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Crise du capitalisme - Lueurs d’espoir ? Par Paul Krugman

 

Nous publions ici de larges extraits d’un commentaire de Paul Krugman, économiste "libéral" américain de renom. Les choses, dit-il, sont encore en train d’empirer. Si mêle un prix Nobel d’économie le dit...

Par Paul Krugman [1], New York Times, 16 avril 2009

Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, voit des « signaux de reprise. » Le Président Obama voit des « lueurs d’espoir. » Et le marché boursier est remonté.

Le moment de sonner la fin de l’alerte est-il arrivé ? Voici quatre raisons de rester prudent quant aux perspectives économiques.

1. Les choses sont encore en train d’empirer. La production industrielle a atteint son point le plus bas depuis 10 ans. Les mises en chantier de logements restent incroyablement faibles. Les saisies immobilières, qui étaient en baisse lorsque les sociétés de crédit attendaient de connaître les détails du plan Obama pour le logement, sont à nouveau reparties à la hausse.

Le plus que l’on puisse dire, c’est qu’il y a des signes épars indiquant que les choses empirent plus lentement - que l’économie ne plonge plus tout à fait aussi rapidement qu’elle ne le faisait. Et j’insiste : épars. La dernière édition du Beige Book, la revue de la situation des entreprises publiée périodiquement par la Fed, indique que « cinq sur les douze districts ont noté une modération du rythme de la baisse. » Youpi !

2. Certaines parmi ces bonnes nouvelles ne sont pas convaincantes. La nouvelle positive la plus importante ces derniers jours provenait des banques, qui ont annoncé des bénéfices étonnamment bons. Mais certaines de ces annoncent semblent un peu ... amusantes.

Wells Fargo, par exemple, a publié son meilleur bénéfice trimestriel jamais constaté. Mais le bénéfice déclaré par une banque n’est pas un chiffre brut, comme celui des ventes par exemple. Il dépend énormément des sommes que la banque met en réserve pour couvrir les pertes futures attendues sur ses crédits. Et certains analystes ont exprimé des doutes considérables sur les hypothèses de la Wells Fargo, ainsi que sur d’autres pratiques comptables.

Dans le même temps, Goldman Sachs a annoncé une forte hausse de ses bénéfices entre le quatrième trimestre 2008 et le premier trimestre 2009. Mais les analystes ont rapidement remarqué que Goldman avait changé sa définition du « trimestre » (en raison d’un changement dans son statut juridique), de sorte que - je ne plaisante pas - décembre, qui se trouve être un mauvais mois pour la banque, a disparu de cette comparaison.

Je ne veux pas accorder trop d’importance à tout ceci. Peut-être que les banques sont passées de lourdes pertes à des profits considérables en un temps record. Mais le scepticisme nait naturellement à l’ère Madoff.

Ah ! Pour ceux qui espéraient que les « tests de stress » organisés par le Département du Trésor allaient tout éclaircir : le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs, a déclaré que « l’on observerait de manière systématique et coordonnée une transparence dans la détermination et la communication de certains de ces résultats de tests de stress à tous ceux qui sont concernés. » Non, je ne sais non plus pas ce que cela peut signifier.

3. Il pourrait y avoir encore de mauvaises nouvelles. Même durant la Grande Dépression, les choses ne se sont pas dégradées directement. Il a eu en particulier une pause dans la descente au bout d’un an et demi. C’est à peu près où nous en sommes aujourd’hui. Mais vint ensuite une série de faillites bancaires des deux côtés de l’Atlantique, alors même qu’étaient effectués des choix politiques désastreux lorsque les nations ont tenté de défendre un étalon-or agonisant, et que l’économie mondiale est tombée du haut d’une autre falaise.

Cela pourrait-il se reproduire ? L’immobilier commercial est en train de craquer aux coutures, les pertes sur les cartes de crédit s’envolent et personne ne sait encore à quel point les choses se dégraderont au Japon ou en Europe de l’Est. On ne reproduira probablement pas le désastre de 1931, mais il est loin d’être certain que le pire soit passé.

4. Même quand c’est fini, ce n’est pas terminé. La récession de 2001 n’a officiellement duré que huit mois, et s’est terminée en novembre de cette même année. Mais le chômage a continué d’augmenter durant un an et demi. La même chose s’est produite après la récession de 1990-91. Et il y a tout lieu de croire que cela se produira cette fois aussi. Ne soyez pas surpris si le chômage continue d’augmenter jusqu’en 2010.

