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Enjeux Economiques de la Canne, par Alain GAYADINE

Compte-rendu de sa conférence au Lycée des Droits de l’Homme
 

Bonjour à tous, le Lycée des Droits de l’Homme de Petit-Bourg m’a contacté pour me demander si je pouvais intervenir sur les "Enjeux Economiques de la Canne". J’ai évidemment accepté avec plaisir cette mission oh combien difficile, parce que je vois le plaisir que je fais partager aux guadeloupéens et encore avec beaucoup plus de plaisir aux jeunes guadeloupéens qui ont des perspectives en terme d’avenir. Il est nécessaire qu’il sachent un peu ce qui se passe en Guadeloupe et particulièrement sur le plan économique, au niveau de l’agriculture guadeloupéenne.

Je crois que je ne peux pas parler des enjeux économiques de la canne sans la situer dans son contexte. C’est donc par là que je vais commencer.

Le contexte, c’est d’abord la Guadeloupe en elle-même. Nous le savons, la Guadeloupe est un archipel avec une population de 422.000 habitants, une population active de 170.000 personnes, avec une population familiale agricole de l’ordre de 3,5%. Ce qui est important, c’est une forte, une très forte diminution par rapport à 1989 où on avait une population familiale agricole de 62.000 personnes.

Nous sommes aussi dans un pays dont le taux de chômage est très important avec près de 50.000 demandeurs d’emploi et je rappelle qu’il y a un certain nombre de dispositifs de formation en Guadeloupe qui font que les gens qui sont en formation à droite et à gauche ne font pas partie théoriquement des demandeurs d’emploi, c’est donc un chiffre qui est beaucoup plus élevé que le chiffre officiel, sans compter le nombre d’emplois précaires qui ne font pas partie des chiffres des demandeurs d’emploi.
Par ailleurs, il y a une population allocataire du RMI de 26.000 personnes ; c’est important pour un pays dont l’économie génère un PIB de l’ordre de 20 milliards de francs où la culture représente 5%, le BTP 20%, l’industrie agroalimentaire 3,5%.
Je précise tout de suite que cette industrie agroalimentaire consomme un infime partie de la production agricole locale ; par conséquent, c’est une industrie agroalimentaire qui fonctionne essentiellement à partir de produits importés. Sur les 3,5% du PIB que représente l’agroalimentaire, il faut noter que le sucre dont on parle aujourd’hui ne représente que 1,1 %, le rhum 0,2% et le reste est constitué par un certain nombre de petits produits de transformation, liqueurs, etc .

Nous importons en Guadeloupe pour plus de 10 milliards de francs (NDLR : 1.5 milliards d’euros) (chiffres de 1999) ; c’est tout ce que la Guadeloupe absorbe venant de l’étranger, et évidemment nous exportons et cette exportation concerne pour le moment principalement des produits agricoles, sucre, rhum, melons, etc .
Nos exportations représentant un peu moins de 800 millions de francs, l’écart est énorme entre les importations, plus de 10 milliards de francs, et les exportations, moins de 800 millions de francs, ce qui se traduit par des déséquilibres très nets et très inquiétants de la balance commerciale en Guadeloupe. Les services représentent 73% du PIB, ce qui veut dire que la Guadeloupe (ce sont des chiffres officiels, je ne les ai pas inventés, ce sont les statistiques de l’INSEE ou de la douane) est un pays de consommation qui ne produit pas beaucoup et qui est pays de services.

Voilà donc situé très rapidement au travers d’un certain nombre de chiffres le contexte économique dans lequel nous allons essayer de traduire les enjeux de la canne, de l’industrie sucrière.

Quand on parle des enjeux, il peut être intéressant de s’attarder sur ce que ça représente aujourd’hui, sur les perspectives envisagées et envisageables et je serai obligé de parler de la valorisation des sous-produits, même si cela empiète sur des interventions qui auront lieu après, mais je serais incomplet si je n’en parlais pas.

