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L’UGTG dans "Démocratie et Socialisme"

 

I - C’EST PAS LES SALARIES QU’IL FAUT CHANGER, C’EST LES PATRONS D’ACCOR

Publié par Démocratie & Socialisme le 14 novembre 2002
GÉRARD FlLOCHE
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En 2000, l’hôtellerie Guadeloupéenne a accueilli 623 000 Clients dans 175 hôtels dont la capacité d’hébergement est de 8 500 chambres. Si, de mai à octobre, la fréquentation est faible, de décembre à avril, le taux d’occupation des chambres est très élevé (70 %). La durée moyenne des séjours est restée stable (autour de 6 jours). Majoritairement, il s’agit de voyageurs venus de métropole (75 %), des autres départements d’Outre-Mer (14 %) et du reste de l’Europe (6 %), les touristes américains et canadiens préfèrent les Iles du nord (St-Martin, Si-Barthélémy).

La population active occupée est de 125 200 personnes, en progression de 7 % par rapport à 1990. 78 % de ces salariés sont occupés dans le tertiaire (82 % des actifs occupés sont salariés). Le secteur des services aux particuliers compte 5 700 établissements, dont 69 % sont des hôtels restaurants. Cela représente 30 000 salariés de façon directe et beaucoup plus de façon indirecte. (Sachant que la population totale est de 422 500 habitants et le taux de chômage est de 25,7 %). L’industrie étant faible, la création des richesses de l’économie de l’archipel guadeloupéen repose à 80 % sur des services essentiellement commerce, hôtellerie, restauration. Les recettes touristiques contribuent à la croissance du PIB pour 1,4 %.

C’est dans ces conditions que le groupe hôtelier tout puissant, Accor, annonce, dans une lettre de son PDG, Gérard Pélisson, au président de la République, après trente ans d’implantation dans l’île, qu’il va la quitter parce que les salariés du tourisme ne sont pas assez accueillants, ont des salaires trop élevés et font trop souvent la grève... Le groupe fermerait deux hôtels sur quatre...

Ils prennent tout, ils rendent rien...

Accor a bénéficié depuis trente ans de toutes les mesures de défiscalisation qui lui ont permis de s’implanter largement et d’effectuer d’énormes bénéfices. Mais voilà que les actionnaires en veulent davantage et, du coup, ils inventent de nouvelles destinations possibles vers St Domingue, Haïti et Cuba.

Le PIB par habitant est de 8184 $ en Guadeloupe, il n’est que de 2351 $ à Cuba, de 1928 $ à St Domingue, de 478 $ en Haïti...
L’idée des capitalistes est donc simple, en apparence : se tourner vers de nouveaux horizons avec une main d’œuvre corvéable, car sans syndicat, sans protection sociale, à très bas salaire, et sans droit du travail. En même temps "donner une leçon" insultante, quasi-raciste, aux travailleurs guadeloupéens : "manque de productivité", "manque d’esprit de service", soyez plus dociles, soyez moins exigeants, laissez-vous exploiter davantage, sinon, on vous renvoie... C’est un chantage à l’emploi, et aux salaires archi classique.

Accor n’a rien mis en oeuvre pour la formation : il n’y a pas d’école hôtelière, le groupe n’a pas versé des salaires mirobolants (les guadeloupéens du secteur privé gagnent 17 000 euros en moyenne par an, environ 10 % de moins pour un employé que la moyenne française). Il n’a pas investi en vain : tout lui a été facilité. Raymond Gouthierot, dirigeant de l’Union générale des travailleurs guadeloupéens, (UGTG) explique bien que :
- « C’est un prétexte : il y a trente ans, Accor et les groupes hôteliers se sont installés en Guadeloupe et Martinique. Ils ont fait beaucoup de bénéfices, grâce à la défiscalisation et aux baisses de charges sociales. Maintenant, c’est fini, ils cherchent une excuse. Mais c’est faux : aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus professionnels qu’il y a trente ans. On dit que nous ne sommes pas souriants, mais la crise du tourisme est plutôt à chercher dans la crise du transport aérien et l’incapacité des groupes de tourisme à fidéliser leur clientèle. Aujourd’hui, les clients venus d’Europe ou d’Amérique demandent autre chose que le soleil, la mer et les animations de base qu’on trouve partout sur la planète. Résultat : les touristes reviennent en Guadeloupe, mais dans les gîtes ou chez l’habitant ! Enfin, les groupes favorisent les autres pays de la zone caraïbe, où l’on trouve de la main-d’œuvre à quelques dollars par mois. Quant à Accor, il y a beaucoup de questions à se poser : pourquoi, si le service est si mauvais, ferme-t-il un hôtel à un endroit et en conserve-t-il un autre à 20 kilomètres de là ? Pourquoi, alors que trois repreneurs sont sur les rangs, choisit-il le seul qui se propose de licencier 50 % du personnel ? » (Libération du 9 novembre)

