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« Tout moun gran » - Nouvelle mise en garde de Frantz SUCCAB

>Mots-clés : Solidarités  Pétition anti LKP 
 

TOUT MOUN GRAN

« Tout moun gran », avait coutume de dire mon père lorsque, roulant des mécaniques d’adulte débutant, je m’en remettais quand même à ses réponses lorsque ma propre vie m’interrogeait. Je lui en ai longtemps voulu, sans m’avouer qu’ayant posé les pieds dans la vie adulte, il fallait que la tête lâche l’enfance. Il y a longtemps qu’il n’est plus de ce monde. Aujourd’hui que je navigue vers son âge, je voudrais, comme un hommage, le répéter à mes amis.

Tout moun gran. Le LKP est assez grand, ou pour se tuer tout seul, ou pour capitaliser par lui-même sa courte et formidable expérience. Les initiateurs du texte intitulé « « Soutenons les luttes sociales mais défendons les principes démocratiques » sont assez grands, qui pour continuer à soutenir et défendre ce qui leur chante, qui pour assumer le destin du même texte devenu pétition. Je ne ferai rien de tout cela à leur place. Je n’en ai ni le désir ni la capacité.

Mon choix est de postuler pour tous de très bonnes intentions. Et lorsque ces bonnes intentions pavent le chemin d’un enfer non désiré, j’appelle amicalement à la vigilance. Je pointe les dangers que j’aperçois, certes, mais je ne vais pas aller les forcer ni leur faire la leçon…Tout moun gran.

Qu’ils tirent eux-mêmes leçons de leurs glissades ou faux pas et, du coup, ils dévoileront la nature de leur projet, « les moyens modelant nécessairement la fin », comme l’écrit pertinemment Caroline Oudin-Bastide ! [1]

Je suis un tantinet consensuel, mes amis. Ce n’est pas une maladie honteuse, que je sache. Mais, pour être plus précis, que suis-je ? Un partisan de l’Indépendance de la Guadeloupe. Cela signifie que pour moi la Guadeloupe n’existe pas encore ; que la qualification de Département et Région de l’Outremer français du pays où je vis atteste que le vrai pouvoir politique est étranger. On l’appelait officiellement colonie, c’est-à-dire, territoire exploité et dominé par un Etat extérieur.

Depuis 1946, l’Etat français y a calqué les institutions de la France, ce qui fait que, de consultations en consultations, de vote en vote, le peuple a appris à accepter voire réclamer cette privation de souveraineté. L’arme de la persuasion a surpassé le fusil et la trique. Les armes qui tuent ou blessent, ça vous fait des révoltes, des morts, des martyrs, puis des commémorations à tout berzingue. En somme, ça vous fabrique de l’anticolonialisme. Tandis que des médias aux ordres, une armée d’enseignants respectant scrupuleusement le programme, des élus préposés à l’intendance, des intellectuels d’autant plus prévisibles qu’ils sont organiques de la république française, ça vous fait des assimilés, pas toujours commodes, mais assez réussis dans l’ensemble…

C’est pourquoi je reste indépendantiste. Et c’est pourquoi, lorsque je pense démocratie, je pense konplo a nèg, pacifiques ou belliqueux on s’en fout, pourvu qu’ils soient concertés, donc fruits de l’intelligence commune des Guadeloupéens contre la fausse démocratie coloniale. Et non konplo a chyen. C’est avant tout le liyannaj de tous les anticolonialistes que je cherche. Si d’aventure il peut s’élargir aux démocrates, ce ne sera jamais pour conforter ce « déjà là » qui nous infantilise. De ce point de vue, je ne fais aucune concession idéologique aux soutiens de la domination coloniale, qu’ils soient les appendices de la droite ou de la gauche française, voire même d’une certaine gauche de la gauche.

Cela dit à seule fin de me situer, s’il en était encore besoin, j’ajoute que je suis fidèle. Fidèle à cet idéal et non à un quelconque appareil politique, fût-il indépendantiste. Il y a longtemps que ce type de fidélité organique a quitté ma vie, tout simplement parce qu’elle doit rester là pour le pire et le meilleur à essuyer les plâtres. L’expérience m’a montré qu’elle émarge souvent au registre de la lâcheté, flanquée des deux gardes que sont la paresse intellectuelle et la discipline de chapelle. En politique comme en amour, ce genre de fidélité, qui carbure au mensonge muet, ressemble à s’y méprendre à de la trahison. C’est pourquoi je signe de mon nom tout ce que j’exprime. Et j’aimerais que tous ceux qui sont censés le faire plus facilement que le citoyen Lambda, les intellectuels en particulier, s’expriment chacun, en évitant le plus possible de s’abriter derrière la moindre initiative pétitionnaire…Tout moun gran.

Donc, je persiste et signe ma recommandation au LKP de chercher lui-même ses erreurs éventuelles, avec l’honnêteté et le recul nécessaire. Pas davantage. Parce que je ne fais pas semblant de croire que nos élus, Congrès ou pas, fussent-ils désignés par le suffrage universel, aient jamais été des foudres de guerre en matière de débat public. S’ils l’étaient un tant soit peu, que n’aurions nous pas débattu des questions fondamentales du pays, tout le temps, dans tous les espaces possibles, menm anba mango, même maintenant qu’il n’y a pas eu de Congrès ! A d’autres !... Ce Congrès avorté n’était pas le jour J de la démocratie guadeloupéenne, de « la représentation de soi élaborée dans un espace critique ». [2]. Rien de cette nature n’a avorté qui ne le fasse déjà, faute de libre pensée ou de pensée tout court, chaque heure et chaque jour, dans nos grands hémicycles et nos municipalités. Sinon, ça se saurait.