La canne aujourd’hui, c’est quoi ? Nous avons grosso modo aujourd’hui une superficie plantée en canne de l’ordre de 12.000 ha qui se situent pratiquement sur tout le territoire :

  • Marie-Galante pour près de 3.000 ha,
  • La Grande-Terre (des Abymes plus Anse-Bertrand, jusqu’à Saint-François) pour à peu près 6.600 ha,
  • Le Nord Basse-Terre (Petit-Bourg, Baie-Mahault, Lamentin, Sainte-Rose) pour environ 3.300 ha.

Depuis trois ans, nous assistons à un phénomène nouveau, la région de Capesterre qui était un bassin cannier florissant dans les années 50-60 voit renaître la culture de la canne sur son territoire en lieu et place de surfaces de bananes ; je vais vous expliquer ensuite pourquoi. Il y a déjà sur Capesterre quelque 150 ha plantés.

Voilà donc définie la surface en canne de la Guadeloupe. A qui appartient cette surface aujourd’hui ? On peut dire très honnêtement que pour l’essentiel, 90% des surfaces plantées en canne appartiennent aujourd’hui à des guadeloupéens ; des guadeloupéens pour la plupart petits planteurs de canne ; les phénomènes que nous connaissions il y a encore 30 ans, à savoir une économie de plantation avec des propriétaires d’usine qui possédaient la terre et qui cultivaient sur 2, 3 ou 5.000 ha de canne, n’existent plus.
Cette classe sociale de propriétaires fonciers a pratiquement disparu progressivement sur les trente dernières années ; il reste peut-être un millier d’hectares au total qui seraient encore la propriété de gros propriétaires fonciers, en particulier les surfaces qui sont autour de l’usine Gardel au Moule qui appartiennent encore à l’ancien propriétaire de Gardel, A. Despointes.

On peut donc dire qu’aujourd’hui, globalement les terres en canne appartiennent à des guadeloupéens, petits planteurs pour la plupart, il y a aussi 30 propriétaires moyens dont les exploitations vont de 30 à 150 ha.
Sur la Grande-Terre, autour de l’usine de Beauport, il y a environ 900 ha de plantation de canne, appartenant à 50% au Conseil Général et au Conseil Régional de la Guadeloupe et mis à la disposition d’une société pour l’exploitation.
Pour Grosse-Montagne, c’est pareil, le faire-valoir direct qui appartenait à M. Simonet, a été racheté par le Conseil Général de la Guadeloupe, on peut dire que plus 90% de la sole cannière de la Guadeloupe appartient sous une forme ou sous une autre à la collectivité guadeloupéenne, soit qu’il s’agisse d’une forme juridique regroupant des agriculteurs, sous forme de GFA (groupement foncier agricole), soit que les terres appartiennent aux collectivités locales territoriales, Conseil Général et Conseil Régional, soit qu’elles appartiennent encore à quelques petits propriétaires. Voilà situé pour vous ce que cela représente sur le plan du foncier.

Vous constaterez qu’il y a une évolution, un transfert de propriété du foncier, et cela me semble important quand on parle de poids de l’industrie sucrière dans l’économie de la Guadeloupe. Il faut savoir que le moyen de production qu’est la terre rentre quelquefois dans ce poids pour l’économie de la Guadeloupe, dans la mesure où il appartient à la collectivité guadeloupéenne sous différentes formes. Sur les dix dernières années, cela correspond à une production de 670.000 tonnes de canne, ce qui constitue malgré tout un rendement très faible, qui a plusieurs explications :

