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Itinéraire d’une pwofitasyon soutenue par l’Etat
Par Lidejis le mercredi 19 janvier 2011
Le 13 décembre 2010, à la veille de la manifestation du LKP dans les rues de Pointe-à-Pitre, l’autorité préfectorale de Guadeloupe s’était offert une pleine plage de publicité dans le quotidien France Antilles pour expliquer aux citoyens de Guadeloupe que " L’Etat respecte ses engagements ".
Un des points de cette page de publicité censés démontrer le respect par l’Etat des engagements pris par la signature du protocole d’accord du 4 mars 2009 était l’annonce de l’« élaboration d’un chariot-type ».
Cette formule laconique nous apparaît symptomatique de cette stratégie de propagande élaborée et appliquée par l’autorité préfectorale depuis la nomination en Guadeloupe de Jean-Luc Fabre, le 29 octobre 2009. Elle consiste à dénier toute légitimité au LKP par le refus systématique de le reconnaître comme interlocuteur et de le recevoir en tant que représentant social, et à marteler en monologue la bonne volonté de l’Etat.
« Elaboration d’un chariot-type ». Et après ? Où en est le pouvoir d’achat des citoyens guadeloupéens ? Où en sont les profits exorbitants du secteur de la distribution ? Où en est l’inflation ? Et même : où est-il ce chariot-type ? Quels produits contient-il ? Quel en est son prix ?
Voilà des questions auxquelles le Préfet Jean-Luc Fabre aurait dû répondre lors de ses interventions dans les médias, ou s’il avait daigné recevoir la délégation du LKP qui s’est présentée par trois fois devant les grilles de la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre les 14 et 15 décembre 2010, ou, encore, s’il avait réuni la commission de suivi prévue par la protocole d’accord du 4 mars 2009.
“L ‘Etat respecte ses engagements” ?
Non, en réalité, plutôt qu’à une politique conséquente, les citoyens font face à un plan de communication qui table sur leur amnésie et leur bêtise supposées, qui parie sur leur apathie politique pour enterrer la contestation populaire portée par le LKP.
Nous présentons en conséquence un bref rappel des engagements précis pris par l’Etat au sujet des prix, un constat succinct du non-respect manifeste des dits engagements et, pour finir, une observation concrète de la pwofitasyon qui règne en Guadeloupe à travers l’exemple d’une grande enseigne commerciale.
Les engagements pris par l’Etat
Dans le protocole d’accord du 4 mars 2009 signé entre l’Etat, la Région, le Département, l’Association des maires de Guadeloupe et le Liyannaj Kont Pwofitasyon, la question du niveau et des conditions de vie, qui était le premier des 10 volets revendicatifs présentés par la plateforme du LKP, était subdivisée en six sous-chapitres.
C’est le deuxième de ces 6 sous-chapitres, intitulé « baisse des prix des produits de première nécessité », qui traitait de la question de la baisse, du contrôle et de la surveillance des prix dans le secteur de la grande distribution.
Par le point 13, l’Etat – et la Région ! – devait soutenir l’élaboration par les enseignes de la grande et moyenne distribution, en liaison avec les associations de consommateurs, d’« une liste de produits de première nécessité les plus vendus au sein de 100 familles de produits, […] repérables par les consommateurs, qui seront commercialisés à des prix les plus proches de ceux de l’hexagone ». A ce « chariot de la ménagère » [sic !] constitué de produits ne concurrençant pas la production locale, était prévu l’ajout de 50 produits usuels dans les catégories de l’appareillage pour personnes handicapées, des fournitures scolaires, de l’électroménager, et cætera.
La liste de ces 150 produits, encore une fois « repérables par les consommateurs », devait indiquer le prix TTC des dits produits à leur sortie de douane ainsi qu’à leur vente en magasin. Mesure de publicité permettant au consommateur de constater par lui-même le respect de la baisse des prix sur ces produits de première nécessité.
Par le point 19, l’Etat s’engageait à demander à l’Observatoire des prix et des revenus d’établir, avec le concours de la DDCCRF (Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et des associations agréées de consommateurs, un relevé des prix dans chaque enseigne et de publier un indicateur bimensuel de l’évolution des prix de 50 produits constituant un « chariot-type » – ce chariot-type dont se goberge le préfet en dernière page de France Antilles – distinct du « chariot de la ménagère » prévu par l’article 13. Il s’agissait donc de permettre aux consommateurs de connaître l’inflation à la consommation, de comparer les prix pratiqués par les différentes enseignes et d’ainsi faire jouer la concurrence (censée entraîner les prix à la baisse dans le monde imaginaire que nous dépeignent les tenants du libéralisme économique).
