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Utilisation de la langue créole au tribunal : Ce que dit la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

 

Le Mardi 14 Septembre, une déléguée syndicale de l’UGTG (Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe) est convoquée devant la Cour d’Appel de Basse-Terre. Dès le début de l‘audience, le Président du tribunal lance en direction de la salle « vous avez fait le nombre mais vous ne me faites pas peur ». Il est vrai qu’habituellement les procès des membres de l’UGTG ne sont pas ouverts au public. Cet épisode annonçait la suite.
Quelques minutes plus tard, le Président de la cour interroge notre camarade et cette dernière répond en Créole, comme elle l’a fait en première instance au Tribunal de Pointe-à-Pitre, où elle a bénéficié de l’assistance d’un interprète.
C’est alors que le Président de la Cour d’Appel s’exprimant sur un ton particulièrement arrogant, voire méprisant à l’égard de cette jeune camarade, lui interdit de parler créole dans son tribunal en indiquant que les décisions de justice sont prises en français ; que dans son tribunal on parle français et que de toutes les manières, elle serait jugée et condamnée.
Cette interdiction de s’exprimer en créole est d’autant plus incohérente que notre camarade était poursuivie pour une prétendue diffamation qu’elle aurait prononcée en créole.
Ce manque évident d’impartialité a provoqué une réaction indignée de l’assistance. S’en suit alors quelques protestations dans la salle et il n’en faut pas plus au président du tribunal pour exiger l’évacuation de la salle qui se fera par la gendarmerie en arme, dans des conditions choquantes. A noter que la prévenue a elle aussi été reconduite hors de l’enceinte du palais de justice.
Quelques instants plus tard, l’avocat de notre camarade a un malaise nécessitant l’intervention des pompiers et du SAMU.

Et pourtant, curieusement la décision a été mise en délibéré au 08 novembre 2010 sans que notre camarade ait pu se défendre ni son avocat plaider.

Ce magistrat n’est qu’un lâche ! Et, probablement surpris (peut-être même ébranlé) par les réactions à sa décision, sa hiérarchie - en la personne d’Henry ROBERT, président de la Cour d’Appel - s’est fendue d’une "analyse" dans le quotidien local pour justifier sa décision : où - s’agissant de l’usage de la langue créole en Guadeloupe par les Guadeloupéens - il se réfugie derrière la Constitution française et la Jurisprudence de la Cour de cassation...
Mais passe il sous silence et omet d’expliquer : les multiples provocations lors de l’audience, la décision d’expulser le maigre public de la salle alors que rien ne le justifiait, la décision d’expulser même la prévenue, la décision de mettre en délibéré une affaire jugée en l’absence donc de cette dernière mais aussi de son conseil (victime d’un malaise)...

Dans la lettre ouverte adressée à la ministre de la justice suite à cette parodie de procès, l’UGTG s’interrogeait en ces termes : « Le créole n’est-elle pas une langue reconnue par la constitution française et la charte européenne des langues régionales ? »

Ce texte fournit - il est vrai - quelques éléments de réponse :

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est une convention destinée d’une part à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires en tant qu’aspect menacé du patrimoine culturel européen, et d’autre part à favoriser l’emploi de ces langues dans la vie privée et publique.

La France a signé 39 des 98 articles que compte la Charte, mais sans les ratifier. Le processus de ratification s’est interrompu en juin 1999 quand le Conseil Constitutionnel, saisi par Jacques Chirac, alors président de la République, a estimé que cette charte contenait des clauses inconstitutionnelles, incompatibles en particulier avec son article 2. Il faudrait donc une modification de la Constitution pour permettre cette ratification.

Depuis, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit une mention de la valeur patrimoniale des langues régionales : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » (Article 75-1 de la Constitution du 4 octobre 1958).

Cependant, depuis sa signature, la France n’a pas ratifié la Charte : ses engagements (contenus dans les 36 articles) sont donc restés lettre morte jusqu’ici.

Et puisque nos "démocrates"... ne disent mot (préférant sans doute cantonner l’usage du créole au champ culturel ou folklorique, en attendant sa disparition), seule la mobilisation et notre détermination constantes dans les prétoires pourra briser la volonté de ces magistrats coloniaux de nier notre droit inaliénable a palé lang annou an Péyi annou ki tannou.

Ci-après, le préambule et l’article 9 de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.

