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Des Guadeloupéens attaquent l’Etat français pour esclavage

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Publié LE 06/05/2015 par Olivier Quarante, ALTER MONDE


Mots-clés : #Assignation en justice de l’Etat français
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Alors que François Hollande s’apprête à inaugurer le 10 mai un mémorial de l’esclavage à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, plusieurs organisations de la société civile lancent une action en justice contre l’Etat français pour obtenir une réparation collective en faveur des descendants d’esclaves et des Kalinas.

Au moment même où François Hollande s’apprête à inaugurer le 10 mai (date officielle de commémoration de l’abolition de l’esclavage depuis 2006) un mémorial, destiné à être le « Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage » à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe, le collectif LAKOU-LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon), la Fondation Frantz-Fanon et le Collectif de l’Ouest de Sainte-Rose et Environs (COSE) lancent une offensive judiciaire contre l’Etat pour obtenir une réparation collective en faveur des descendants d’esclaves et des Kalinas.

L’abolition de l’esclavage a pérennisé le système de domination

En toile de fond de cette action, l’idée, soulignée dans le texte de l’assignation déposée la semaine dernière au Tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, que « l’abolition de l’esclavage, présentée comme une mesure de rétablissement citoyen, a eu (…) en fait pour objectif la pérennisation d’un système de domination, entre les descendants des colons et ceux des esclaves ». La voie du contentieux, choisie par les requérants, contraindra-t-elle l’Etat à changer de position alors qu’il a toujours rejeté l’idée de réparation ? Débouchera-t-elle sur une « remise en état », plus large qu’une seule indemnisation financière, et donc, une redistribution des terres, qui passe par une remise en cause de la propriété des « békés » (ou Blanc Pays, en Guadeloupe) ?

La démarche judiciaire trouve son origine dans les luttes sociales de 2009 (photo de Une, crédit : UGTG). Quarante-quatre jours d’un mouvement qui avait paralysé la Guadeloupe au début de cette année-là. « Il y a eu à cette occasion une grande effervescence, se souvient Raymond Gama, responsable du LKP (collectif d’organisations syndicales, politiques et culturelles, animé également par Elie Domota, par ailleurs secrétaire général de l’UGTG). L’expression d’un vaste ras-le-bol face aux grandes difficultés sociales qui perdurent. » A titre d’exemple et selon les derniers chiffres disponibles (2ème trimestre 2013), le chômage touche 26,1 % de la population (il était de 9,2 % en métropole) et 60 % des 15-24 ans (24 % en métropole).

Interdits en Métropole, les baux à colonat perdurent

Parallèlement au mouvement de 2009, une réflexion est engagée autour de l’évolution du système de bail rural pratiqué sur l’île. Sur la commune de Sainte-Rose, là où ont débarqué les premiers Français en 1635, et plus généralement en outre-mer, le bail encore en cours est appelé le « colonat partiaire ». Issu de l’esclavage (colonat signifie état de colon), pratiqué depuis l’abolition de l’esclavagisme en 1848, il prévoit le versement par le paysan -un descendant d’esclave- d’une partie de la récolte en nature (souvent, un quart) au propriétaire -un descendant de maître. Il oblige également le cultivateur à suivre les desiderata de l’ancien maître, notamment le choix des cultures. Interdit depuis 2006 en France, ce système a perduré dans les faits jusqu’à ce qu’en 2010, une nouvelle loi transforme tous les baux à colonat partiaire en baux de fermage classique (qui prévoit le paiement d’un loyer fixe).

