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La départementalisation dévoyée - Par Michel Levallois

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La départementalisation dévoyée

Ce qui s’est passé en Guadeloupe, comme en Martinique, en Guyane et à la Réunion, c’est le drame d’une départementalisation qui a été dévoyée et qui s’est, de fait, transformée en nouvelle colonisation. Ce constat est choquant et difficile à admettre car il remet en question nos certitudes républicaines. Comment la République qui a aboli l’esclavage en 1848 et qui près de cent ans après, en 1946, a fait de ses vieilles colonies du golfe du Mexique et de l’Océan Indien des départements peut-elle être accusée de colonialisme ? N’y a-t-il pas abus de langage, anachronisme ?

Cette accusation est si dérangeante que pendant cinquante ans, elle a suffi à empêcher que soient entendus ceux qui, comme Aimé Césaire, dénonçaient les effets pervers d’un système qui a transformé les économies de ces anciennes îles à sucre en économies de transferts, condamnées à consommer les produits importés de France, à voir disparaître les unes après les autres leurs activités de production, dans l’agriculture vivrière mais aussi dans le secteur des métiers, qui a créé une classe moyenne de fonctionnaires, de cadres du tertiaire, de petits entrepreneurs et de retraités venus de France pour bénéficier des sur-salaires et des sur-retraites de la fonction publique, qui a donné une nouvelle chance aux « Békés » à travers les grandes surfaces et l’hôtellerie.

Cette départementalisation devait assurer l’égalité avec la métropole. Elle est devenue un système spécifique qui a cumulé les anomalies fiscales comme l’octroi de mer qui frappe les importations, les exonérations fiscales de la loi Pons et les sur-rémunérations des fonctionnaires, alors que dans le même temps les petits salaires et les avantages sociaux, eux aussi par dérogation, restaient inférieurs à ceux de la métropole. Ajoutez à cela l’inclusion de ces DOM dans l’espace européen dont les frontières ont été juridiquement étendues jusqu’à eux, générant des avantages financiers considérables au prix d’une exacerbation de l’éloignement de leur environnement géographique et économique naturel. Le système politique a été également perverti, fonctionnant comme une machine à obtenir de la Métropole toujours plus de crédits au nom de l’égalité républicaine et toujours plus d’exonérations d’impôts au nom de la spécificité « domienne », favorisant le clientélisme plutôt que la prise de responsabilité des élus et des assemblées locales, politiques, syndicales et patronales, bridant les capacités et les initiatives d’une jeunesse en mal d’identité, désespérant de son avenir.

Et l’identité dans tout cela ? Elle a failli sombrer dans une schizophrénie insupportable entre l’aspiration à l’égalité et la frustration de la dépersonnalisation car le système départemental tel qu’il a été pratiqué a échoué à les concilier. Les fictions républicaines et les procédures de la démocratie ne suffisent plus à cacher cette terrible réalité, car tous les gouvernements, tous les élus, de droite comme de gauche, de là-bas et d’ici, ont toujours été d’accord pour perpétuer ce système : au nom de la République, plus d’égalité, donc plus de crédits, au nom de la spécificité, plus d’exonérations. Ils ont refusé de voir que ce système bénéficiait principalement à des Métropolitains rêvant d’ailleurs, de soleil et de vie plus facile, trop heureux d’empocher ces avantages. Comme si l’acquisition de quelques yachts et la construction de villas et de résidences de luxe pouvait assurer le développement… Ils ont refusé de voir que se reconstituait une société de maîtres et d’esclaves, clivée non plus entre Blancs et Noirs, mais entre bénéficiaires des transferts de la départementalisation et du rattachement à l’Union Européenne, plutôt fonctionnaires et métropolitains, et les autres, agriculteurs, artisans, pécheurs et petites mains du tertiaire. C’est comme cela qu’il faut comprendre le slogan du LKP : « La Guadeloupe est à nous, elle n’est pas à eux ».

Il ne suffit donc pas de dire que la Guadeloupe est la victime de son passé d’île à sucre et à esclaves. L’histoire ne doit pas servir d’alibi pour ne pas regarder en face les effets de la départementalisation qui, au moins autant que le passé, conditionne et explique le présent. La départementalisation n’a pas été ou n’est plus ce que ses promoteurs espéraient. Aimé Césaire le disait au Monde en 1971. Il n’est que temps d’en analyser les conséquences économiques et politiques, mais aussi démographiques, sociales, sociologiques et culturelles, d’en repenser les résultats et les mécanismes. Ce n’est que lorsque ce travail aura été fait qu’il sera possible de répondre aux innombrables questions qui pourrissent la vie et obscurcissent le cœur des Domiens. Souhaitons que les États généraux annoncés par le président de la République ne se trompent pas de diagnostic, et qu’ayant compris comment la départementalisation qui a détaché artificiellement les Antilles et la Guyane de leur environnement naturel, les a privées de toute possibilité de développement, ils osent chercher des solutions. Souhaitons qu’à partir de là, un accord se fasse pour rendre à ces îles le minimum d’autonomie de décision qui leur permettra de sortir du cercle vicieux de l’assistance, de retrouver fierté et dignité.

Le 29 mars, Mayotte, cette île de 186.000 habitants qui a été, arbitrairement et en infraction aux règles internationales, distraite de l’archipel des Comores en 1974, sous la pression de quelques intrigants bien placés, a voté à une forte majorité sa transformation en département. La logique du système départemental va donc pouvoir donner à plein et, l’on imagine sans peine, ce qui pourra résulter de l’emballement de ce système qui pose déjà des problèmes insolubles d’immigration clandestine et d’application du droit commun français à une population musulmane. Un groupe de travail, franco-comorien, le GTHN, réfléchit à ce que pourrait être une cohabitation harmonieuse et profitable aux parties intéressées, entre Mayotte devenue département, l’État indépendant des Comores qui est membre de l’Union africaine et la France qui est présente dans la région au titre du département de la Réunion. La solution de cette équation impossible, il serait question d’un accord international, permettra-t-elle que ce nouveau département échappe au dévoiement tropical de la départementalisation et ne soit autre chose qu’une onéreuse et absurde recolonisation ?

Michel Levallois, [1]
Préfet honoraire, ancien directeur des affaires politiques du ministère des départements et territoires d’outre-mer 1984-1985

Publié par la Rédaction le mercredi 27 mai 2009

Notes

[1Michel Levallois est préfet honoraire depuis 1995, il fut breveté de l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer et docteur en histoire. Il est membre de l’Académie des Sciences d’outremer.
Il a occupé des postes de préfet, il fut directeur des affaires politiques au ministère des colonies de 1984 à 1986. Président de l’ORSTOM (AFD) de 1989 à 1995. Il est délégué pour l’Europe de l’association internationale ENDA–Tiers monde depuis 1995.

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