nesto Favel, tous deux membres de la direction du syndicat indépendantiste Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), invités par le syndicat LAB au Pays Basque. Le premier est représentant des secteurs nettoyage et sécurité, le second responsable des domaines sports et loisirs. Ce soir, à 19 heures, au Trinquet moderne de Bayonne, ils animeront une conférence.
En janvier 2009, les manifestations contre la “vie chère” impulsées par le LKP (collectif d’organisations syndicales, associatives, politiques et culturelles) ont mobilisé des milliers de Guadeloupéens dans la rue pendant 44 jours. Une mobilisation exceptionnelle menant, le 4 mars 2009, à la signature d’accords avec le gouvernement français. Aujourd’hui, quelle est la situation dans l’archipel ?
Nous pouvons dire clairement que les politiques et le gouvernement n’ont pas respecté leurs engagements.
Augmentation des salaires, baisse du prix des carburants, accès à l’éducation, à la formation pour les jeunes, etc. : nous avons signé des accords et jusqu’à maintenant, rien n’a changé.
Sur la transparence des prix, par exemple, ils ne respectent pas leurs engagements : nous avons même vu une double augmentation du prix de certains produits depuis le mouvement.
Il y a même des tentatives pour revenir sur certains acquis de la grève.
Dans quels cas ?
Nous avons signé, dans le cadre du mouvement social, l’accord Bino (en référence à Jacques Bino, syndicaliste de la CGTG décédé au cours de la grève), le 26 février 2009, qui prévoit l’augmentation de 200 euros des salaires au niveau du Smic pour que ce dernier atteigne les 1 500 euros brut.
L’Etat colonial français, associé au Medef qui n’est pas signataire de cet accord, ont, depuis, pris un arrêté d’extension pour étendre l’accord, mais l’ont modifié.
Cette prime a d’abord été répartie entre le Conseil général et le Conseil régional, l’Etat et le patronat. Progressivement, les partenaires publics se sont retirés et, dans de nombreux endroits, les patrons ont refusé de verser seuls les 200 euros.
Le but de l’Etat et du patronat est de faire disparaître l’augmentation du Smic pour ne pas que les travailleurs d’autres pays réclament, légitimement, un Smic à 1 500 euros. Mais en Guadeloupe, le Smic sera à 1 500 euros, qu’ils le veuillent ou non.
Quelles sont les autres revendications ?
Nous disons souvent en Guadeloupe que la revendication n’a pas de fin, c’est tout le temps, tout le temps, tout le temps.
La liste des revendications rédigée par le LKP reste intacte. Elle a été signée, tout doit être appliqué. Cela englobe un programme global, notamment concernant l’avenir de la jeunesse. Nous avons besoin d’un pôle de formation pour les jeunes.
En Guadeloupe, 60 % des jeunes de 16 à 25 ans sont au chômage. Et dans ces 60 %, plus de 45 % n’ont pas de diplôme. Il faut trouver une alternative de formation pour ces jeunes, pour qu’ils soient insérés via la formation au monde du travail.
Les revendications comportent-elles aussi un volet plus politique ?
Le mouvement social guadeloupéen n’est pas au singulier. De par la revendication des travailleurs rejaillissent forcément des revendications politiques.
L’objectif pour notre syndicat est de construire une autre Guadeloupe, de nouveaux rapports avec la France et d’autres pays. L’UGTG est un syndicat indépendantiste. Notre territoire est particulier. Nous sommes à 8 000 km de la France. Nous avons des façons de voir les choses, de fonctionner qui nous sont propres.
La mobilisation est-elle encore forte aujourd’hui ?
Le mouvement social en Guadeloupe ne s’est jamais éteint et ne s’éteindra jamais. Avec les grèves de 2009, nous avons fait un grand pas en avant au niveau de l’élévation de la conscience du peuple et des travailleurs.
Nous avons entamé une véritable “guérilla sociale”. Cela se traduit par le blocage des entreprises, des assemblées générales, des listes de revendications et des piquets de grèves. Nous maintenons en permanence la pression sur l’Etat et les patrons. Que cela soit dans le domaine public ou dans le privé.
C’est depuis le début de nouvelles mobilisations, le 10 mai dernier, que nous avons fait le choix d’adopter cette stratégie. Tout le monde s’attendait à ce que l’on manifeste dans les rues. Nous avons marché pendant 44 jours en 2009, maintenant on ne marche plus.
Que vous inspire le changement de majorité à Paris ?
Nous n’attendons rien du nouveau gouvernement. Que cela soit la droite ou la gauche, ils suivent tous la ligne directrice de l’Europe, même si cela se fait de manière différente. Nous nous basons sur notre force et sur la lutte des travailleurs.
Victorin Lurel, président du Conseil régional de la Guadeloupe (en fonction depuis le 29 mars 2004, réélu le 15 mars 2010), réélu au poste député, est le nouveau ministre des Outre-mer…
Ce qui est intéressant pour nous, c’est que Victorin Lurel a signé, pour le Conseil régional, les accords du 4 mars.
Maintenant, il a aussi la signature de l’Etat. Nous verrons comment il va se débrouiller.
Président de la Région, sénateurs, député européen, députés réélus récemment : ces représentants du pays se cachaient derrière le gouvernement en place. Maintenant, ils sont au pouvoir : c’est la gauche, c’est eux. Ils n’ont plus qu’à respecter les engagements.
Vous êtes, en ce moment, en visite au Pays Basque. Invités par LAB vous avez rencontré des salariés en lutte. Quel est votre point de vue sur la situation rencontrée ?
Nous avons un dénominateur commun, c’est l’Etat français. Nous avons la même personne en face. Si elle est différente en Guadeloupe et au Pays Basque, les travailleurs doivent tous faire face à la répression.
Chez nous, la répression est vicieuse : notre ancien secrétaire général a été condamné à trois mois de prison, on cherche à licencier des employés dans les entreprises, etc.
Au Pays Basque, c’est plus une “force de frappe” : quand on voit qu’un ancien secrétaire général, dans l’Etat espagnol, est condamné à des années de prison pour ses activités au sein du syndicat…
Nous menons le même combat, mais de manière différente.
La pratique syndicale est-elle différente dans les deux territoires ?
L’engagement syndical est très différent en Guadeloupe par rapport à ce que nous voyons ici.
La différence se fait dans le rapport entre l’individu et son engagement personnel.
Chez nous, j’ai l’impression que nous sommes beaucoup plus passionnés par rapport à certains syndicalistes ici.
La pratique syndicale est dans nos tripes. Nous ne réagissons pas par rapport à une menace : si nous ne nous levons pas chaque matin pour mettre la pression, pour être debout, nous n’obtiendrons rien.
Nous considérons que c’est très important d’échanger là-dessus, mais aussi de créer la solidarité : entre l’UGTG et le syndicat LAB, c’est un engagement éternel.
Antton ROUGET