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Liyannaj entre luttes sociales, politiques & identité culturelle

L’analyse de rosan Mounien
 

Vendredi 29 Mai 2009, VOUKOUM Mouvman Kiltirel Gwadloup organisait dans le cadre des manifestations du mois de Mai, une conférence-débat intitulée : Liens entre Identité culturelle & Conflits sociaux politiques en Guadeloupe.

Animée par Sully GABON du Mouvman Kiltirel VOUKOUM & ... Alex ROBIN, journaliste à RFO Guadleoupe, la Conférence-Débat réunissait comme intervenants : Félix COTELLON - Rosan MOUNIEN - Maître Félix RODES - Raymond GAMA - Elie DOMOTA.

Nous publions la transcription de l’intervention de Rosan MOUNIEN, ancien secrétaire général de L’UGTG.

Byen bonswa moun Badibou é tout moun ki la.

Sur la question, la problématique de la nature du Liyannaj existant entre luttes sociales, politiques et Identité culturelle...

En fait dans notre conception, il y a la Lutte, un point, un trait. Et dans la Lutte, nous ne faisons pas de distinction entre "Syndicat", "Culture" et "Politique". Tout relève d’une seule Lutte.
Et l’exemple que je prendrai, c’est celui de 1971 quand avec la création par nous de L’UTA nous avons mené les grèves dans la Canne. Nous avons posé une revendication sociale portant sur le prix de la journée et sur le prix de la canne ; nous avons entamé une grève et conduit un mouvement...

Dans cette grève, la première chose qui a changé par rapport à tout ce qui pouvait se faire auparavant, c’est que pour une fois nous avons parlé notre langue.

Ce n’est qu’à partir de 1971 que le créole est pleinement devenu une Langue. Jusqu’alors et du fait des interdits, le créole ne s’exprimait que du bout de la langue, et n’était pas utilisée en société. Même au sein des mouvements politiques révolutionnaires de l’époque, les dirigeants s’exprimaient dans un français châtié. De ce fait, les travailleurs ne pouvaient jamais être au premier plan. Car eux, leurs idées s’exprimaient dans leur langue, dans notre langue, le créole. Ainsi la première chose c’est la langue, le parler. L’action sociale s’est donc retrouvée adan on larel [sur une ligne] permettant au travailleur d’être l’acteur principal du mouvement. Et ça ce fut une première révolution ; car à cet instant le travailleur se rendait compte qu’il était un être humain comme tous les autres. Qu’il avait le droit de parler, de diriger, d’expliquer.
Et nous avons porté cette bataille plus loin. Nous l’avons mené dans le cadre des négociations en demandant aux usiniers d’y venir accompagnés d’interprètes !
Plus encore, quand les camarades ont été arrêtés lors de ce mouvement de grève de 1971 et à l’occasion du procès des 19 à Basse-Terre les camarades emprisonnés ont refusé de parler une toute autre langue que le créole. Comme pour les usiniers sé mésyé yo té bien mélé [ces magistrats étaient bien embarrassés] car ne disposant pas d’interprètes. Voilà donc des gens chargés de nous juger mais dans l’impossibilité de le faire car ne comprenant pas ce que disaient les travailleurs. Et avec le concours militant de Maître RODES et du peuple de Bas du Bourg & de Basse-Terre, nous avons ainsi pu arracher nos camarades des geôles coloniales... En particulier GOSTYMEN, LANDRE et ARDENT.

La langue est donc le premier élément sur lequel nous nous sommes appuyés. Elle a permis une extraordinaire prise de conscience dépassant le simple cadre des revendications sociales des ouvriers et paysans. Elle allait entrainer dans son sillage le reste de la société et en particulier les intellectuels, dont les enseignants qui rentraient à leur tour dans un mouvement de conscience. Nous avons ainsi vu pour la première fois un fait nouveau.. :
A la même époque, les syndicats français ayant appelé à une journée de grève, les militants guadeloupéens ont fait le choix de ne pas suivre ce mot d’ordre, d’aller travailler afin de verser aux ouvriers agricoles et aux ouvriers du bâtiment en grève l’argent de cette journée de travail effectuée.

Le deuxième élément à surgir et à monter au créneau fut le GWO-KA.