    1. Tout d’abord, il faut savoir que pendant longtemps, le planteur de canne n’a pas été rassuré sur son avenir, sur son devenir, par rapport aux incertitudes même qui planaient sur cette profession, et le devenir des usines ; c’est ce qui explique que les planteurs ne se soient pas véritablement engagés ;
    2. La deuxième explication est d’ordre climatique ; les aléas climatiques qui se succèdent, cyclones, sécheresse, parfois les deux sur une même année, agissent fortement sur la production : je n’aime pas dire, c’est une petite subtilité qui m’appartient, que la canne ne souffre pas de sécheresse, mais du manque d’eau à mon avis. Où est la différence ? Elle est de taille ! Un pays qui s’oriente vers l’agriculture devait se donner les moyens de la pratiquer dans de bonnes conditions comme cela se fait dans d’autres pays. La sécheresse est un phénomène naturel, qu’on ne peut pas combattre, encore que si, en limitant les déboisements, on pourrait espérer plus de pluie . Quand je dis qu’il y a manque d’eau, c’est qu’aucune volonté politique réelle n’existe de faire en sorte que l’irrigation devienne outil de production, en construisant des barrages là où il faut, quand il faut, et de façon à ce que ces barrages servent aux exploitations. Nous souffrons réellement de manque d’eau. Il faut rappeler que la première délibération du Conseil Général sur l’irrigation de la Grande Terre, date de 1971 ; cela fait donc 30 ans ; 30 ans après, on constate que le circuit d’irrigation mis en place, non seulement est insuffisant, mais que la SOGEA « repique » sur ce circuit pour redistribuer aux ménages. Cela prouve bien que le problème de la réserve d’eau en amont n’a pas été réglé ; voilà une deuxième cause de cette perte de production.
    3. La troisième cause pourrait se situer dans la responsabilité du planteur et de ses structures à un moment donné : Les structures en termes de pratiques culturales, d’encadrement technique, de conseils à fournir ont connu une période de « balbutiements » ; cela s’est progressivement amélioré, et on peut dire aujourd’hui que cet obstacle a disparu et que les structures d’encadrement, les techniciens sont aujourd’hui à la disposition du planteur pour produire correctement.

C’est donc la conjonction de ces trois grandes causes qui nous paraît être à l’origine de cette production moyenne de 670.000 tonnes sur les 10 dernières années qui nous paraît faible par rapport au potentiel.
Cela représente en moyenne 48.000/50.000 tonnes de sucre, destinées pour l’essentiel à l’exportation ; c’est là où on va voir, en termes de perspectives pour l’économie guadeloupéenne, comment faire pour que cette filière soit plus représentative. Aujourd’hui, le sucre roux, brut que nous produisons en Guadeloupe, arrive, soit à Marseille dans une grosse multinationale, appelée Saint-Louis Sucre, qui a une raffinerie de la Générale Sucrière, soit en Alsace dans une raffinerie du groupe Bernstein. Ce sucre raffiné, blanchi, on le trouve ensuite sur les marchés européens ; il y a une valeur ajoutée qui est tirée de ce produit (entre le sucre roux et le sucre raffiné) qu’on ne retrouve pas dans l’économie guadeloupéenne ; cette valeur ajoutée profite essentiellement au raffineur et au distributeur de ce sucre raffiné, ni à l’industriel sucrier de la Guadeloupe, ni au planteur guadeloupéen. Le planteur est payé sur la base de la quantité de sucre qu’on a pu tirer de sa canne au moment de sa livraison à l’usine de Gardel ou de Grande-Anse, à la richesse saccharine, et non sur la valeur ajoutée qu’elle génère. Voilà je crois, le noud du problème qui fait qu’on mesure très faiblement sur l’économie guadeloupéenne en termes macro-économiques le poids de cette industrie, puisque j’ai dit que cela représentait 1,1 % sur les 3,5 % de l’industrie agroalimentaire de notre pays.