Pourquoi ? Parce que les reprises d’activité en forme de « V », marquées par un retour rapide à l’emploi, n’ont lieu que quand existe une importante demande insatisfaite. En 1982, par exemple, la demande de logements avait été écrasée par les taux d’intérêt élevés, de sorte que lorsque la Fed a assoupli sa politique monétaire, les ventes immobilières ont grimpé. Ce n’est pas ce qui se déroule aujourd’hui : l’économie est déprimée, pour le dire simplement, parce que nous avons empilé trop de dettes et construit trop de centres commerciaux, et personne n’est d’humeur à se lancer dans une nouvelle série de dépenses.

Publication originale : New York Times, 16 avril 2009
Traduction : Contre Info

Publié par le dimanche 19 avril 2009

Notes

[1Krugman, qui se définit lui même comme un libéral, s’est vu décerner le prix Nobel d’économie 2008. Le mot « libéralisme » n’a plus actuellement le même sens dans tous les pays. Une des plus grandes difficultés provient de la différence entre l’acception américaine du terme et celle qui prévaut en Europe continentale. Arthur Schlesinger, Jr. écrivait déjà en 1962 : « l’usage du mot « libéralisme » aux États-Unis n’a presque rien à voir avec la façon dont il est employé sur la scène politique européenne, à l’exception peut-être de la Grande-Bretagne. »

Girvetz and Minogue écrivent dans l’Encyclopedia Britannica : « le libéralisme contemporain a évolué pour devenir deux choses différentes aux États-Unis et en Europe. Aux États-Unis il est associé aux mesures d’État Providence du programme du New Deal élaboré par le président démocrate Franklin Delano Roosevelt, alors qu’en Europe les libéraux sont plutôt des conservateurs en matière politique et économique.

Sur le continent européen, le terme « libéral » s’emploie pour parler des libertés économiques et renvoie à des notions comme celle de marché libre, les libéraux européens étant de ce fait assez proches des libertariens américains.

Si l’on voulait représenter la gamme des opinions politiques sur un graphique à deux axes et en croix, l’axe correspondant aux valeurs sociales et l’axe aux valeurs économiques (ou fiscales), on verrait apparaître le libéralisme américain à gauche sur l’axe social et à gauche ou au centre gauche sur l’axe économique. On voit donc l’ambiguïté du terme. Une personne qui se placerait à droite ou au centre-droit sur l’axe des valeurs sociales serait étiquetée « libertarien de droite » (ou simplement « libertarien » aux États-Unis).

Dans le discours politique américain de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle, « libéralisme » est devenu synonyme de défense de la liberté d’expression, séparation de l’église et de l’État, droit des femmes à la maîtrise de leur fécondité, libertés civiles, égalité des droits pour les homosexuels, accueil des immigrants, égalité des droits pour les handicapés, multilatéralisme et participation aux instances internationales. Tous ces objectifs sont généralement partagés par les libéraux européens. Les libéraux américains pensent aussi que le gouvernement doit intervenir pour aider les plus démunis, permettre à tous l’accès à des soins médicaux de qualité, appliquer un impôt progressif sur le revenu, encourager le rôle positif de la représentation salariale et protéger l’environnement. En Europe, ces idées sont aussi celles des sociaux-démocrates mais pas nécessairement des libéraux, notamment en France et dans le reste de l’’Europe continentale où les partis libéraux ont souvent conservé les idées du libéralisme classique. Les libéraux anglais, en revanche, soutiendraient la majorité de ces points de vue, mais s’opposeraient à la politique de « discrimination positive »[note 3] qu’ils jugent contradictoire avec une politique libérale.

Cependant, il existe des différences importantes entre le libéralisme américain moderne et la conception européenne de la social démocratie, notamment l’absence d’une culture et de programmes socialistes.

- Premièrement, si les socialistes adhèrent généralement au principe du minimax (et sont persuadés que c’est à l’État de le mettre en œuvre), les libéraux américains ont plutôt tendance à limiter l’intervention de l’État dès lors que celui-ci assure une qualité de vie décente et un système de service public adéquat aux familles des travailleurs et aux travailleurs démunis. Les programmes sociaux-démocrates proposent un système national d’aide sociale qui s’adresse à l’ensemble de la nation alors que les programmes sociaux des libéraux américains ne s’adressent qu’aux personnes des classes défavorisées.

- Deuxièmement, les libéraux américains n’acceptent pas le recours à la nationalisation d’industries du secteur privé comme solution à tout type de problème ; ce n’est pas le cas des socialistes qui ont fréquemment tenté ou effectué des nationalisations industrielles dans leurs pays. Les libéraux américains préfèrent faire confiance au gouvernement pour appliquer une stricte réglementation des abus ou des excès du secteur privé.

- Troisièmement, le libéralisme américain a pour objectif une plus juste répartition du pouvoir, plutôt qu’une plus juste répartition des richesses.

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