On trouvait souvent parmi les travailleurs des chanteurs, des danseurs ou des tanbouyé. Car les samedi de quinzaine [jour de paie] sont aussi ceux des soirées Léwoz. Et pour une fois, on a vu apparaitre un jeune sur l’un des piquets de grève nous affirmant que sa contribution à la grève c’était de chanter et de jouer du GWO KA. Il en a donc joué sur le piquet de grève situé à Jabrun Baie-Mahault. Peu de temps après, il était interpellé par les CRS... Sa musique étant jugée subversive car “excitant” les grévistes et démotivant les non grévistes.
Eléments suffisants pour justifier son arrestation.
C’est ainsi que Guy CONQUETE sera interpellé mais aussi incarcéré. Il aura fallu constituer un comité de soutien, toujours avec Maître RODES, Maître LECLERC - l’ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme qui avait également défendu les militants arrêtés après les massacres de Mai 1967. Il a fallu se mobiliser car un jeune guadeloupéen âgé d’à peine une vingtaine d’années était considéré quasiment comme un terroriste car jouant du GWO KA...

Mais à partir de là nous avons assisté à l’entrée du tambour, petit à petit, dans le Mouvement. Et parmi les travailleurs même nous avons aussi découvert de grands chanteurs, de grands danseurs, de grands joueurs. Ainsi, à partir des années 70 et plus précisément des années 74-75, nous allons véritablement relancer les LEWOZ comme étant une manifestation culturelle à part entière et non plus comme étant la simple expression festive de la paie de la quinzaine, autour du grenn dé et des amusements.
Le LEWOZ devient alors manifestation culturelle et instrument permettant le développement d’une prise de conscience. Et nous avons pu constater l’apparition de toute une série de chanteurs en plus des deux à trois grands connus jusqu’alors : LOYSON - CHABEN... Et la l’explosion du nombre de musiciens.
De même , le cas de Robert LOYSON, qui était déjà un militant syndical de base dans la canne est à ce titre symptomatique de ce qui allait se produire : un Liyannaj entre les luttes sociales et les luttes culturelles, en particulier avec le Gwo Ka. Et pour bien s’en convaincre il suffit d’écouter les paroles de la chanson KANN A LA RICHES N°2 de LOYSON... : A l’époque, cette chanson contient déjà un contenu politique, un contenu de conscientisation très élaboré, très avancé.

Le troisième élément, c’est l’entrée progressive du mouvement social au sein des intellectuels.

Et j’ai pu assister à un phénomène, à une mutation chez certains intellectuels. Et celle qui m’aura le plus frappé fut celle de Sonny RUPAIRE... Il était déjà un militant engagé dans la lutte, un poète connu internationalement, il avait déjà beaucoup écrit...
Mais en dehors principalement d’un poème sur Mai 67 intitulé "Chyen", il avait jusque là écrit essentiellement en français. Mais dans ces années on observe une rupture qui s’opère ; et nous le verrons abandonner petit à petit l’écriture en français, pour commencer à écrire de plus en plus en créole.
Du reste, toujours à la même époque, Hector POULET rédige un poème en créole intitulé Twa twa tou patou ; Dany BEBEL-GISLER sort un petit fascicule intitulé Kèk pwensip pou ékri kréyol... Petit à petit le créole devient un élément fondamental.

C’est pourquoi nous affirmons qu’il y a une seule Lutte qui a tout à la fois une dimension sociale, une dimension culturelle et aussi une dimension politique. Et la dimension politique qu’elle possède, c’est une dimension de Konstriksyon a Nonm la [Construction de l’Homme]. Et là où cette dimension apparait, ce n’est pas à travers les revendications... Car très souvent d’aucuns cherchent à déterminer ce qui est politique dans un mouvement social...
Ce qui est politique dans un mouvement social, ce sont les idées et aussi les comportements qui se développent chez le travailleur par rapport à la manière dont il construit son identité. Et l’une des clés à cet égard c’est le piquet de grève... Et je vous invite à aller vivre sur un piquet quand une grève dure une, deux, trois semaines. Afin de voir quelles sont les idées qui y circulent, comment vivent les travailleurs sur ces piquets, quelles sont les solidarités qui s’y développent, comment l’identité du travailleur se construit.
Et là nous nous rendrons compte finalement qu’il n’y a pas lutte sociale, lutte culturelle et lutte politique... Qu’il y a tout simplement la Lutte, qui est un concept global. Dès lors la construction identitaire se fait à la fois dans le domaine social et dans le domaine politique et culturel.

Rosan MOUNIEN
Conférence-débat du Mouvman kiltirel VOUKOUM :
Liens entre Identité culturelle & conflits sociaux politiques en Guadeloupe
Bas du Bourg, Basse-Terre
Vendredi 29 Mai 2009

Publié par le LKP le mardi 2 juin 2009
Mis à jour le mercredi 3 juin 2009

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