Je désapprouve et regrette profondément le recours fréquent du LKP aux injures et aux menaces quand il s’agit de débattre. Mais il faut aussi se demander pourquoi l’affect se déverse à ce point, jusqu’à couvrir ces récentes belles paroles et ces grandes marches de protestation qui nous émouvaient tant « comme si tout un peuple là rassemblé exprimait toute sa douleur existentielle ». [3] Pourquoi ne s’agirait-il pas toujours d’une manière de cri de douleur ? Mais, cette fois, d’une manière bien connue d’injurier la maman d’un caillou pointu qui se glisse inopinément dans vos chaussures en pleine marche. Ça ne résout rien, mais ça fait du bien par où que ça passe. Nous sommes dans les circonstances d’un combat social où personne ne fait de cadeau à personne, non d’un dîner de gala où l’on s’échange bons mots et politesses. Vous faîtes un faux pas et l’adversaire en profite pour chercher à vous jeter. Vous dîtes un mot malheureux, et il en profite pour vous traiter de voyou. Parfois cela suffit
pour qu’une poignée d’alliés fragiles se retourne. Mais qu’est-ce qui vous empêche de vous expliquer calmement avec ces amis, qui disent vous vouloir tant de bien, au lieu de les envoyer paître ? Vous sentez poindre une menace, alors vous vous mettez en position défensive. Puisque vous avez la foule avec vous, qu’il faut la maintenir à la température idéale et que votre principal moyen de chauffage est le meeting, c’est la propagande émotionnelle qui prime. Vous avez peu recours à l’écrit, qui demande plus de recul, une attitude studieuse, apaisée et plus rationnelle. En guise d’écrit, vous n’avez que la reproduction au mot près de vos harangues, ce qui n’arrange pas les choses. Une partie du problème est là.

A ce stade, je voudrais confirmer à l’amie Caroline Oudin Bastide que c’est bien d’ironie qu’il s’agit lorsqu’à propos de la pétition « Soutenons les luttes sociales mais défendons les principes démocratiques » je parle de « symphonie des cris de vierges effarouchées ». [4] Je pense précisément, parmi les initiateurs, à ces « vieux routiers de la politique, déflorés de-puis longtemps ». [5] Avoue-le, Caroline : de fausses vierges jouant aux nonettes, c’est une provocation à l’ironie ! Car, enfin, nos bons vieux amis étaient payés pour imaginer la suite d’une initiative aussi ambiguë : une pétition lancée à la cantonade ne se réduit jamais à ses seuls initiateurs. Et j’entends Jacky Dahomay dire « … je croyais que le LKP nous aurait invité à discuter … » [6] Tant d’angélisme chez un vieux de la vieille, et surtout après le coup, ça me laisse ababa ! Quand on veut discuter, on crée d’abord un climat propice. On ne commence pas par ameuter, sous prétexte de débat au grand jour. Là, le philosophe, que j’ai toujours en grande estime, s’est transformé tout simplement en pipelette, limite « makanda ».

Question de profil psychologique et non de qualité intellectuelle, ça va de soi. Quand, de la main gauche, le philosophe voulait de la hauteur, de la main droite, le pétitionnaire rameutait du bric et du broc, du bon grain et de l’ivraie, de doux démocrates et des élus revanchards, de vrais margoulins et de vraies fausses pucelles, sans oublier les Amédée Adélaïde et autres Edouard Boulogne qu’on ne présente plus. Des gens dont on est sûr que la plupart, s’ils avaient pris la plume individuellement, auraient défendu comme d’hab. les sacro-saints « principes démocratiques » en colonie, mais jamais « les luttes sociales ». Voilà comment les moyens modèlent la fin : on commence à bêler en agneau pour finir par hurler avec les loups et l’on a le toupet de réclamer une bergerie ! On voudrait tuer dans l’œuf tout débat fraternel, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Maintenant, c’est au LKP de se hisser à la hauteur des espoirs qu’il a su si bien lever. Cette Guadeloupe que nous avons vue debout et digne, et qui a forcé l’admiration du monde, mérite bien cela. Mettons ce fâcheux épisode derrière nous, non sans en avoir tiré toute la substance ! Et commençons franchement, dès maintenant, le pays dont nous rêvons ! Commençons le tous, autant que nous sommes, avec nos petites différences voire même nos désaccords tactiques ou philosophiques, mais en sachant enfin faire démocratie pour nous. Afin de mieux renforcer et enchanter notre grande ressemblance anticolonialiste. Sortir de l’ornière stérilisante et consumériste, n’est-ce pas au bout du compte de cela qu’il s’agit ?

Ce vrai débat que j’appelle de mes vœux n’a de sens, bien évidemment, que si nous nous définissons encore comme anticolonialistes… Non, chère Caroline, là, ce n’est pas de l’ironie, mais le sens de toute projection.

Frantz SUCCAB
[Mai 2009]

Publié par la Rédaction le jeudi 21 mai 2009

Notes

[1Contribution de C. Oudin-Bastide : « La vie démocratique n’est pas une retenue d’eau »

[2La foule, le peuple et l’amitié (Lettre de Jacky Dahomay à Frantz Duhamel)

[3Jacky Dahomay, Op. Cit

[5C. Oudin-Bastide Op.cit

[6Op.cit

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Tout moun gran

Par Frantz Succab

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