Préambule

Les Etats membres du Conseil de l’Europe, signataires de la présente Charte,

Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, notamment afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun ;

Considérant que la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe, dont certaines risquent, au fil du temps, de disparaître, contribue à maintenir et à développer les traditions et la richesse culturelles de l’Europe ;

Considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, et conformément à l’esprit de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l’Europe ;

Prenant en compte le travail réalisé dans le cadre de la CSCE, et en particulier l’Acte final d’Helsinki de 1975 et le document de la réunion de Copenhague de 1990 ;

Soulignant la valeur de l’interculturel et du plurilinguisme, et considérant que la protection et l’encouragement des langues régionales ou minoritaires ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre ;

Conscients du fait que la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d’Europe représentent une contribution importante à la construction d’une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale ;

Compte tenu des conditions spécifiques et des traditions historiques propres à chaque région des pays d’Europe,

Sont convenus de ce qui suit :

[...]

Partie III – Mesures en faveur de l’emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique, à prendre en conformité avec les engagements souscrits en vertu du paragraphe 2 de l’article 2

[...]

Article 9 – Justice

1) Les Parties s’engagent, en ce qui concerne les circonscriptions des autorités judiciaires dans lesquelles réside un nombre de personnes pratiquant les langues régionales ou minoritaires qui justifie les mesures spécifiées ci-après, selon la situation de chacune de ces langues et à la condition que l’utilisation des possibilités offertes par le présent paragraphe ne soit pas considérée par le juge comme faisant obstacle à la bonne administration de la justice :

  • a) dans les procédures pénales :
    • i) à prévoir que les juridictions, à la demande d’une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales ou minoritaires ; et/ou
    • ii) à garantir à l’accusé le droit de s’exprimer dans sa langue régionale ou minoritaire ; et/ou
    • iii) à prévoir que les requêtes et les preuves, écrites ou orales, ne soient pas considérées comme irrecevables au seul motif qu’elles sont formulées dans une langue régionale ou minoritaire ; et/ou
    • iv) à établir dans ces langues régionales ou minoritaires, sur demande, les actes liés à une procédure judiciaire,

si nécessaire par un recours à des interprètes et à des traductions n’entraînant pas de frais additionnels pour les intéressés ;

  • b) dans les procédures civiles :
    • i) prévoir que les juridictions, à la demande d’une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales ou minoritaires ; et/ou
    • ii) à permettre, lorsqu’une partie à un litige doit comparaître en personne devant un tribunal, qu’elle s’exprime dans sa langue régionale ou minoritaire sans pour autant encourir des frais additionnels ; et/ou
    • iii) à permettre la production de documents et de preuves dans les langues régionales ou minoritaires,

si nécessaire par un recours à des interprètes et à des traductions ;

  • c) dans les procédures devant les juridictions compétentes en matière administrative :
    • i) à prévoir que les juridictions, à la demande d’une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales ou minoritaires ; et/ou
    • ii) à permettre, lorsqu’une partie à un litige doit comparaître en personne devant un tribunal, qu’elle s’exprime dans sa langue régionale ou minoritaire sans pour autant encourir des frais additionnels ; et/ou
    • iii) à permettre la production de documents et de preuves dans les langues régionales ou minoritaires,

si nécessaire par un recours à des interprètes et à des traductions ;

  • d) à prendre des mesures afin que l’application des alinéas i et iii des paragraphes b et c ci-dessus et l’emploi éventuel d’interprètes et de traductions n’entraînent pas de frais additionnels pour les intéressés.

2) Les Parties s’engagent :

  • a) à ne pas refuser la validité des actes juridiques établis dans l’Etat du seul fait qu’ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire ; ou
  • b) à ne pas refuser la validité, entre les parties, des actes juridiques établis dans l’Etat du seul fait qu’ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire, et à prévoir qu’ils seront opposables aux tiers intéressés non locuteurs de ces langues, à la condition que le contenu de l’acte soit porté à leur connaissance par celui qui le fait valoir ; ou
  • c) à ne pas refuser la validité, entre les parties, des actes juridiques établis dans l’Etat du seul fait qu’ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire.

3) Les Parties s’engagent à rendre accessibles, dans les langues régionales ou minoritaires, les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernent particulièrement les utilisateurs de ces langues, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement.

L’intégralité du texte : Charte européenne des langues régionales ou minoritaires - Strasbourg, 5.XI.1992

Post-Scriptum

| Lire : Dany BEBEL GISLER - La langue créole, force jugulée : Etude sociologique des rapports de force entre le créole et le français aux Antilles - L’Harmattan - 1976

| Lire sur le site : Rézolisyon Twa (N°3) : Pou kilti a pèp Gwadloup - XIIe Congrès de L’UGTG

| Guadeloupe : « Il était une nouvelle fois dans les Colonies » ... Lettre ouverte de L’UGTG à Madame la Ministre de la Justice & Garde des Sceaux à propos des conditions de déroulement du procès de Régine DELPHIN à la Cour d’Appel de Basse-Terre - 28 Septembre 2010

Publié par Ibuka le dimanche 17 octobre 2010
Mis à jour le lundi 18 octobre 2010

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