En appui aux points 13 et 19, l’article 20 prévoyait l’engagement de l’Etat à créer – au sein de la DDCCRF – une brigade spécifique de contrôle des prix, chargée d’enquêter sur les dérives et d’intervenir à la demande des associations de consommateurs, ou directement à celle des consommateurs.
Enfin, conjointement avec le conseil régional et le conseil général, l’Etat s’engageait, par l’article 22, à subventionner la mise en place d’un bureau d’études ouvrières ; organisme qui aurait permis d’instituer un contrôle indépendant et populaire sur la question de la formation des prix en Guadeloupe.
Des engagements précis arrachés par la contestation populaire mais que le gouvernement allait pourtant compléter quelques mois plus tard.
En effet, mouchée d’avoir dû signer les accords du 4 mars 2009 et soucieuse de donner l’impression d’être intéressée à la situation sociale dans les colonies, la présidence de la République française organisa d’avril à juillet 2009 ce qu’elle nomma – de manière fallacieuse – « Etats généraux de l’Outre-mer ». Du rapport final de ces « Etats généraux », un Conseil interministériel de l’Outre-mer (CIOM) prit, le 6 novembre 2009, 137 mesures pour le développement de l’Outre-mer.
Concernant la Guadeloupe, à partir du rendu de l’atelier « formation des prix, circuits de distributions et pouvoir d’achat », le gouvernement Fillon décida, entre autres, de créer un Groupe d’intervention régionale (GIR) chargé de lutter contre les pratiques abusives en matière de prix ; d’assurer une large diffusion à des enquêtes et des études régulières sur les prix et les revenus ; d’étudier l’impact réel des taxes d‘octroi de mer sur l’économie guadeloupéenne et d’envisager la mise en place d’une « plateforme logistique unique » pour influer sur les prix dans le secteur commercial.
Précisons que ces mesures ministérielles n’annulaient nullement les engagements pris par la signature du protocole d’accord du 4 mars 2009 mais, au contraire, les accompagnaient. Le CIOM s’engageant même à « contrôler systématiquement le respect des accords volontaires mis en place à l’issue des évènements du début de l’année 2009 », allant jusqu’à assimiler le non respect de ces accords dans la distribution « à de la publicité mensongère […] susceptible de sanctions pénales ».
Comme pour l’accord signé de la main du préfet Desforges en mars, les décisions ministérielles de novembre 2009 étaient suffisamment précises pour permettre d’aisément établir, plus d’un an plus tard, leur réalisation ou absence de réalisation.
Grand parad, ti koul baton : des engagements, aucune application
Depuis le 17 octobre 2008, avant même tout mouvement social d’ampleur, et jusqu’encore le 17 décembre 2010, l’Observatoire des prix et des revenus de la Réunion publie, sur le site de la préfecture, le relevé bimestriel (mensuel à l’origine) des prix – dans l’ensemble des grandes enseignes de l’île – d’un chariot-type invariable de 50 produits, d’un panier-type de 10 produits variables et d’une liste de 10 produits locaux. Soit, au total, 18 relevés en deux ans publiés de manière régulière, consultables par tous sur internet, repris et commentés par l’ensemble des médias réunionnais.
Et en Guadeloupe, où le mouvement social a été le plus fort et le plus soutenu ? Quelle application de l’article 19 du protocole d’accord du 4 mars 2009 censé établir un indicateur bimensuel constatant l’évolution de l’inflation et permettant un comparatif des prix entre chaque enseigne ?
Dernier relevé effectué : DECEMBRE 2009 !
Depuis décembre 2009, les citoyens guadeloupéens n’ont donc plus eu droit à aucun renseignement sur l’inflation, plus eu aucun moyen de comparer les prix entre les différentes enseignes. Article 19 non respecté.
L’article 20 prévoyait l’augmentation du nombre d’inspecteurs de la DDCCRF et sa restructuration pour lui permettre justement d’assister l’Observatoire des prix et des revenus dans la publication de l’évolution du prix du « chariot-type » et d’assurer un travail d’enquête sur le terrain. Article 20 non respecté.
