Origine du document
   >Site : http://ugtg.org
   >Page : spip.php?article961
   >URL complète : http://ugtg.org/spip.php?article961

Comprendre l’affaire Aristide & Tacita : Maître Roland Ezelin

>Mots-clés : Procureur PRETRE  Sarah Aristide  LKP  Solidarités  Justice coloniale  
 

Maître Roland Ezelin fait la lumière sur l’affaire Sarah Arisitde & Patrice Tacita au micro de Radyotanbou.

Ce Mardi 16 juin 2009, une mobilisation sera organisée à 10 h00 devant le Palais de Justice de Pointe-à-Pitre afin de soutenir Maîtres Sarah ARISTIDE et Patrice TACITA.

En fait il s’agit toujours pour eux de voir s’ils arrivent à faire céder ceux qui portent les coups les plus durs au colonialisme. Et il est donc tout à fait logique qu’ils s’en prennent aujourd’hui à Sarah Aristide et Patrice Tacita. Je rappelle que ce dernier fait officiellement partie du LKP. Et Sarah Arisitde intervient pour les militants placés en garde à vue, empêchant que la répression ne frappe les jeunes manifestants.

Alors, pour bien comprendre ce qui s’est passé je ferai un bref rappel :

Dans le courant de l’année 2008, Patrice Tacita qui plaidait un dossier s’est alors rendu compte que l’on avait écouté le cabinet de maître Sarah Aristide, que l’on avait intercepté une communication téléphonique entre celle-ci et l’un de ses clients. Il a immédiatement exposé cela à sa consoeur qui portait plainte pour interception de communication téléphonique illicite. Et Prêtre - qui est le procureur de la république française - aura tout fait pour que cette plainte n’apparaisse pas, n’émerge pas ; pour que l’on n’entende pas les policiers ayant procédé aux écoutes illicites et demandant au juge d’instruction de rendre une ordonnance de non-lieu.
Mais parallèlement, dans une autre affaire traitée en propre par maître Patrice Tacita, ce dernier s’est rendu compte qu’il était lui même écouté par les policiers de manière illégale. Je rappelle cette affaire connue du grand public, dont on a déjà parlé : l’affaire Calodat, du nom de ce comédien guadeloupéen auteur d’un accident de la circulation. Patrice Tacita, déposait alors plainte. Cette plainte n’a jamais été traitée à ce jour ; alors qu’on a demandé à chacun de ces deux avocats de consigner la somme de 3000 euro.

Voyant que rien n’avançait les deux avocats se sont exprimés sur ces plaintes pour expliquer à travers les médias à la population [l’opinion publique] qu’il s’agissait de véritables actes de brigandage ; qu’il s’agissait d’une atteinte intolérable non seulement à leur profession - celle-ci étant protégée par le secret de la correspondance - mais aussi d’une atteinte vis à vis de toute la population. Car si les avocats en arrivent à être victimes d’écoutes illicites, a fortiori ceux des citoyens que la loi ne protège pas. Il s’agissait aussi de montrer comment il pouvait y avoir un réseau d’interceptions téléphoniques ; pas seulement en Guadeloupe, mais également en France. Et un certain nombre d’éléments nous montrent que de très nombreux citoyens sont "écoutés" de manière illicite ; les RG et les politiques par besoin d’informations, ayant recours à cette méthode.
Ils ont donc rappelé sur les antennes des médias qu’ils avaient déposé plainte pour des écoutes illicites et ont mentionné le nom du magistrat en charge du dossier.

Après leur intervention sur les médias avec mention du nom du magistrat, Prêtre a donc déposé plainte pour deux raisons :
Il a porté plainte à l’encontre de Sarah Aristide & de patrice Tacita pour diffamation envers un magistrat dans l’exercice de ses fonctions. Il a aussi déposé une autre plainte visant Patrice Tacita pour violation du secret de l’instruction.
Et cette dernière plainte, avant même de l’avoir déposé, il avait déjà adressé une requête à la cour de cassation pour que cette affaire soit instruite par un juge [ne relevant pas de notre juridiction]. La cour de cassation a ainsi désigné un magistrat parisien pour procéder à l’enquête, aux auditions et vérifier si les plaintes de Prêtre - plainte d’une part pour diffamation et d’autre part plainte pour violation du secret de l’instruction - étaient ou non fondées.

Et c’est là que nous avons découvert un certain nombre de choses.

