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2002 : Situation sociale tendue et conflits en Guadeloupe

Observatoire européen des relations industrielles (EIRO)
 

Cette information est publiée dans la langue originale. Elle a été diffusée par l’Observatoire européen des relations industrielles (EIRO) comme service de la base de données EIROnline. EIRO est un projet de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail. Néanmoins, cette information n’a été ni éditée ni approuvée par la Fondation, ce qui veut dire que celle-ci n’est pas responsable de son contenu ou de son exactitude. Ce texte relève du Centre national EIRO qui a fourni l’information. Pour plus de détails, voir l’information “About this record” dans l’enregistrement EIROnline auquel est relié cet article.

Maurice Braud

Situation sociale tendue et conflits en Guadeloupe

Au cours des derniers mois de l’année 2002, la situation sociale en Guadeloupe a été marquée par d’importants conflits sociaux sur fond de crise économique locale. L’Union générale des travailleurs de la Guadeloupe (UGTG) est apparue dans ce contexte comme l’organisation syndicale la plus revendicative, et les élections prud’homales du 11 décembre 2002 ont confirmé localement son implantation.

Chute du tourisme local.

Les professionnels du tourisme constatent la chute régulière depuis deux ans du nombre de visiteurs dans les Antilles françaises, et en Guadeloupe en particulier. Concurrencées directement par des destinations voisines (Cuba, République dominicaine, …) proposant des niveaux de prestations à tout le moins équivalents, les Antilles françaises ont des difficultés à maintenir leur situation. Entre 1999 et 2002, la chute du nombre de visiteurs serait de près de 20 % (de plus d’un million de visiteurs à moins de 800000). Ces chiffres touristiques révèlent une autre fragilité du tourisme des Antilles françaises : il n’est pas parvenu à internationaliser sa clientèle, les visiteurs - pour 85 % d’entre eux encore - sont français.

La desserte aérienne des Antilles françaises a été progressivement réduite (de 20 à 25% selon les professionnels du secteur), les lignes exploitées sont structurellement déficitaires. Les difficultés d’Air Lib, l’une des compagnies desservant régulièrement les Antilles françaises, ont accru ces problèmes de desserte (FR0302105N).

Annonce du retrait progressif d’Accor

C’est dans ce contexte de morosité générale du secteur touristique local qu’a été rendue publique le 9 novembre 2002 une lettre à la Présidence de la République de Gérard Pélisson, coprésident du groupe Accor, premier exploitant hôtelier mondial, annonçant le retrait progressif de son groupe des Antilles françaises.

Dans son courrier, Gérard Pélisson met en cause l’attitude des personnels envers la clientèle, qu’il juge agressive, une productivité faible, le climat social général et la difficulté pour une entreprise d’hôtellerie de rentabiliser son investissement. Les besoins d’une main d’œuvre qualifiée dans l’hôtellerie continue de se poser en Guadeloupe : en dépit du développement du secteur sur l’île, aucun lycée hôtelier n’a pu voir le jour jusqu’à maintenant.

Une situation économique et sociale difficile

L’économie guadeloupéenne souffre de difficultés chroniques. l’agriculture locale, basée historiquement sur la canne à sucre puis la banane, rencontre de grandes difficultés de débouchés en Europe, concurrencée sur les marchés européens par les produits provenant des pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique liés à l’Union européenne par les accords de Lomé et ceux qui les ont suivis.

Aucune industrie, hormis celle des produits de la canne au XIXè siècle, n’est parvenue durablement à se développer en Guadeloupe. Le secteur des services et l’emploi public se sont en revanche développés plus ou moins artificiellement, via l’extension des compétences des collectivités territoriales (communes, département et région) et des organismes qui en dépendent.

La mise sous tutelle de plusieurs collectivités territoriales par les services de l’Etat, la mise en examen voire la condamnation d’élus locaux de premier plan, enfin le développement de conflits entre agents de ces collectivités territoriales revendiquant leur titularisation et des élus soucieux de mettre de l’ordre dans les finances publiques, sont les conséquences les plus notables de ce développement anarchique de l’emploi public. Le chômage frappe en Guadeloupe plus de 24 % de la population active, le nombre des bénéficiaires du RMI est alarmant (25492 recensés sur une population globale de 422500 habitants), les emplois précaires -déclarés ou non- se multiplient, la figure du djobeur devient familière, l’insécurité et les agressions progressent.

La conflictualité dans les relations professionnelles et du travail a considérablement augmenté au cours de ces dernières années en Guadeloupe, tant en nombre de conflits qu’en nombre de journée non-travaillées.