Accor a profité de tout : "Ils ont mangé pendant trente ans et ils s’en vont en cassant l’assiette".

En fait, pour faire du bon tourisme, il faut du personnel qualifié, bien payé, et de l’innovation dans le produit proposé, tout ce que Accor ne se propose pas de mettre en oeuvre. Pourtant la Guadeloupe, ses infrastructures, le niveau scolaire, de santé, de formation, de logement de ses habitants, les équipements sont mille fois supérieurs aux autres îles Caraïbes, et ce sont des atouts immenses, pas des handicaps pour le tourisme !

C’est là qu’il faut renvoyer l’argumentaire : ce n’est pas un problème de mauvais employés, c’est un problème de mauvais patrons. L’incompétence, la grossièreté sont du côté de la direction d’Accor, pas de ses employés.

L’effet économique vu par le gouvernement

Au lieu de s’en prendre à ces vandales qui profitent des cadeaux fiscaux puis crachent dans la soupe, les réactions de Léon Bertrand, secrétaire d’état au TOM-DOM, vont aller en sens inverse : davantage de concessions aux employeurs de type Accor.

On nous explique que les Antilles françaises vont mal : les jeunes sont deux fois plus sans emploi qu’en métropole, le RMI est versé à plus de 16 % de la population. L’hôtellerie, n’a pas réussi à prendre le relais du secteur agricole, l’activité historique des îles. La canne à sucre est sinistrée. Les bananes antillaises coûtent trois fois plus cher à produire qu’elles rapportent à la vente.

Le gouvernement va donc répondre favorablement au chantage d’Accor : il va encore plus défiscaliser et "baisser les charges". Une loi-programme est envisagée en décembre pour refaire un pont d’or de réduction des impôts pour les riches : la déduction à 100 % des investissements que la gauche avait rognée de moitié va être rétablie, et les déductions de cotisations sociales, jusque-là réservées aux artisans vont être étendues à tous les emplois jusqu’alors réservés aux artisans.

En même temps, une campagne est menée pour fustiger le syndicat qui combat, fort bien, pour défendre les droits des salariés guadeloupéens :
Patrick Ollier, président (UMP) de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, n’hésite pas : « Aujourd’hui il y a une agitation qui est conduite par des partis politiques ou des syndicats [qui] sont minoritaires, mais, malheureusement, tellement actifs qu’ils dominent le climat social".

Léon Bertrand, le secrétaire d’Etat au Tourisme, ajoute : « Le discours très virulent des indépendantistes a ouvert des brèches dans l’esprit des Antillais. Et certains croient désormais que le fait de servir des clients européens revient à reproduire des images du temps de l’esclavage. Même si tous les Antillais ne raisonnent pas comme cela, disons qu’il existe un malaise, qui dépasse le tourisme. »

Raymond Gauthiérot, "Remon" secrétaire général du syndicat UGTG répond :
« Le rôle d’un syndicat, c’est de réagir quand les salariés sont lésés. Mais chaque fois qu’il y a une grève en Guadeloupe, c’est à cause du patronat béké ou de l’Etat. Il manquait 500 postes d’enseignant en Guadeloupe à la rentrée, c’est pour cela que les classes ont repris avec quinze jours de retard. Si les salariés de l’électricité ont fait grève, c’est qu’on leur a refusé le bénéfice de la convention collective. Et à Texaco, c’est le licenciement de salariés grévistes qui motive le mouvement d’aujourd’hui. En France, devant des cas pareils, on fait grève aussi ! Regardez ce qui s’est passé chez MacDonald’S. Nous sommes un petit pays. Lorsque quelques salariés ont un problème, cela rejaillit très vite sur les familles, sur la commune, et cela a un retentissement au-delà. Veut-on nous reprocher d’être solidaires ? Il se trouve que l’UGTG est le seul syndicat encore debout ici. C’est pour cela que nous sommes ciblés par les pouvoirs publics. » (Libération du 9/11).