Et comme l’Etat n’a jamais subventionné aucun bureau des études ouvrières comme il s’y était engagé, le citoyen guadeloupéen, abandonné par les services de l’Etat, n’a absolument aucun moyen de savoir ni de combien la grande distribution le rackette, ni où aller faire ses achats au prix le moins ostensiblement élevé. Article 22 non respecté.
Quant au « chariot de la ménagère », après la rupture de stocks d’une partie des produits qui le composaient, il a tout simplement disparu, volatilisé comme s’il n’avait jamais existé. Bien savant celui capable de dire quels produits il contenait. La grande distribution a repris son fonctionnement habituel et ses marges opaques et faramineuses sans qu’aucun contrôle des services de l’Etat ne soit venu le constater, le dénoncer et tenter d’y mettre un terme ou, a minima, un frein. Article 13 non respecté.
Mais quelle mesure pourrait prendre un inspecteur de la DDCCRF qui, informé des 150 produits composant le « chariot de la ménagère », serait autorisé à constater la non-application d’un plafonnement de leur prix ?
Absolument rien pour la simple et bonne raison que le gouvernement n’a pris aucune des mesures qu’il avait pourtant lui-même inscrites dans la Loi.
Ainsi, la Loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) promulguée le 27 mai 2009, censée répondre à la contestation sociale dans les départements d’outre-mer, n’est elle d’aucune application dans son volet « soutien au pouvoir d’achat ».
Son article 2 édicte que « les comparaisons de prix, notamment avec les prix pratiqués en métropole, établies par les observatoires des prix et des revenus mis en place outre-mer font l’objet d’une publication trimestrielle ». La Réunion étant, on l’a vu, la seule des 4 régions à établir des relevés de prix, toute publication trimestrielle pour l’outre-mer est évidemment impossible. Et il n’existe, y compris pour la Réunion, aucune comparaison avec les prix en France : opacité totale et préservée sur les profits des importateurs et des distributeurs. Article 2 de la LODEOM non respecté.
Son article 1 institue pourtant la possibilité pour le gouvernement de réglementer, par décret en Conseil d’Etat et conformément à l’article L. 410.2 du code du commerce, « le prix de vente […] de produits ou de famille de produits de première nécessité qu’il détermine pour chaque collectivité territoriale d’outre-mer en fonction de ses particularités ». Article 1 de la LODEOM non respecté.
En réalité, ignorant superbement les lois républicaines, dont l’article L. 410.2, le gouvernement, qui a pourtant reconnu de la bouche du président de la République lui-même les « situations de monopole » et les « difficultés durables d’approvisionnement » qui existent en Guadeloupe, ne propose que le renforcement de la concurrence. Article L 410.2 du code du commerce non appliqué.
Signature du protocole d’accord du 4 mars 2009, convocation des « Etats généraux de l’Outre-mer », Conseil interministériel de l’Outre-mer, visites présidentielles : Grand parad, ti koul baton ! Beaucoup de bruit pour rien ! Gesticulations et inaction. La grande distribution peut continuer à dormir tranquille sur son matelas d’euros. Elle sait que le gouvernement ne lui imposera aucune réglementation venant contrarier ses marges, ni directement par application de la Loi, ni par l’appel ou l’incitation au respect des accords volontaires évoqués dans le protocole d’accord du 4 mars et reconnus par le CIOM du 6 novembre 2009.
L’évaluation de la pwofitasyon par l’Etat
Et quand l’Etat se décide à publier un maigre rapport sur la différence des prix entre la France et ses territoires d’outre-mer, c’est par l’intermédiaire d’une étude suffisamment complexe pour masquer le poids réel de la vie chère dans les dépenses alimentaires des ménages à faibles revenus.
Ce rapport produit par l’INSEE, intitulé « Comparaison des prix entre les DOM et la métropole en 2010 » et publié dans la série INSEE Première en juillet 2010, livre un différentiel des prix comparant le montant du panier de consommation des ménages « métropolitains » s’il devait être payé dans les DOM au montant du panier de consommation des ménages « ultra-marins » s’il devait être réglé en France.
De qui se moque-t-on ?
