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Wikileaks Haïti : Comment les multinationales de l’habillement et l’ambassade US ont combattu l’augmentation du salaire minimum

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Mots-clés : #Haïti
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WikiLeaks : Les stratégies et manœuvres officielles des États-Unis en Haïti

La semaine dernière l’hebdomadaire Haïti Liberté a entamé la publication d’une série d’articles tirés de 1.918 câbles diplomatiques secrets à propos d’Haïti, provenant d’ambassades des États-Unis à travers le monde. Ils ont été obtenus par le groupe de défense de la transparence, WikiLeaks, et mis à la disposition d’Haïti Liberté.

« Ces câbles couvrent une période de près de sept ans, du 17 avril 2003, dix mois avant le coup d’État du 29 février 2004, jusqu’au 28 février 2010, juste après le tremblement de terre du 12 janvier.

Ils sont classifiés « Secret », « Confidentiel », « Non classifié ». Ils lèvent le voile sur les stratégies et manœuvres officielles des États-Unis en Haïti durant les années du coup d’État (2004-2006) et la période postérieure à l’élection du président René Préval (2006-2010).

Nous y voyons l’obsession de Washington à vouloir maintenir Aristide hors d’Haïti et de l’hémisphère, sa fixation sur les bidonvilles en révolte tels que Cité Soleil et Bel Air, et son étroite supervision de la direction de la police haïtienne, de la sélection des agents, et des 9000 membres de la force d’occupation des Nations unies (MINUSTAH).
Il en ressort une image montrant le degré d’entêtement de Washington pour parvenir à diriger économiquement et politiquement le premier pays souverain de l’Amérique latine, spécialement à la lumière du coup d’État de 2004, mais aussi la fière résistance du peuple haïtien.

L’article de cette semaine montre comment Washington a soutenu les propriétaires des industries d’assemblage contre la hausse du salaire minimum.

En novembre 2010, après avoir commencé à rendre publics les 251.287 câbles obtenus en provenance d’ambassades des États-Unis en les remettant à des quotidiens à grand tirage tels que le New York Times, le Guardian et Der Spiegel, WikiLeaks a choisi, à présent, des médias de plusieurs autres pays à qui confier les câbles concernant leur pays respectif.

Haïti Liberté s’honore de se voir confier par WikiLeaks la diffusion des câbles concernant Haïti et de faire équipe avec The Nation, pour la publication et la distribution de la version anglaise de la couverture d’Haïti Liberté.

Simultanément, les câbles paraîtront dans leur intégralité sur le site de WikiLeaks au fur et à mesure de leur publication.

En résumé, les câbles offrent beaucoup d’indices quant aux agissements de Washington en Haïti, du coup d’État paramilitaire par des forces spéciales en 2004 au coup d’État électoral qui a conduit à la présidence du néo-duvaliériste Michel Martelly en 2011. »

Des câbles récemment divulgués par WikiLeaks révèlent que :
Des usines Levis et Hanes ont combattu, avec l’ambassade des É.-U., l’augmentation du salaire minimum en Haïti
.

Par Dan Coughlin et Kim Ives

Haïti Liberté, Vol. 4 No. 47, du 8er au 14 Juin 2011

Les propriétaires d’usines mandatées par Fruit of the Loom, Hanes et Levi’s ont travaillé en étroite collaboration avec l’ambassade des États-Unis, lorsqu’ils se sont agressivement positionnés pour bloquer une augmentation du salaire minimum pour les travailleurs haïtiens de la zone d’assemblage, les moins bien rémunérés de l’hémisphère, selon des câbles secrets du Département d’État.

Les propriétaires des usines ont refusé de payer 62 cents l’heure, ou 5 $ par jour de huit heures, tel que prescrit par une mesure adoptée à l’unanimité par le Parlement haïtien en juin 2009. Les câbles secrets de l’ambassade des États-Unis, mis à la disposition d’Haïti Liberté par le groupe de défense de la transparence WikiLeaks, révèlent que, dans les coulisses, les propriétaires des usines jouissaient du ferme soutien de l’Agence des États-Unis pour le développement international
(USAID) et de l’ambassade des États-Unis.

Le salaire minimum par jour était de 70 gourdes ou 1,75 $ par jour.