La première, c’est que le magistrat, Mme Nathalie Dutartre qui avait initialement décidé de se rendre sur place en Guadeloupe - et il n’a rien là d’exceptionnel, cela ne relève pas d’un régime de faveur : lorsqu’on met ou envisage de mettre en examen un magistrat ou un avocat, en général un usage veut que le magistrat instructeur se déplace et vienne signifier la mise en examen et auditionner le magistrat ou l’avocat mis en cause - avait déjà convoqué au mois de mai maitres Tacita & Aristide, pour les auditionner en Guadeloupe.
Mais sans fournir d’explications elle leur adressait une lettre pour annuler l’audition prévue en Guadeloupe ; avant, trois jours plus tard, d’adresser de nouvelles convocations, mais à Paris : le 16 juin pour Patrice Tacita et le 17 juin pour Sarah Aristide.
Entre temps, nous nous sommes réunis et avons considéré que cela était inacceptable et qu’il nous fallait réagir. Nous avons alors déposé une requête demandant que les deux avocats guadeloupéens soient entendus par vidéoconférence. Le juge a refusé au motif qu’au départ elle souhaitait effectivement se rendre en Guadeloupe pour écouter les deux avocats, mais qu’elle s’est rendue compte que l’ordre public local pouvait être menacée, d’où l’annulation.

Cet ordre public local, c’est bien évidemment l’ordre colonial. Et ils craignent qu’il y ait un certain nombre de manifestations et de protestations. Nous avons donc organisé une conférence de presse hier vendredi 12 juin 2009 afin d’exposer à la population et à la presse [1] les agissements du pouvoir à l’encontre des avocats guadeloupéens et donner notre position.
Cette position est celle présentée par les deux avocats mis en cause : Ils affirment être dans leur pays, il leur est reproché des faits commis dans leur pays, ils considèrent n’avoir pas à se rendre en France pour se voir notifier leur mise en examen. Premièrement parce que ce n’est pas l’usage, deuxièmement parce que c’est une contrainte pour eux et enfin car ils estiment qu’en l’état du développement de la procédure ils n’ont pas à se rendre à Paris.

Il est une deuxième chose dont nous nous sommes rendus compte lors de la préparation et de l’étude de ce dossier. En réalité, ils se considèrent si à l’aise, que le magistrat chargé de la mise en examen de Patrice Tacita & de Sarah Aristide - Mme Dutartre - commettait elle même une infraction de violation du secret de l’instruction. Elle n’a pas convoqué Sarah Aristide & Patrice Tacita par pli fermé : elle les a convoqués par fax. Alors que le fax est ouvert, que l"on ignore qui en sera le réceptionnera et qu’il est ainsi à la disposition de n’importe qui au sein du cabinet d’avocat.
Donc à partir su moment où l’on ne se donne pas les moyens de d’assurer le secret des actes de la procédure, l’on viole le secret de l’instruction. Et c’est cela qui s’est produit. Car même s’il s’agit de sa secrétaire, maître Aristide pouvait souhaiter ne pas vouloir informer sa secrétaire qu’elle était convoquée. Elle pouvait souhaiter ne pas divulguer un certain nombre de choses, même à sa secrétaire.
Le magistrat a ainsi confondu maître Sarah Aristide et madame Sarah Aristide. Elle aurait dû la convoquer sous pli fermé adressé à son adresse personnelle. Elle s’est contentée de lui adresser un vulgaire fax l’informant de sa convocation à Paris.

Nous avons donc déposé plainte pour violation du secret de l’instruction contre ce magistrat jeudi 11 juin 2009. Et nous pensons avoir la possibilité dès lundi de déposer une requête en suspicion légitime à son encontre. Car nous estimons que dès lors que nous avons porté plainte contre elle, elle ne peut plus garantir son impartialité pour auditionner et mener une procédure contre une personne ayant formé un recours à son encontre.
Ces deux procédures visent à démontrer que non seulement ils ne respectent rien ici ; mais qu’en plus ils violent eux mêmes leurs propres lois, dès lors que cela les arrange.

Il s’agissait lors de cette conférence de presse d’expliquer que rien ne se fait ici de manière anodine. Et si c’est maintenant que cette affaire est déclenchée, juste après la grève du LKP, c’est bien parce que le gouvernement français a décidé de prendre une revanche contre le mouvement de 44 jours. Car il n’accepte pas qu’en Guadeloupe - non seulement au niveau social mais aussi économique - des gens se soient mis debout pour lui signifier que ses pratiques en Guadeloupe sont des pratiques coloniales. Mais parallèlement, le gouvernement entend aussi dans le même temps régler le compte de celles et ceux qui au niveau judiciaire et au niveau du droit en général affirment qu’il y a mille et une choses qui ne vont pas. Et il leur dit : " C’est vrai que lorsque que vous occupiez les rues vous étiez très nombreux. Mais maintenant qu’il n’y a plus personne dans les rues, nous reprenons la main. Nous la reprenons au niveau politique en lançant les Etats Généraux pour faire diversion. Nous la reprenons au niveau économique en évitant l’extension de l’accord BINO initial. Le champ étant libre, nous pouvons ainsi nous attaquer à ceux qui défendent le LKP ! "

