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Mémoire des luttes : Naissance d’un syndicalisme de rupture

 

Les mois et les années qui suivirent les massacres des 26 & 27 mai 1967 furent marqués par une longue léthargie du Mouvement syndical qui avait carrément sombré dans l’oisiveté sociale et la démission intellectuelle. Toutefois un petit groupe de militants du GONG se constitue derrière deux hommes : "Jean" & "Max"...

Fin des années 60 : Un paysage social morose

A la veille des évènements de Mai 1967, le Mouvement Syndical en Guadeloupe se caractérise par une grande faiblesse, une profonde division et des dirigeants totalement discrédités aux yeux des masses. Seule une poignée d’éléments révolutionnaires tentent à l’intérieur des syndicats réformistes de mobiliser les travailleurs, plus sur un idéal de justice qu’autour d’axes revendicatifs.

Le développement des idées anti-assimilassionnistes se fait d’abord au sein des milieux intellectuels en France (AGEG), qui revenant en Guadeloupe s’engagent dans un travail d’agitation et de propagande politique. Axé autour de l’idée d’indépendance nationale et de révolution nationale démocratique, ce travail sera très lent à pénétrer les masses travailleuses et le mouvement syndical.

Lorsqu’en Mars 1967, à Basse-Terre, le commerçant SRINSKY lâcha son chien sur un cordonnier handicapé, la ville s’enflamma spontanément. La population de Basse-Terre se révolta, mit le feu dans certains établissements commerciaux et réclama vengeance [1]. Au delà, c’est tout le mécontentement qui s’exprimait par une par une exigence de justice, de travail et de mieux-être. La classe politique ne comprit pas le message et continua dans son train-train à s’agenouiller devant le pouvoir colonial. L’Etat colonial lui répondit par la répression et renforça son son système judiciaire et policier : d’autres troupes de gendarmes mobiles et de militaires anti-émeute affluèrent en Guadeloupe dans les semaines qui suivirent.

En mai de la même année, les ouvriers du Bâtiment se mirent en grève pour exiger de leurs patrons une augmentation de salaire de l’ordre de 2%. Déclenchée officiellement par deux organisations syndicales - La Fraternité Ouvrière (syndicat autonome dissident de la CGT) et la CGT elle même - la grève fût totale dans le Bâtiment et rapidement prise en main par les travailleurs eux-mêmes. L’ultime négociation eût lieu à la CCI de Pointe-à-Pitre, sise alors Place de la Victoire. Tout bascula lorsque le Président de la Fédération Patronale du Bâtiment déclara que "lorsque les ouvriers du Bâtiment auront faim ils reprendront le travail". C’était donc l’échec des négociations. La foule des manifestants qui avait considérablement grossi depuis le début de la matinée vit alors les forces spéciales concentrées dans la cour de la Sous Préfecture se déployer, les encercler et quadriller simultanément toute la ville. Un coup de feu était tiré par un des éléments des forces spéciales, provoquant la mort de Jacques NESTOR et donnant le signal de deux jours de massacres. Ce furent 87 Guadeloupéens (chiffre annoncé 17 ans après par le Ministre des DOM) qui furent froidement abattus, plusieurs centaines qui furent blessés par balles, et plus de 200 arrestations et incarcérations. Les procès qui suivirent tant à Pointe à Pitre qu’à Paris eurent un retentissement international [2].

C’est ainsi que l’Etat français noya dans le sang le mouvement de grève des ouvriers du bâtiment en utilisant le mécontentement des travailleurs pour décapiter un Mouvement Révolutionnaire qu’il craignait. C’en était donc pour l’Etat fini et du GONG et de toute velléité de remttre en cause l’ordre colonial établi. La peur née de l’esclavage des nègres remontait subitement à la surface et serrait à la gorge chaque Guadeloupéen.

Les choses semblaient avoir basculé dans l’autre sens. Le mouvement syndical ne réalisait ni l’ampleur ni la gravité des évènements qu’il venait de subir ; et se montrait incapable d’en tirer le moindre enseignement. Les militants de ce mouvement de masse pour la plupart jeunes et inexpérimentés rentrèrent chez eux et reprirent le travail avec amertume. Quant aux dirigeants syndicaux, ils reprirent tranquillement leurs pratiques réformistes comme si rien ne s’était passé.

