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Sur la situation en Haïti : Interview de Julie Génelus

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Mots-clés : #Solidarités #Haïti
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Pour informer sur la situation du mouvement syndical en Haïti, l’interview de Julie Génelus, membre du bureau exécutif de la CATH et secrétaire de l’Association démocratique des femmes haïtiennes, réalisée le 29 août à Port-au-Prince, quelques jours avant le passage du premier ouragan.

Julie, peux-tu te présenter ?

Je suis secrétaire de la l’ADFEMTRAH, une association de femmes haïtiennes. Je suis aussi membre du bureau exécutif de la CATH qui est une organisation syndicale de défense des travailleurs, indépendante, regroupant 30 000 syndiqués. Notre association de femmes est membre de la CATH.

Quelle est la situation sociale dans le pays ?

La situation que nous connaissons est très difficile. Il n’a pas de travail, 80% de la population en âge de travailler est au chômage et il n’y a pas comme chez vous un système d’assurance chômage. Et pour les 20% de ceux qui ont un emploi, les salaires sont très faibles comparés au coût de la vie. Le salaire minimum journalier est de 135 gourdes (moins de 3 euros ). Un employé de banque, un fonctionnaire de niveau moyen gagne l’équivalent de 100 euros par mois. La vie est très chère : le riz qui est la nourriture de base des haïtiens a triplé de prix et il est passé au dessus d’un euro le kilo, c’est ce qui a provoqué les émeutes de la faim d’avril où le peuple est descendu dans la rue et s’est fait tiré dessus par la Minustah ; Il y a eu 6 morts et 190 blessés par balles. (NDLR : Minustah, Mission des Nations Unis pour la stabilisation en Haïti, troupes d’occupation de l’ONU en poste depuis avril 2004, composées de 9 000 militaires de 40 pays sous commandement brésilien).

Dans cette situation difficile, quel est aujourd’hui le combat particulier des femmes syndiquées au sein de l’association et du syndicat ?

Nous nous occupons d’organiser et d’essayer de venir en aide aux femmes du secteur informel. Comme le reste de la population, 80% des femmes haïtiennes n’ont pas de travail. Pour survivre, elles essaient de vendre dans les rues, sur les trottoirs tout ce qu’elles peuvent, tout ce qu’elles trouvent. On essaie aussi d’organiser les femmes de la campagne et celles qui sont dans les quelques usines en particulier celles qui travaillent dans les zones franches où le syndicat est quasiment interdit et où elles sont surexploitées, sans aucun droit. Un des plus gros problèmes pour celles qui travaillent tant dans le privé que dans le public, c’est le harcèlement. Mais aujourd’hui les mères de famille sont confrontées à la rentrée des classes. Pour la très grande majorité, elles ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école car elles n’ont pas d’argent.

Pourquoi les familles doivent payer pour la scolarité alors que la Constitution haïtienne de 1987 en vigueur aujourd’hui affirme que l’enseignement est gratuit, public et obligatoire ?

Le gouvernement ne respecte pas la Constitution ni pour l’éducation ni pour le reste. Il ne fait rien, il ne prend pas ses responsabilités car il est complètement à la solde des puissances étrangères qui ont détruit et volé notre pays. Par contre, il sait donner l’ordre à la Minustah de faire tirer sur le peuple qui a faim.

A 15 jours de la rentrée scolaire, il laisse entendre que celle-ci va être retardée d’un mois pour trouver des solutions car il a peur de la colère des familles qui ne vont pas pouvoir envoyer les enfants à l’école. Elles n’ont pas d’argent et il faut acheter des chaussures pour les enfants, des crayons, des cahiers. Les familles ont en moyenne cinq à six enfants mais à cause de la pauvreté elles ne peuvent en envoyer qu’un ou deux à l’école. Et dans l’enseignement public il n’y a pas assez d’écoles, on peut trouver 100 à 150 élèves dans une classe avec un seul maître. C’est très difficile pour les enfants d’apprendre quelque chose dans ces conditions.