Cependant, quand on décline ce que cela représente sur le plan économique et social pour la population guadeloupéenne, on se rend compte que cela représente un intérêt, un enjeu colossal. Pourquoi ? La canne représente :

    1. 5000 petits planteurs et leurs familles (4 personnes en moyenne), soit 20.000 personnes,
    2. C’est aussi plus de 500 transporteurs, propriétaires de tracteurs, camions qui transportent la canne du champ à l’usine et leurs familles, soit encore 2.000 personnes,
    3. Il y a encore 1.000 personnes, ouvriers agricoles sur les faire-valoir directs ou employées par des coopératives pour faire la récolte, et leurs familles, soit encore 4.000 personnes.

Ainsi, on se rend compte que la canne fait vivre en Guadeloupe environ 25.000 personnes pour à peu près 6.000 familles qui vivent de cette production. Certaines personnes parlent d’emplois induits, je n’emploie pas ce terme, je considère qu’il n’y a pas d’emplois directs ou d’emplois induits, soit il y a des emplois, soit il n’y en a pas : si on prend l’exemple de la personne qui vend les produits phytosanitaires, c’est un emploi qui est conforté par l’activité cannière, mais qu’elle n’a pas créé, puisqu’il vend pour les canniers, pour les bananiers, les maraîchers, etc .
La consommation locale de sucre représente 8.000 tonnes, mais nous importons 3.000 tonnes de sucre ; notre production est donc écoulée pour 5/6.000 tonnes. Tout le reste part pour les raffineries en France.
En ce qui concerne le rhum, la Guadeloupe dispose de ce qu’on appelle un contingent de rhum agricole réparti entre les différents distillateurs. En Guadeloupe, on produit deux catégories de rhum :

    1. Le rhum agricole qui est fait à partir de la fermentation et distillation du jus de canne après broyage (c’est le cas des rhum Montebello, Damoiseau, Bologne, Séverin, etc .) ;
    2. Le rhum industriel ou rhum de mélasse ; dans le jus de canne cuit, on ne retire jamais la totalité du sucre, il reste une partie de sucre non cristallisable dans une sorte de gros sirop que vous connaissez peut être et qu’on appelle mélasse ; cette mélasse peut être distillée et donner du rhum industriel ; à partir de ce rhum industriel, on peut également obtenir un rhum léger.

Pour le rhum agricole le contingent export est de 4.500 hl d’alcool pur, qui correspondent (il faut 2 litres de rhum à 50° pour faire 1 l d’alcool pur) à 900.000 litres de rhum de droit d’exportation vers la France sous un régime fiscal favorable. Quand vous allez dans un supermarché en France, vous n’allez presque pas trouver de rhum agricole de Guadeloupe, par contre vous allez trouver du rhum de la Martinique (St James, La Mauny, etc .) parce que la Martinique dispose d’un gros contingent de rhum agricole.

Nous produisons 26.000 hl d’alcool pur de rhum agricole, soit 5.200.000 litres de rhum agricole et on exporte 18.000 hl entre le rhum contingenté et le rhum hors contingent sous un régime fiscal où les droits sont plus élevés. Tout le reste, soit 8.000 hl, c’est-à-dire 1.600.000 litres de rhum est consommé en Guadeloupe ! (en riant) C’est grave, c’est très grave, j’attire votre attention là-dessus, et je ne compte la bière, le vin, etc .

Pour le rhum industriel, nous avons un contingent, c’est-à-dire la possibilité d’exporter sous un régime fiscal favorable, de 25.000 hl d’alcool pur, c’est-à-dire environ 5 millions de litres de rhum. Nous produisons 41.000 hl d’alcool pur de rhum industriel, une bonne partie est donc exportée hors contingent, c’est-à-dire sous un autre régime fiscal. La commercialisation du rhum industriel est de 23 à 26.000 hl d’alcool pur, nous atteignons ou dépassons le contingent qui nous est imparti.