Le mouvement syndical rentra dans l’anonymat et l’indifférence. Et pourtant un profond sentiment d’injustice mêlé à de la haine vis à vis du "Blanc" et du colonisateur se développait dans le coeur de chacun et notamment des jeunes ; mais c’était désormais le règne de la peur et des sentiments refoulés.

Les mois et les années qui suivent les massacres des 26 & 27 mai 1967 sont marqués par une longue léthargie du Mouvement syndical qui sombre carrément dans l’oisiveté sociale et la démission intellectuelle. Le mouvement révolutionnaire lui s’enlise dans d’obscures querelles et divisions internes : Le GONG ne survivra pas aux évènements de 1967 et au procès de 1968.


Début des années 70 : Naissance d’un syndicalisme de rupture

Toutefois un petit groupe de militants du GONG se constitue derrière deux hommes : "Jean" & "Max"...

Deux hommes vivant dans la clandestinité en Guadeloupe ; depuis 1967 pour Jean, qui, recherché après les massacres de Mai, avait refusé de se rendre et était condamné par contumace à trois ans de prison ; et depuis 1969 pour Max, porté déserteur en 1961 pour avoir refusé de faire la guerre d’Algérie dans les rangs de l’armée française. Max s’était d’ailleurs engagé dans les rangs du F.L.N. Algérien pendant la guerre et avait ensuite clandestinement regagné la Guadeloupe en 1969 après être passé par Cuba où il a séjourné quelques mois avec sa famille.

Ce noyau révolutionnaire qui s’appellera plus tard "Les démissionnaires du GONG", traqué par la police, entreprend un travail de longue haleine consistant en d’abord à mener la réflexion et à faire le bilan de toutes les expériences des luttes Guadeloupéennes de IGNACE & DELGRES (1802) à Mai 1967.

La Guadeloupe du début des années 70 se caractérise par une forte domination des usiniers et des gros propriétaires fonciers sur l’ensemble de la société. L’économie de plantation axée autour de la canne et de la banane contrôlée par un petit groupe de capitalistes français et une cinquantaine de gros békés constituait le pilier du système colonial français en Guadeloupe.

L’Etat Gaulliste s’était transformé en appareil de coercition dirigé contre la grande majorité de la population Guadeloupéenne.

Sur le plan international, c’est le début de la construction européenne et la France y joue un rôle essentiel. A son insu et au mépris de ses intérêts spécifiques, la Guadeloupe est intégrée de force par la France dans la Communauté Européenne.
Dans le même temps, galvanisés par les succès remportés par le FNL Vietnamien contre les Américains, les peuples du Tiers-Monde s’engagent résolument dans la lutte de Libération Nationale. La révolution chinoise et les thèses défendues par MAO TSE TOUNG, s’érigent en modèle universel inspirant l’ensemble du mouvement révolutionnaire international. Les révolutionnaires Guadeloupéens, sans pour autant créer un mouvement de type Maoïste, s’inspirent du modèle chinois, issu du milieu paysan, s’agissant notamment de l’approche méthodologique de l’enquête et des techniques de pénétration des milieux paysans en Guadeloupe.

En l’absence de débat idéologique et politique en Guadeloupe, le Groupe des démissionnaires du GONG, s’appuie sur le travail fait dans le milieu des étudiants regroupés au sein de l’AGEG. Des liens solides s’établissent entre ces deux mouvements et les échanges deviennent systématiques au point que l’AGEG devient le principal vivier d’où sortent la plupart des cadres du groupe des "Démissionnaires du GONG". Etudiant & Jeune militant de l’AGEG à ce moment là, celle-ci propose à Rosan MOUNIEN de rentrer en Guadeloupe pour contribuer au travail Révolutionnaire de l’époque. Il accepte avec enthousiasme, "sans se douter un seul instant que j’allais rencontrer deux hommes (Max et Jean) qui feraient bascule ma vie dans un univers que je n’avais au fond jamais imaginé".

Les deux leaders du groupe des "Démissionnaires" (Max & jean) avaient pris le parti de s’engager dans la recherche de la connaissance de la situation profonde des ouvriers et paysans de ce pays. Pour ce faire, ils vont pendant plusieurs mois travailler (en coup de main) et vivre avec ceux qui sont les plus démunis mais qui dégagent une force spirituelle considérable. C’est alors qu’ils décident de mener une enquête approfondie sur la situation économique et sociale, sur le mode de vie et sur les expériences de lutte des ouvriers et paysans de toute la région de Sainte-Rose.