Les propriétaires des usines ont dit au Parlement haïtien qu’ils étaient prêts à accorder aux travailleurs une augmentation de salaire d’à peine 9 cents, soit 31 cents l’heure au total - 100 gourdes par jour - pour confectionner des T-shirts, des soutiens-gorge et des sous-vêtements pour des géants du vêtement des É.-U comme Dockers et Nautica.

Pour résoudre l’impasse entre les propriétaires des usines et le Parlement, le Département d’État a exhorté le Président haïtien René Préval à intervenir.

"Un engagement plus visible et plus actif de la part de Préval peut s’avérer crucial pour régler la question du salaire minimum et les protestations qui en ’découleront’ " -au risque de voir l’environnement politique échapper à tout contrôle "- mettait en garde l’ambassadrice des É.-U., Janet Sanderson, dans un câble envoyé à Washington le 10 juin
2009.

Deux mois plus tard, Préval négociait un accord avec le Parlement pour créer une augmentation du salaire minimum à deux niveaux : 3,13 $ (125 G) par jour pour l›industrie du textile et 5 $ (200 G) par jour pour tous les autres secteurs industriels et commerciaux.

Pourtant, l’ambassade des États-Unis n›était pas satisfaite. Le chef adjoint de la Mission, David E. Lindwall, a dit que le minimum de 5 $ par jour " ne tient pas compte de la réalité économique ", et qu’il s’agit d’une mesure populiste pour plaire aux " masses de chômeurs et de travailleurs sous-payés ".

Les Haïtiens qui défendent le salaire minimum ont invoqué la nécessité de suivre le rythme de l’inflation et d’alléger la hausse du coût de la vie. Haïti est actuellement le pays le plus pauvre de l’hémisphère et le Programme alimentaire mondial estime que jusqu’à 3,3 millions de personnes en Haïti, un tiers de la population, vit en en état d’insécurité alimentaire. En avril 2008, Haïti a été secouée par les émeutes de la faim surnommées " klorox ", allusion à la douleur causée par une faim si aiguë qu’elle donne l’impression d’avoir avalé de l›eau de Javel (Chlorox [Ndt.]).

Selon une étude de 2008 du Worker Rights Consortium, une famille de la classe ouvrière composée d’un membre qui travaille et de deux dépendants avait besoin d’un salaire quotidien d’au moins 550 gourdes haïtiennes, ou 13,75 $, pour assurer les frais de subsistance ordinaires. La révélation des pressions des É.-U. en faveur des bas salaires se trouvait dans cette mine de 1.918 câbles mis à la disposition d’Haïti Liberté, par WikiLeaks.

"Question de politique, le Département d’État ne se prononce pas sur les documents qui sont censés contenir des informations confidentielles et condamne fermement toute divulgation illégale de ce genre d’informations," c’est ce qu’a commenté Jon Piechowski, responsable de l’information à l’ambassade des États-Unis, à Haïti Liberté en réponse à une demande de déclaration à propos des révélations de WikiLeaks. "En Haïti, environ 80% de la population vit dans le chômage et 78% gagnent moins de 1 dollar U.S. par jour - le gouvernement américain travaille avec le gouvernement haïtien et les partenaires internationaux pour aider à la création d’emplois, supporter la croissance économique, et promouvoir l’investissement étranger direct selon les normes de l’Organisation Internationale du Travail dans le secteur de l’industrie du vêtement, et à investir dans le domaine de l’agriculture et autres." (Selon l’ONU, 78% des Haïtiens vivent avec moins de 2 dollars, et non pas $ 1, par jour.)

Pendant une période de 20 mois, entre le début février 2008 et octobre
2009, des responsables de l’ambassade des É.-U. ont surveillé de près la question du salaire minimum et rédigé des rapports. Les câbles montrent que l’ambassade avait parfaitement compris la popularité de la mesure.

Les câbles ont montré que le nouveau salaire avait même le soutien d’une majorité de représentants du secteur privé haïtien " en fonction de rapports selon lesquels les salaires en République dominicaine et au Nicaragua (concurrents dans l›industrie du vêtement) augmenteront également ".

La proposition a tout de même engendré une farouche opposition de la petite élite de la zone d’assemblage d’Haïti, que Washington soutient depuis longtemps avec des aides financières directes et des ententes de libre échange.