C’est ainsi qu’il faut analyser cette affaire. Celle-ci sert à cacher une opération politique ! Rien n’est fait au hasard : Si Aristide & Tacita sont convoqués en juin et juillet c’est que le pouvoir entend leur adresser le message suivant : " Vous qui êtes de jeunes juristes, de jeunes avocats, vous que l’on voyait en première ligne au niveau du LKP... Nous sommes bien décidés à vous casser ! "

Nous autres avocats ne pouvons l’accepter ! Nous ne pouvons pas accepter que pour des raisons d’opinion, que le gouvernement français - particulièrement monsieur Prêtre qui représente le pouvoir colonial ici en matière de répression - l’on s’en prenne à ces deux avocats.
Nous entendons donc demander aux avocats de se mobiliser pour que ces confrères ne subissent pas la répression coloniale et que le barreau donne une réponse ; mais une réponse organisée, puissante ! A la hauteur de l’attaque du gouvernement français, de l’attaque du pouvoir colonial français !

Tout d’abord, les avocats ont pris la décision de ne pas se rendre à la convocation du juge à Paris. Ensuite, il y a l’affaire de maître René Falla qui passe en appel le mercredi 17 juin à Paris. Et il y a un certain nombre de personnes - dont le bâtonnier Rodes - qui s’y rendent pour défendre maître Falla. Nous les avons donc donné mandat pour se rendre près du juge Dutartre afin d’expliquer la position de Sarah Aristide, pour expliquer la position du Comité de soutien de Sarah Aristide & Patrice Tacita [2]. Parallèlement, nous envisageons une mobilisation en Guadeloupe mardi et mercredi pour expliquer notre position et faire en sorte qu’ils ne profitent pas du fait qu’ils ne se sont pas rendus à cette convocation pour les attaquer et se livrer à une répression judiciaire à leur encontre.

Ce qu’il y a d’important pour nous c’est de mobiliser le plus largement possible les avocats, le Conseil de l’ordre - qui a d’ailleurs pris une délibération de soutien dans ce dossier - mais surtout, surtout - car c’est çà la protection de ces camarades, c’est çà la protection de ces avocats - mobiliser l’opinion publique, mobiliser les militants de la Guadeloupe, mobiliser les militants des droits de l’homme, mobiliser les politiques pour bien leur montrer qu’il y a derrière cette affaire la recherche d’une opération politique. Et si nous les laissons poursuivre Patrice Tacita & Sarah Aristide - tout simplement parce qu’ils ont exigé que l’on respecte leurs droits et refuser que l’on écoute leur communications téléphoniques avec leurs clients - il y bien d’autres choses que nous laisserons passer !

C’est peut-être un test que le gouvernement entend effectuer pour vérifier l’état et la force du mouvement démocratique en Guadeloupe après les 44 jours et après le lancement des Etats Généraux ! Nous devons lui donner une réponse à la hauteur de l’agression que nous subissons ; mais surtout une réponse à la hauteur de la remise en cause d’un certain nombre de principes que nous défendons.

Source : Radyotanbou
Samedi 13 juin 2009

Lire :

- État d’injustice(s) coloniale(s) - Par Danik I. Zandwonis
- La riposte des avocats - Par Trikess

Post-Scriptum

Tous les articles du dossier sur le site UGTG.org :

- Affaire des écoutes téléphoniques de Maître Sarah ARISITDE - Déclaration de l’UGTG à propos de l’arrêt de la Cour d’appel de Basse-Terre - 24 Juillet 2008

- Confession d’avocats à un prêtre de passage - 10 Novembre 2008

- Lettre d’Aristide & Tacita au procureur Prêtre - 31 Mars 2009

- Affaire S. Aristide & P. Tacita : Communiqué de presse des avocats - 18 Mai 2009

- Communiqué de presse du Comité de soutien de Maîtres ARISTIDE & TACITA - 10 Juin 2009

Publié par Ibuka le mardi 16 juin 2009

Notes

[1NDLR : Aucun des médias dominants - privé et public - ne s’est déplacé : Pas de France-Antilles, pas de RFO ni de RCI. Seuls "représentants" de la profession dans la salle : Le journaliste Danik Zandronis de Carib Creole One & le bloggeur Frédéric GIRCOUR de Chien-Creole

[2NDLR : Le Comité de soutien est présidé par Elie Domota, secrétaire général de L’UGTG & porte-parole du LKP

Forum article

Aucune réaction pour le moment !