Ce travail dure plus de 6 mois et, après la phase de bilan, il aboutit le 12 décembre 1970 à la création d’une organisation regroupant les ouvriers agricoles et les paysans pauvres : L’Union des Travailleurs Agricoles, L’UTA.

Une semaine après sa création, l’UTA se retrouve à la tête d’un mécontentement paysan à l’usine de Bonne-Mère à propose du paiement de la ristourne [3] de fin de campagne habituellement payée aux petits planteurs et aux colons partiaires [4]sur les cannes livrées en cours de récolte.
C’est donc en 1970 que le mode de paiement de la canne à la richesse saccharine était appliquée pour la première fois ; et pour la première fois les planteurs à la place de leur ristourne reçurent un bordereau de paiement avec un compte débiteur vis-à-vis de l’usine.

Ce même phénomène se produisit indistinctement dans toutes les usines de Guadeloupe et de Marie-Galante ; mais le hasard a voulu que ce soit les paysans de Sainte-Rose qui réagirent avec véhémence et entreprirent d’interpeller la Direction de l’usine Bonne-Mère. Les dirigeants de l’UTA prirent le dossier en main dans le but de traduire le mécontentement spontané en revendications générales.

A sa création, l’UTA regroupe deux catégories de travailleurs ayant des statuts juridiques différents : d’une part les ouvriers agricoles salariés et d’autre part les paysans, travailleurs indépendants. Mais ces deux catégories de travailleurs vivent dans les mêmes conditions sociales ; d’ailleurs ce sont les mêmes hommes et femmes qui exercent simultanément les deux métiers.
Les dirigeants de l’UTA étaient tous des travailleurs agricoles n’ayant aucune formation syndicale, la plupart sachant à peine lire et écrire ; mais tous avaient une détermination et une force de conviction qu’ils dégageaient dans leur langue maternelle, le créole.

Un homme parmi tous se dégageait comme leader naturel et reconnu : il s’agissait de Charles BALAGNE, 45 ans, ouvrier agricole qui fut élu Secrétaire Général. Il devait décéder quelques mois plus tard, tragiquement heurté par un véhicule dans la nuit du 4 avril 1971 durant la grande grève. Sa disparition reste un mystère non élucidé.

Publié par la Centrale UGTG le mercredi 3 juillet 2013

Notes

[3Une ristourne est une réduction de prix déterminée après facturation en fonction du volume des ventes réalisé
avec l’acheteur. En général, la somme lui est remboursée en fin d’année,
mais la contrepartie peut également prendre la forme d’un service rendu par le vendeur.

[4L’immigration massive de travailleurs à partir de 1852, principalement en provenance de l’Inde, est équivalente à une augmentation instantanée de la population adulte des zones sucrières et plus généralement d’agro-exportation d’environ 25 %, d’après les Statistiques coloniales. Il s’agit donc de la création d’un véritable volant de chômage qui participe grandement au retournement du rapport de forces en faveur des sucriers dès 1870.
C’est aussi à cette période qu’on assiste au développement des statuts de colon partiaire et d’ouvrier casé. Le colon est un métayer qui doit planter la plus grande partie de sa tenure en cannes, le reste étant réservé à l’autoconsommation, vivres et élevage. Le propriétaire fournit généralement une partie des intrants, assure le labour et le transport de la récolte et prélève de 2/3 à 1/3 de la valeur de cette dernière. Pendant les six mois de récolte annuelle, le colon travaille en tant que journalier pour l’usinier ou le distillateur à qui il livre ses cannes, c’est à dire le plus souvent son propriétaire. Le colonat partiaire remplit ainsi trois fonctions : la mise en valeur de terres marginales à moindre frais, la fourniture d’un volume non négligeable de cannes ­ jusqu’à 10 % de l’approvisionnement total de certaines usines à cette époque ­ et l’entretien d’une réserve de force de travail pour le secteur agro-exportateur. C’est cette dernière fonction qui justifie principalement le développement du deuxième statut, l’ouvrier casé étant un ouvrier, assez souvent permanent, à qui on attribue la jouissance d’une case et d’un jardin consacré à l’autoconsommation. Évidemment, casés ou colons, ces ouvriers constituent un noyau de travailleurs stables dans la société sucrière post-esclavagiste.

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UTA - 1971

Programme de revendications

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UTA - 1970 - Résolution

Sur le paiement de la ristourne

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UTA - 30.12.1970 - Représentativité

Courrier de Louis CLAVERIE

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UTA - 04.01.1971

Réponse à Louis CLAVERIE

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