En 2006, le Congrès américain a adopté le projet de loi HOPE [Haitian Hemispheric Opportunity Through Partnership Encouragement], qui accordait aux manufactures de la zone d’assemblage d’Haïti des incitatifs commerciaux préférentiels. Deux ans plus tard, le Congrès a adopté une version encore plus généreuse du projet de loi sur la franchise de droits commerciaux appelé HOPE II, et l’USAID a fourni une assistance technique et des programmes de formation pour aider les usines à s’étendre et à tirer parti de la nouvelle législation.

Les câbles de l’ambassade des États-Unis prétendaient que ces efforts ont été mis en péril par les parlementaires réclamant une hausse des salaires pour suivre le rythme de la hausse de l’inflation et le prix élevé des aliments. " Des représentants de l’industrie [textile], menés par l’Association haïtienne de l’Industrie (ADIH), se sont opposés à une augmentation salariale immédiate de 130 gourdes haïtiennes (3,25 US) par jour dans le secteur de la confection, disant qu’elle anéantirait l’industrie et aurait des effets négatifs sur les avantages de la Loi HOPE II ", dit un câble confidentiel du 17 juillet 2009 du chargé d›Affaires de Washington, Thomas C. Tighe. Tighe affirme que " des études financées par l’ADIH et l’USAID, visant l’impact de la multiplication par un facteur de près de trois du salaire minimum dans le secteur du textile, démontrent qu’un salaire minimum de 22 gourdes haïtiennes rendrait le secteur non viable économiquement et, par conséquent, forcerait les usines à fermer ".

Confortés par l’étude de l’USAID, les propriétaires d’usine ont exercé de fortes pressions contre l›augmentation, rencontrant le président d’alors, René Préval, à plusieurs occasions, en plus de rencontrer plus de 40 membres du Parlement et de partis politiques, selon les câbles. Les câbles d’Haïti dévoilent également l’intensité de la surveillance à laquelle l’ambassade des États-Unis a soumis les manifestations en défense du salaire minimum et s’est ouvertement inquiétée de l›impact politique de la bataille pour le salaire minimum.

Les troupes de l›ONU ont été appelées pour réprimer les manifestations étudiantes, provoquant de nouveaux appels au départ d’Haïti des quelques 9 000 soldats d’occupation de l’ONU. En raison de féroces manifestations des travailleurs et des étudiants, les propriétaires des ateliers de misère et Washington ont remporté seulement une victoire partielle dans la bataille du salaire minimum, en retardant d’un an le salaire minimum de 5 $ / jour et en maintenant le salaire minimum du secteur d’assemblage à un niveau en dessous de tous les autres secteurs. En Octobre 2010, le salaire minimum des travailleurs d’assemblage est passé à 200 gourdes par jour, alors que dans tous les autres secteurs il est passé à 250 gourdes (6,25 $).

" Chaque fois que la question du salaire minimum a été abordée, [la bourgeoisie de la zone d’assemblage d’Haïti en] ADIH a tenté d’effrayer le gouvernement, disant que l’augmentation du salaire minimum signifierait la fermeture certaine et immédiate de l’industrie en Haïti et causerait une perte soudaine d’emplois ", écrit la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif dans un communiqué de presse de juin 2009. " Dans un cas comme dans l’autre, c’était un mensonge. "

Post-Scriptum

The Nation

WikiLeaks Haiti : Let Them Live on $3 a Day

Contractors for Fruit of the Loom, Hanes and Levi’s worked in close concert with the US Embassy when they aggressively moved to block a minimum wage increase for Haitian assembly zone workers, the lowest-paid in the hemisphere, according to secret State Department cables.

The factory owners told the Haitian Parliament that they were willing to give workers a 9-cents-per-hour pay increase to 31 cents per hour to make T-shirts, bras and underwear for US clothing giants like Dockers and Nautica.

But the factory owners refused to pay 62 cents per hour, or $5 per day, as a measure unanimously passed by the Haitian Parliament in June 2009 would have mandated. And they had the vigorous backing of the US Agency for International Development and the US Embassy when they took that stand.

To resolve the impasse between the factory owners and Parliament, the State Department urged quick intervention by then Haitian President René Préval.

“A more visible and active engagement by Préval may be critical to resolving the issue of the minimum wage and its protest ‘spin-off’—or risk the political environment spiraling out of control,” argued US Ambassador Janet Sanderson in a June 10, 2009, cable back to Washington.

