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Le conflit sur l’essence explique-t-il la tension aux Antilles ?
C’est une des illustrations d’un système de rente, protégé par l’Etat, qui opère au détriment des populations. Toute l’essence consommée en Guyane et aux Antilles provient d’un seul fournisseur, la Sara (Société anonyme de la raffinerie des Antilles). En décembre dernier, les Guyanais ont fait grève pour obtenir une baisse du prix de l’essence. Nous, les élus guyanais, avons commencé à enquêter et nous soupçonnons de nombreuses irrégularités : mystère d’un prêt de 19 millions d’euros obtenu pour des travaux de mise aux normes qui n’ont pas été réalisés, irrégularités concernant les droits de douane. La Sara gonfle ses prix sans raison valable. Comme le prix du carburant est validé par le préfet, l’Etat couvre ses pratiques !
C’est un dysfonctionnement constaté en Guyane ou une règle ?
C’est un système dont sont victimes aussi bien les Guyanais que les Antillais. Au lieu de protéger les consommateurs contre une situation de monopole, l’Etat — sans doute par négligence — protège une société en situation de monopole dans un marché captif. Et on retrouve la même opacité dans le secteur du transport ou de la grande distribution ! A l’occasion du conflit guadeloupéen, la métropole découvre que l’outre-mer n’est pas une danseuse chère à entretenir mais un territoire oublié de la République ou plutôt un territoire spolié, miné par les pratiques frauduleuses, les positions de monopole et la concentration du pouvoir économique. La défiscalisation, les exonérations diverses et tous les investissements consentis par l’Etat font le bénéfice de quelques-uns et non le bien de tous. Quand on fait des commentaires sur les Antilles "assistées", qui vivraient aux crochets de Paris, à travers l’aide sociale ou le RMI, on stigmatise des populations, mais en réalité, ce sont quelques grands groupes, quelques patrons, quelques familles
qui bénéficient depuis toujours des prébendes et des protections de la République.
Les syndicalistes guadeloupéens accusent les békés, les descendants des premiers colons blancs...
N’en faites pas une question raciale ! C’est un problème social et historique. Il y a aux Antilles des disparités sociales cruelles et qui viennent directement, historiquement, de l’esclavage. Le pouvoir économique des békés est né de la traite, il a été installé quand l’Etat a indemnisé les propriétaires d’esclaves, au moment de l’émancipation. Tout le monde a ça en tête. ça explique l’émotion provoquée par le documentaire de Canal+ mais la colère existait avant. Ne vous trompez pas : les leaders du collectif LKP ne sont pas des racistes anti-Blancs. Ils exposent une réalité sans prendre de précautions oratoires : une caste détient le pouvoir économique et en abuse. Cette puissance est encore plus importante en Guadeloupe qu’en Martinique, même si elle se voit moins. Là, on frôle l’apartheid social : j’ai vu, en Guadeloupe, un lotissement entouré d’immenses clôtures, uniquement peuplé de Blancs. En Martinique, les békés possèdent d’immenses propriétés alors que la terre est inaccessible pour la majorité des Martiniquais. En Guyane, les richesses sont concentrées dans les mains de quelques-uns mais il n’y a pas de problème de couleur de peau, car la société est plus métissée, les descendants de colons se sont mariés avec des Guyanais.
Comment sortir de la crise ?
Il faut que le Président s’exprime, de façon solennelle, pour dire aux Guadeloupéens et aux Martiniquais que la République a pris la mesure du problème. La voix d’Yves Jégo ne porte pas assez. Nicolas Sarkozy doit prendre acte des abus constatés sur nos territoires et s’engager à ce que toute la lumière soit faite sur l’opacité des prix. Il faut aussi porter plainte contre les compagnies pétrolières, sinon l’Europe s’en chargera. Si l’Etat ne fait rien, la lutte va continuer : les négociations ne sont pas obérées par l’intransigeance syndicale mais par l’injustice du système. Mais si les responsables des pratiques frauduleuses sont punis, si l’Etat s’engage à installer la transparence, s’il est aussi exigeant face aux prébendes qu’il est sévère face à la moindre incivilité, alors une sortie de crise deviendra possible.
Propos recueillis par Claude ASKOLOVITCH et Anne-Laure BARRET
Le Journal du Dimanche
14 février 2009