Conflits sociaux en Guadeloupe
Année 2000 2001 % d’augmentation
Nombre de conflits sociaux 148 217 + 46.6 %
Nombre de journées non travaillées 1119 1964 + 75.5 %
Source : Préfecture de Guadeloupe

L’Union générale des travailleurs de la Guadeloupe, UGTG est l’organisation syndicale, proche des organisations politiques indépendantistes, qui se révèle la plus active dans les conflits.

Conflits de la fin de l’année 2002 et élections prud’homales

Depuis plusieurs mois, un conflit opposait la compagnie gérant en Guadeloupe l’enseigne Texaco de distribution d’essence et l’UGTG, quant aux modalités de reprise d’une station service sous enseigne Texaco. Quelques jours après l’annonce par Accor de son retrait de Guadeloupe, et devant le refus de négocier de Texaco, l’UGTG a lancé un mot d’ordre de grève générale, bloquant l’accès à la distribution d’essence sur l’ïle. Lors d’affrontements violents avec les forces de l’ordre dans un dépôt de raffinerie, le militant indépendantiste Gabriel Bourguignon a été incarcéré, provoquant des heurts sur l’île.

Ce mouvement très dur a contribué à renforcer cette organisation et à lui fournir une visibilité dans les médias. Les résultats des élections prud’homales du 11 décembre 2002 (FR0301107F) confirment l’influence grandissante de l’UGTG. Certes, l’abstention à ces élections est supérieure à celle observée en France métropolitaine (72 %). L’UGTG confirme néanmoins à ce scrutin sa percée de 1997. Elle obtient 21 sièges sur 48 (19 en 1997). C’est dans le principal bassin d’emploi, à Pointe-à-Pitre, que l’UGTG obtient ses meilleurs scores, en particulier dans les secteurs où elle a développé ses trois ou quatre dernières années des conflits importants : commerce de Pointe-à-Pitre, activités diverses avec les salariés non fonctionnaires des collectivités territoriales et ceux des stations service, industrie de la canne et du sucre dans la région du Moule.

La Confédération générale du travail de Guadeloupe, CGTG arrive en deuxième position et recueille 15 sièges. Elle est particulièrement présente parmi les travailleurs de l’agriculture en Basse-Terre (plantations de banane).

Derniers développements

Les pouvoirs publics et le gouvernement français, conscients du malaise qui s’installe, ont décidé de débloquer des moyens supplémentaires et ont entamé des consultations avec les responsables locaux dans la perspective d’une nouvelle loi d’orientation pour les Départements français d’outre-mer (DOM) voire d’un aménagement des institutions, en particulier à travers des Assises des libertés locales réunissant élus, organisations syndicales et patronales, responsables associatifs. Les conflits se poursuivent néanmoins, en particulier chez les personnels des communes, à l’appel de l’UGTG principalement. Le vendredi 14 février 2003, à l’appel de 8 organisations syndicales, à l’initiative de l’UGTG et de la CGTG, 3000 à 6000 personnes - suivant les estimations des organisateurs ou de la police- ont manifesté dans les rues de Pointe-à-Pitre pour dénoncer le développement des emplois précaires.

La Centrale des travailleurs unis de la Guadeloupe, CTU, affiliée à la Confédération française démocratique du travail, CFDT, s’est désolidarisée de ce mouvement pour protester contre les agressions et attaques dont sont victimes ses adhérents de la part de l’UGTG.

Commentaire

La situation économique des DOM est mauvaise depuis longtemps, avec des taux de chômage importants et une faible ouverture sur l’économie régionale qui les entoure. La Guadeloupe n’échappe pas à ces caractéristiques générales. Toutefois, marqué par une histoire coloniale brutale et un vif souvenir des luttes contre l’esclavage, le climat social guadeloupéen se singularise, plus qu’ailleurs, par une forte conflictualité.
Les mouvements sociaux importants et démonstratifs de ces derniers mois, en dépit de la gêne qu’ils occasionnent aux habitants, sont approuvés par les travailleurs, ainsi qu’en témoignent les résultats des élections prud’homales.

L’UGTG est parvenue plus que toute autre organisation syndicale, et sur une plate-forme qui n’est pas que sociale mais aussi politique, à capitaliser cette sensibilité d’une frange importante des travailleurs.

Au-delà d’une nécessaire amélioration de la situation économique locale, il s’agit désormais de favoriser au sein de la société guadeloupéenne les conditions d’un apprentissage du dialogue social et de la participation apaisée mais active à la vie publique.

Publié par la Centrale UGTG le lundi 3 mars 2003
Mis à jour le mercredi 1er octobre 2008

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