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Derrière Texaco, le soutien de l’État français ?

Un entretien de R. Gauthiérot au quotidien l’ "Humanité"
>Mots-clés : Dialogue social 
 

L’entretien avec Raymond Gauthiérot se situait au lendemain d’une nouvelle péripétie dans l’interminable conflit Texaco secouant la Guadeloupe depuis début septembre. La tentative de médiation de l’UMPEG, l’organisation des petits et moyens entrepreneurs de Guadeloupe, venait d’avorter piteusement, la direction du groupe ayant choisi la politique de la chaise vide. Interview.

Vous avez accepté l’invitation de l’UMPEG, votre adversaire patronal n’y a pas répondu. Comment appréciez-vous ce refus ?

Raymond Gauthiérot : C’est un fait, la direction de Texaco n’est pas venue. Cela dit, je ne peux qualifier cette rencontre proposée de véritable médiation. L’UMPEG, en plus d’un coup médiatique, n’avait pas obtenu auparavant l’engagement de Texaco de venir. Ce n’est pas ce que j’appellerais respecter les principes d’une négociation.

À l’origine du conflit, un problème de gérance d’une station-service. N’y a-t-il pas là disproportion entre une cause bien ponctuelle et des effets qui rejaillissent sur toute la Guadeloupe ?

Raymond Gauthiérot : Nous accumulons en Guadeloupe un retard de niveau social de vingt ans avec la France. Une réalité qui donne au conflit sa légitimité. Pendant plus de cent ans, les descendants des anciens esclaves ont été cantonnés dans la production agricole ; puis l’artisanat s’est développé et depuis cinquante à soixante ans sont apparus les premiers intellectuels, revenus des universités de la France. Mais toujours les rênes de l’économie ont été contrôlées, cadenassées par des investisseurs français ou des békés martiniquais, dont les aïeux furent maîtres des anciens esclaves. Nous disons qu’il est temps que les travailleurs, quand ils en ont la compétence, reprennent en main leur outil de travail. Dans ce cas précis, les compétences existent ; ce n’est pas préconiser un hold-up que de demander la reprise de l’entreprise par les salariés.

Est-il exact que la direction en avait d’abord accepté le principe avant de faire machine arrière ?

Raymond Gauthiérot : Ce conflit est politique. Je m’explique : le fait d’accorder une location-gérance à des salariés syndiqués à l’UGTG reviendrait à reconnaître que les travailleurs de Guadeloupe sont aptes à démontrer leurs capacités à gérer. L’État français, par l’intermédiaire du préfet, M. Vian, a demandé à la direction de Texaco de ne pas céder, alors que celle-ci était d’accord pendant les négociations et que nous étions arrivés à un protocole d’accord auquel ne manquait plus que la signature. La direction Texaco s’est sentie autorisée à revenir sur sa parole parce qu’elle se savait soutenue par le préfet de région. Y compris lorsque vous voyez circuler un camion-citerne accompagné par une milice armée, et que les gendarmes assurent la protection. Cet exemple confirme la complicité du préfet avec la direction Texaco. Il suffirait que les services de l’État chargés de l’application des lois sociales fassent respecter le droit et il n’y aurait eu aucune raison de durcissement du conflit. Nous avions obtenu un accord de principe au terme de négociations concernant la non-application de la convention collective par l’ancien gérant. Nous avions déjà monté la société lorsque des bruits de couloirs nous ont appris que le choix serait tout autre.
Contactée, la direction nous a dit avoir trouvé un gérant " plus intéressant ", sans préciser quels critères avaient présidé à ce nouveau choix. Puis la direction nous a dit qu’elle doutait sérieusement de notre capacité à gérer et qu’il nous faudrait accepter un " parrain " qui aurait droit de regard sur notre gestion. Nous avons donné notre accord et proposé le recrutement d’un jeune à mi-temps, bac + 5 spécialisé en gestion, ainsi que le principe d’une vérification trimestrielle des comptes. C’est sur cette base que le protocole d’accord a été rédigé. Au bout du compte, une vaste blague ! Oui, il y a une volonté politique interne à la Guadeloupe pour encourager Texaco à ne pas céder.

Selon le récent rapport de l’institut d’émission des DOM, la situation économique et sociale était en voie de redressement, avec notamment un recul du chômage. Qu’en pensez-vous ? Et que répondez-vous à ceux qui, comme le ministre du Tourisme, Léon Bertrand, accusent les centrales syndicales antillaises de surenchère à des fins camouflées ? Il faisait allusion à la menace du groupe hôtelier Accor de se retirer de la Guadeloupe et de la Martinique, pour cause de " mauvais climat social ", incompatible avec une politique touristique digne de ce nom. Depuis, Texaco formule une menace identique. Pourquoi ce tir croisé ?

Raymond Gauthiérot : À chaque changement de gouvernement, les mêmes chiffres sont encensés par les clans au pouvoir, dénoncés par ceux de l’opposition. Ajoutons à cela les artifices permettant de faire formellement baisser les chiffres du chômage. Reste ce constat : la réalité économique de notre pays va mal depuis cinquante ans et la crise de l’emploi frappe près d’un Guadeloupéen sur trois. De la départementalisation d’hier à la décentralisation d’aujourd’hui, en passant par la loi d’orientation, la loi programme, etc., la Guadeloupe a toujours été malade. Reprocher aux syndicats la mauvaise santé du pays vise à estomper les responsabilités des politiques mises en ouvre par les gouvernements successifs. Le ministre du Tourisme, qui se dit " domien ", avance deux propositions concernant l’hôtellerie et la menace de retrait du groupe Accor : défiscalisation et réduction des charges sociales. Mais, depuis plus d’une douzaine d’années, ce groupe bénéficie de 100 % de réduction des charges sociales ! Alors ? J’ajoute à propos de certains autres hommes politiques qui veulent bien reconnaître que l’UGTG joue son rôle, mais condamnent ses méthodes, que je ne vois pas en quoi celles-ci diffèrent, par exemple, de celles des transporteurs routiers qui, à l’heure où nous discutons, menacent de bloquer la France s’ils ne sont pas entendus.

Entretien réalisé par Jean Chatain
In, L’humanité - Article paru le 26 novembre 2002

Publié par la Centrale UGTG le dimanche 28 septembre 2008

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