On voit par contre beaucoup d’écoles privées, principalement religieuses ?

Oui, Tout à fait. L’enseignement public ne représente que 10%, tout le reste est privé et ces écoles font bien sûr payer les familles. Dans la situation de misère que l’on connaît dans notre pays c’est un grave problème comme tu peux l’imaginer.

Dans cette situation que fait ton association et que fait la CATH pour cette rentrée scolaire ?

Notre combat syndical aujourd’hui est d’essayer d’aider quelques centaines de ces femmes, de nos syndiqués, afin qu’elles aient de quoi acheter un minimum de fournitures. Mais le syndicat n’a pas beaucoup de moyens, la cotisation syndicale mensuelle pour ceux qui travaillent n’est que de 10 gourdes (0,20 euro). La CATH est obligé d’organiser une tombola avec l’objectif de placer 10 000 billets et essayer d’avoir ainsi un peu d’argent pour fonctionner, en particulier essayer de trouver un local pour se réunir et organiser nos activités. En ce qui concerne la rentrée scolaire, pour l’association des femmes dont je suis la secrétaire, on lance un appel à la solidarité de nos camarades syndicalistes dans le monde entier pour essayer d’aider si possible au moins 300 familles pour qu’elles puissent envoyer leurs enfants à l’école et acheter un peu de fourniture.

Nous ne sommes pas comme ces centaines d’ONG avec leurs 4x4 aux vitres teintées, flambants neufs et climatisés. Nous sommes une association et un syndicat indépendant, de ces ONG comme du gouvernement. Nous ne faisons pas non plus la mendicité. Comme tu as pu le constater, malgré la misère et la situation très difficile pour trouver à manger, il n’y a peu de mendiants dans les rues , le peuple haïtien est un peuple fier parce qu’il a une histoire. Celle des esclaves qui se sont révoltés, qui se sont émancipés de l’esclavage et ont en 1804 constitués la première république noire au monde, ce qu’on nous a fait chèrement payé par la suite.

Les Haïtiens ne mendient pas, ils essaient de survivre, de lutter et de s’en sortir par tous les moyens. Je m’adresse à toutes les femmes syndicalistes et aux hommes aussi, à tous les syndicats qui luttent comme nous en France, en Guadeloupe, en Martinique, en République Dominicaine et partout ailleurs pour améliorer les conditions de vie des travailleurs, je leur dis : aidez-nous, aidez le syndicalisme libre et indépendant en Haïti et nos camarades femmes afin que quelques centaines puissent envoyer leurs enfants à l’école, au moins ceux-là ne seront pas dans la rue, utilisés pour porter des armes et pour tous les trafics.

Ton appel sera j’en suis sûr entendu. As-tu quelque chose à ajouter ?

Nous organisons avec l’association des femmes les 11 et 12 décembre prochains notre premier congrès syndical des femmes. Nous y rendons compte bien sûr de la solidarité reçue et de son utilisation. Je profite de cette interview pour inviter à notre congrès toutes les organisations syndicales dans les différents pays qui se battent aux côtés des travailleurs, pour de meilleurs salaires, pour le travail, contre la vie chère, pour l’école publique et gratuite. Comme nous sommes un pays occupé qui lutte pour le départ immédiat de cette armée étrangère, pour le droit à être une nation libre, souveraine, j’invite aussi à notre congrès des 10 et 11 décembre toutes les organisations de travailleurs qui luttent comme nous pour leur souveraineté nationale.
Merci.

Julie Génelus, membre du Bureau exécutif de la CATH,
Secrétaire de l’ADFEMTRAH (Association démocratique des femmes travailleuses haïtiennes)

Interview réalisée par l’Entente internationale des travailleurs et des peuples

Publié par la Centrale UGTG le lundi 29 septembre 2008
Mis à jour le mardi 2 décembre 2008

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