GÉRARD FlLOCHE
À POINTE-À-PITRE, LE 14 NOVEMBRE 2002


II - Etrange "département"

II ne faut pas dix minutes pour ressentir que c’est une colonie. 422 000 habitants, moins de 10 % de "blancs". Une colonie où il y a encore moins de trente ans, le 26 mai 1967, le ministre gaulliste Billotte faisait tirer à la mitraillette sur des grévistes du bâtiment, et cela faisait 87 morts "officiels".

La Guadeloupe vient donc de connaître cette mi-novembre 2002 une nouvelle attaque des békés mondialisés derrière le groupe Accor. Et à Paris, Libé a même parlé de "grève générale".
Pression a été faite contre les syndicats, par un employeur, Accor multinational égoïste et incapable, qui s’empresse de "casser les assiettes" des touristes qu’il a fait venir, menace classiquement de délocaliser à St Domingue, et réclame davantage de défiscalisation, de cadeaux sous forme d’allégement de salaires par des cotisations sociales en moins.

Une colonie qui ne peut pas vivre aujourd’hui sans la métropole et que l’on fait donc "chanter", que l’on divise sur tous les tons de Canal 10 à RFO et France-Antilles : à St Domingue, ressasse-t-on, le PIB par habitant est de 478 $ soit 20 fois moins qu’en Guadeloupe, c’est "grâce à la France, la différence". On n’est pas pourtant pas ici dans une économie "libérale" : les "entrepreneurs" n’entreprennent rien sans financement de l’état, ne travaillent pas sans financement de l’état, ne licencient pas sans financement de l’état... Tout juste des pique-assiettes, des vulgaires consommateurs d’argent public, qui, en plus, se permettent de donner des leçons aux travailleurs... Le PDG d’Accor, Gérard Pélisson qui écrit à Chirac pour se plaindre du service mal fait et trop cher, n’est qu’un Jean-Marie Messier au petit pied, aussi "virable" que l’autre.

30 % de chômeurs, 25 000 personnes au Rmi, 16 % des salariés gagnent moins de 2000 F par mois. Les individus comme les "patrons" dépendent des subventions. Et celles-ci servent à redistribuer inégalitairement. Très inégalitairement.

Promenez vous à Carénage, sur le port, près Pointe à Pitre, vous êtes dans des "logements" dignes d’Haïti, bidonvilles de tôle et de bois, disparus de France dans les années soixante, remplacés par des "HLM" que l’on retrouve ici dans un état tel qu’on devrait forcer les architectes à y vivre...

"Département" fou de bagnole et recordman d’accidents de la route, déséquilibré de jeunesse inoccupée, d’inégalités plus criantes qu’ailleurs, ti’ punch qui ruine la santé, mal être qui ruine l’esprit. Politique et poésie partout. Une "information" contrôlée à mille contre un, c’est-à-dire contre la gauche cultivée et intelligente mais divisée : lorsque les békés occupent la Sava, et bloquent l’aéroport avec des camions à essence pour imposer des subventions à la banane, c’est normal, quand le syndicat UGTG ose en faire de même pour protester contres des licenciements, c’est insupportable.

Plages paradisiaques, hôtels "club Med’" fermés sur eux-mêmes, côtoient la misère, le sida, l’alcoolisme, le crack et la délinquance qui vont avec. Corruption, assistance, fonction publique, il faut se souvenir que dans ce pays, lorsque les esclaves ont été "libérés" leurs propriétaires ont été indemnisés.

Colonie-département, dépendance organisée, les Caraïbes sont voisines et lointaines (moins de 2 % des échanges sont régionaux). Il fait bon regarder la pluie tropicale quand on est sous la mer : il fait bon partout, dehors et dedans. Mais les luttes sont âpres, l’UGTG est combative, la gauche (le GUSR, le PS, le PCG) ici comme ailleurs doivent se lier au mouvement social, au salariat, à ses souffrances, elle doit s’unir et formuler un programme de contrôle et de redistribution des richesses, oser mettre fin aux gabegies et aux inégalités.

GÉRARD FlLOCHE
À POINTE-À-PITRE, LE 14 NOVEMBRE 2002

Publié par Ibuka le lundi 29 septembre 2008

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