Une grande partie des produits de base de l’alimentation sous les tropiques se retrouve être, en France, des produits haut de gamme qui ne constituent nullement la base de la consommation des ménages dits « métropolitains ». En revanche, le beurre, le lait ou le riz demeurent des produits de première nécessité que les consommateurs soient français, guadeloupéens ou guyanais !
La démarche de l’INSEE est donc parfaitement vraie d’un point de vue scientifique et totalement fausse d’un point de vue politique. Aucun mouvement populaire ne naîtra en France de la flambée du prix de l’igname et de la banane ! Au contraire, en Guadeloupe, le prix indécent de la farine ou du riz suffit à expliquer ce climat continu d’exaspération sociale.
Puisque le droit légitime des consommateurs à recevoir une information sur les prix à la consommation n’est pas satisfait ; puisque ni les accords du 4 mars 2009, ni les décisions ministérielles du CIOM ne sont appliqués aux prix des produits de première nécessité, c’est aux citoyens que nous sommes de combler la défaillance gouvernementale et étatique.
L’évaluation de la pwofitasyon par les citoyens
Nous sommes quelques uns, membres de Lidéjis Gwadloup et de Lidéjis Fwans, à avoir décidé d’apporter notre modeste contribution à ce devoir citoyen en effectuant le relevé des prix de deux magasins Carrefour – l’un en Guadeloupe et l’autre en région parisienne – au mois de décembre 2010.
Les quelques relevés réalisés par la DDCCRF en 2009 ne nous ayant pas paru réellement exploitables, en raison de données manquantes sur un grand nombre de produits, notre étude porte uniquement sur des produits de base et de grande consommation importés. Notre but est de comparer la différence de prix entre Carrefour Gennevilliers (92) et Carrefour Baie-Mahault sur un même produit.
N’étant pas chargés d’étude en statistiques, ni en prix à la consommation, nous ne commenterons pas de manière détaillée ce relevé des prix opéré sur 50 produits, laissant ainsi les lecteurs en prendre connaissance et se faire leur propre sentiment sur le niveau des écarts constatés. Constatons simplement :
qu’il n’y a aucune cohérence dans les écarts de prix entre les produits commercialisés en France et ceux commercialisés en Guadeloupe.
Comment expliquer que le Carrefour de Baie-Mahault soit en mesure de vendre la lessive en poudre expert Le Chat 5,67 % moins chère que le Carrefour de Gennevilliers alors que la bouteille de 2 litres d’eau de javel Lacroix subit elle une augmentation de 185,04 % ?
On a du mal à croire que les frais de transport et les frais de stockage soient à ce point différents entre deux produits ménagers importés en Guadeloupe. Comment Carrefour Baie-Mahault peut-il justifier que l’eau de javel en Guadeloupe soit trois fois plus chère qu’en France ?
qu’il n’y a aucune logique apparente dans la hausse des prix entre produits de marque nationale et produits des distributeurs.
Ainsi le pack de 6 litres de lait Viva de la marque Candia subit une hausse en Guadeloupe de + 28,83 % alors que, par rapport à leur prix en France, les frites surgelés Carrefour enregistrent une hausse vertigineuse de + 150 % et la confiture de fraises Carrefour discount une hausse de + 85,39 %. Pourtant, comme le rappelle l’avis de l’Autorité de la concurrence du 8 septembre 2009, les produits des distributeurs passent par un circuit de commercialisation plus court et avec moins d’intermédiaires que les produits de marque nationale : leur prix final, moins grévé de marges commerciales intermédiaires, devrait donc enregistré une hausse moins forte.
que la moyenne des prix relevés au Carrefour de Baie-Mahault est supérieure de + 42,78 % à celle des prix du Carrefour de Gennevilliers.
L’inflation que nous avons constatée entre la France et la Guadeloupe est donc supérieure à l’inflation annoncée par l’étude de l’INSEE de mars 2010. Pour les “produits alimentaires”, l’INSEE annonce + 33,8 %, là où nous constatons + 41,67 %. Notre étude est moins fournie, c’est évident, mais il n’en reste pas moins que sur la liste cohérente de courses que nous avons établie, un consommateur guadeloupéen aurait bien payé, en décembre 2010, 74,08 € plus cher qu’en France pour le même chariot. Un billet de 500 francs en plus pour exactement le même chariot !
Que les citoyens soient juges, au regard de ces chiffres et de ce constat, du respect par l’Etat de ses engagements.
Source : Lidéjis