Le litre de rhum agricole ou de rhum industriel, parti de la distillerie pour l’exportation coûte, quand le marché est favorable, départ bateau en Guadeloupe, 8 F le litre et peut descendre jusqu’à 5,80 F/6 F. Vous avez constaté que le prix d’un litre de rhum vendu au consommateur est de plus de 30 F, ce qui signifie que les distillateurs de la Guadeloupe en réalité gagnent « leurs sous », non pas sur le rhum export, mais sur les 1.600.000 litres qui sont vendus en Guadeloupe dans les supermarchés, parce que, passer de 6 ou 8 F à 30/35 F, la différence est très grande. Naturellement, il y a tous les services de mise en bouteille, de commercialisation, de marketing, de publicité, mais ils ont certainement une marge intéressante !

Cela me permet de « rebondir » sur une chose, le prix de la vente du sucre : nous vendons aux raffineurs de France 1 kg de sucre départ Guadeloupe à 3,50 F ; ce même sucre, vous le retrouvez dans les supermarchés sous forme de sucre raffiné blanc autour de 13 F/le kg, il y a des frais de raffinage, d’emballage, de rapatriement sur la Guadeloupe, mais le raffineur de Marseille ou d’Alsace perçoit une subvention européenne de Bruxelles de 2,30 F/le kg de sucre raffiné. Donc, il l’achète 3,50 F, mais en réalité, il lui revient à 1,20 F (3,50 - 2,30), coût réel ; pour arriver à 13 F, on constate que la marge du raffineur est énorme et qu’il est le seul à tirer profit, à tirer un véritable bénéfice de cette activité.

Ce sera la dernière partie de mon intervention, cela fait un moment que je « distille » .

Je pense qu’en réalité, le poids économique de la canne représente beaucoup plus que cela en termes d’enjeux.

En termes de perspectives, à mon avis, il est tout à fait possible que cette activité soit beaucoup plus rentable pour l’économie guadeloupéenne.

Parce que, pour le moment, la culture de la canne est rentable pour le planteur, contrairement aux idées véhiculées officiellement : On entend souvent, l’industrie sucrière doit être abandonnée, que c’est une activité déficitaire.

L’usine a peut-être une activité déficitaire parce qu’elle produit du sucre qui n’a pas de valeur ajoutée, mais, moi, en tant que planteur, je peux vivre de la canne. Aujourd’hui, je suis en mesure de garantir, d’affirmer et de prouver, chiffres à l’appui, que ça rapporte de l’argent à celui qui la cultive correctement. Celui qui produit 70 à 80 tonnes à l’hectare s’en sort ; si on fait 40/50 tonnes ce n’est pas la peine .

Deuxième chose, pour pouvoir vivre uniquement de la culture de la canne (je ne vais pas utiliser la langue de bois avec vous jeunes), 5 ou 8 ha ne suffisent pas pour vivre l’année (on n’aura pas le SMIC) pour celui qui n’est pas irrigué et fait de la canne avec le bon vouloir du temps. Il faut au minimum pour faire une seule activité agricole, la canne, 12 à 15 ha suivant les régions, si l’agriculteur s’installe et fait 100 % de son exploitation agricole en canne (je « dérape » un peu sur les perspectives en termes de sous produits). Par contre, l’agriculteur qui à 7/8 ha peut avoir un revenu très intéressant en intégrant la canne dans ce que nous appelons un système de production où la canne serait le « potomitan », l’axe principal de l’exploitation agricole, mais autour, on fait autre chose. Par exemple, sur 8 ha de terres, je conseillerais de faire 6 ha de canne, correctement cultivés ; à côté, suivant sa région, sa technicité, ses affinités, il peut faire de la diversification avec de l’ananas, des caprins, du maraîchage, etc ., des productions de haute marge brute sur les 2 ha restants, en sachant que le revenu de la canne est un revenu stable. Dans ces conditions, il peut vivre tout à fait normalement comme n’importe quel petit fonctionnaire en Guadeloupe. Si on veut vivre tout à fait normalement comme n’importe quel petit fonctionnaire, avec seulement de la canne (avec un revenu de 12/13.000 F pour 13 mois), il faut entre 12 et 15 ha de cannes correctement cultivés, chaque hectare rapporte entre 12 et 15.000F par an (soit un revenu annuel compris entre 144.000 et 225.000 F). La canne peut donc donner, avec des conditions de culture et de surface correctes, un revenu décent.