Mais, une question surgit alors quand un propriétaire « béké » de Sainte-Rose, patron de la Compagnie agricole du comté de Lohéac, contraint de revoir le système de bail, propose en mai 2009, soit deux mois après la fin du mouvement social, aux agriculteurs présents sur « ses » terres de résilier à l’amiable leur contrat d’exploitation. Raymond Gama explique

« Le mouvement social a aidé à l’émergence de la question : pouvez-vous nous prouver votre statut de propriétaire ? Les réformes foncières des années 1970 et 1980, à partir des terres de Sainte-Rose et la mobilisation de nos familles, et les distributions de terres décidées n’ont pas supprimé la « pwofitasyon » domaniale. On se rend compte que l’Etat adapte ses textes à la situation coloniale mais ne veut pas toucher au fond du problème. C’est la cas, par exemple, avec la suppression en 2006 puis en 2010 du bail à colonat, qui ne permet pas de poser la question de la propriété. Le lien est pourtant direct et chronologique entre la naissance de la société coloniale et la répartition actuelle des richesses et du pouvoir politique en Guadeloupe, qui est profondément inégale »

Occupation des terres à Sainte-Rose

Hubert De Jaham, "propriétaire" des terres de Daubin objet du conflitHubert De Jaham, « propriétaire » des terres de Daubin objet du conflit, en train de les arroser de pesticides (Crédit : Cose)

Aujourd’hui, la contestation dans le secteur de Daubin, sur la commune de Sainte-Rose, prend la forme d’une occupation des terres, dont les cultivateurs demandent la restitution -quand la famille à la tête de la compagnie agricole revendique la propriété de 4000 des 12 000 hectares que compte la commune-, d’une mise en culture, de l’installation de barrages pour interdire l’accès à leurs champs… Des heurts avec des hommes de main du dit propriétaire ont éclaté à plusieurs reprises. Sur le plan judiciaire, le dossier suit son cours depuis début 2013. « A ce jour, les grandes propriétés agricoles restent à la descendance des anciens maîtres esclavagistes, pourtant incapables de justifier d’un titre valable », peut-on lire dans l’acte d’assignation déposé la semaine dernière par les quatre requérants, dont le Collectif de l’Ouest de Sainte-Rose et Environs (COSE) qui mène la lutte sur ce dossier.

« Ce combat mené localement a été le véritable point de départ d’une réflexion sur la question de la terre et plus largement encore sur cette situation, qui voit toujours aujourd’hui des Afro-descendants et le peuple indigène des Kalinas, qui soutient notre démarche, subir les conséquences de cette histoire tronquée, souligne Mireille Fanon-Mendès-France, présidente de la Fondation Frantz-Fanon et experte du groupe de travail sur les Afro-descendants au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Les Kalinas, contraints de fuir sur l’île proche de la Dominique au milieu du 17ème siècle pour éviter d’être davantage massacrés, vivent sur un territoire qui leur est dédié mais dans des conditions précaires. Les descendants d’esclaves, eux, sont maintenus dans une forme d’assistanat, puisqu’on leur interdit d’assurer leur souveraineté. »

Deux questions prioritaires de constitutionnalité déposées

Pour « remettre à l’endroit l’histoire et remettre ces personnes dans leurs droits », selon les mots de Mireille Fanon-Mendès-France, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) devraient être déposées dans deux semaines. Comme l’explique l’avocat Gilles Devers :

« l’article 5 du décret du 27 avril 1848 relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et les possessions françaises, qui institue l’indemnisation des anciens maîtres esclavagistes, mais pas des nouveaux libres, et la loi n° 285 du 30 avril 1849 relative à l’indemnité accordée aux colons par suite de l’abolition de l’esclavage, qui a permis le versement de près de 41 millions de Francs pour l’affranchissement de 87 087 esclaves, à travers une compensation immédiate et surtout une rente sur 20 ans, sont pour nous anti-constitutionnels notamment parce que ces textes ne respectent pas le principe d’égalité (articles 1 et 6 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme) et le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (Préambule de 1946). La suite de la procédure d’assignation est donc tout à fait liée à la réponse qui sera apportée à ces deux questions de constitutionnalité. »

Mireille Fanon-Mendès-France conclut : « Dans le regard des Français, les descendants d’esclaves n’existent pas ! L’Etat parle en permanence d’égalité, mais n’a jamais abrogé cette loi. C’est un réel paradoxe qui peut expliquer en partie la discrimination dont ils souffrent encore aujourd’hui ».

Publié par la Rédaction le mercredi 17 février 2016

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