Pour revenir sur les perspectives, la canne dans le monde, c’est quand même 500 produits identifiés et fabriqués à partir de la canne. Il n’y a qu’en Guadeloupe qu’on parle de filière canne-sucre-rhum ; moi j’ai banni ce terme de mon langage, parce que c’est nous-mêmes qui limitons nos perspectives ; je parle plutôt de filière canne, car avec cette canne, on peut faire beaucoup de chose, j’en parlerai très vite .

La bagasse, obtenue après broyage de la canne, est utilisée pour produire de l’électricité à Gardel avec le charbon ; c’est aussi un élément qui entre dans la composition d’un excellent aliment pour le bétail, la bagasse hydrolisée ; sous l’effet d’un procédé physico-chimique avec la pression et la chaleur, les fibres de la bagasse sont éclatées, la rendant beaucoup plus digeste. Il n’y a pas de véritable élevage en Guadeloupe, c’est pourtant le moment de développer cette activité avec les problèmes de « vache folle » qui existent en Métropole ; nous importons 50% de la viande consommée en Guadeloupe ; il y a donc une opportunité de développer les troupeaux en semi-liberté ; ce qui permettrait à la fois de valoriser un sous-produit de la canne et de développer un élevage rationnel (en plus du bouf attaché qu piquet au bord de la route, qui constitue la « caisse d’épargne » du Guadeloupéen).

Deuxième chose, à l’heure où on parle d’agriculture propre, respectant l’environnement, on peut produire avec la bagasse, un engrais naturel (permettant d’utiliser le moins d’engrais chimiques possible) en la mélangeant avec les écumes (boues) de l’usine : on obtient un compost (c’est déjà le cas au Lamentin).

Par ailleurs, la France dispose d’un marché pour le sucre roux, tel que nous le consommons en Guadeloupe, de 50.000 tonnes, marché qui n’est pas alimenté du tout par notre sucre ; il est alimenté par du sucre venant du Brésil, de Cuba, de l’Ile Maurice. Il y a donc des possibilités de développer ce sucre-là en France. Il y a aussi en France une demande de sucre biologique : la canne broyée soit être biologique (sans engrais ni désherbent chimiques) : le sucre biologique serait vendu 12.000 F la tonne au lieu de 3.500 F la tonne pour notre sucre.
Sur le rhum, on peut aussi obtenir des produits de niche à forte valeur ajoutée comme l’alcool de parfum à partir du rhum industriel qui se vend très cher.

L’enjeu qui peut sauver l’industrie sucrière en Guadeloupe dépasse donc très largement le cadre de ce que cela représente aujourd’hui : le poids social est très important, les perspectives sont énormes en termes de production de valeur ajoutée qui serait profitable à l’économie guadeloupéenne, aux producteurs et industriels de la Guadeloupe. Par conséquent, ce secteur d’activité tant décrié, pourrait, si une volonté politique claire se manifeste, se développer.

Compte tenu des difficultés qui s’annoncent sur le marché international avec l’OCM Sucre, nous Guadeloupéens, devons saisir cette opportunité malheureuse pour développer une conception écologique en termes de qualité qui permettrait de continuer à exporter du sucre avec création de valeur ajoutée, qui constituerait une soupape de sécurité pour les difficultés qu’on pourrait connaître sur le marché international.

Je vous remercie de votre attention.

Alain GAYADINE
Secrétaire Général de l’UPG (Union des Producteurs de Guadeloupe).
22 février 2001

| Source : Site de l’académie de Guadeloupe

Publié par Auteur ext. : UPG le jeudi 22 février 2001
Mis à jour le mercredi 24 septembre 2008

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