Two months later Préval negotiated a deal with Parliament to create a two-tiered minimum wage increase—one for the textile industry at about $3 per day and one for all other industrial and commercial sectors at about $5 per day.

Still the US Embassy wasn’t pleased. A deputy chief of mission, David E. Lindwall, said the $5 per day minimum “did not take economic reality into account” but was a populist measure aimed at appealing to “the unemployed and underpaid masses.”

Haitian advocates of the minimum wage argued that it was necessary to keep pace with inflation and alleviate the rising cost of living. As it is, Haiti is the poorest country in the hemisphere and the World Food Program estimates that as many as 3.3 million people in Haiti, a third of the population, are food insecure. In April 2008 Haiti was rocked by the so-called Clorox food riots, named after hunger so painful that it felt like bleach in your stomach.

According to a 2008 Worker Rights Consortium study, a family of one working member and two dependents needed at least 550 Haitian gourdes, or $12.50, per day to meet normal living expenses.

The revelation of US support for low wages in Haiti’s assembly zones was in a trove of 1,918 cables made available to the Haitian weekly newspaper Haïti Liberté by the transparency group WikiLeaks. As part of a collaboration with Haïti Liberté, The Nation is publishing English-language articles based on those cables.

In an emailed statement, the State Department declined to comment on the disclosures in this article, citing a policy against commenting on documents that purport to contain classified information and stating that it “strongly condemns any illegal disclosure of such information.” However, the State Department spokesperson added in the email : “In Haiti, approximately 80 percent of the population is unemployed and 78 percent earns less than $1 per day”— actually, according to the UN Development Program, 78 percent of Haitians live on less than $2, not $1, a day—and “the US government is working with the government of Haiti and international partners to help create jobs, support economic growth, promote foreign direct investment that meets ILO labor standards in the apparel industry and invest in agriculture and beyond.”

For a twenty-month period between early February 2008 and October 2009, US Embassy officials closely monitored and reported on the minimum wage issue. The cables show that the Embassy fully understood the popularity of the measure.

The cables attest that the new wage even had support from a majority of Haitian private sector representatives “based on reports that wages in the Dominican Republic and Nicaragua (competitors in the garment industry) will increase also.”

Still the proposal engendered fierce opposition from Haiti’s tiny assembly zone elite, which Washington had long been supporting with direct financial aid and free trade deals.

In 2006 the US Congress passed the Haitian Hemispheric Opportunity through Partnership Encouragement (HOPE) bill, which gave Haitian assembly zone manufacturers preferential trade incentives. Two years later Congress passed an enhanced version of the duty-free trade bill called HOPE II. And USAID Haiti provided technical assistance and training programs to factories to help them expand and take advantage of HOPE II.

US Embassy cables claimed that those efforts were imperiled by parliamentary demands for a wage hike to keep pace with soaring inflation and high food prices. “[Textile] Industry representatives, led by the Association of Haitian Industry (ADIH), objected to the immediate HTG 130 (USD 3.25) per day wage increase in the assembly sector, saying it would devastate the industry and negatively impact the benefits of the Haitian Hemispheric through Opportunity Partnership Encouragement Act (HOPE II),” said a June 17, 2009, confidential cable from chargé d’affaires Thomas C. Tighe to Washington.

Tighe said that the “ADIH and USAID funded studies on the impact of near tripling of the minimum wage on the textile sector found that an HTG 200 Haitian gourde minimum wage would make the sector economically unviable and consequently force factories to shut down.”

Bolstered by the USAID study, the factory owners lobbied heavily against the increase, meeting with Préval on multiple occasions and with more than forty members of Parliament and political parties, according to the cables.

The Haiti cables also reveal how closely the US Embassy monitored widespread pro–minimum wage demonstrations and openly worried about the political impact of the minimum wage battle. UN troops were called in to quell student protests, sparking further demands from Haitians for the end of the 9,000-strong UN occupation.

As the Haitian Platform for Development Alternatives put it in a press release in June 2009, “Every time the minimum wage has been discussed, ADIH has cried wolf to scare the government against its passage : that raising minimum wage would mean the certain and immediate closure of industry in Haiti and the cause of a sudden loss of jobs. In every case, it was a lie."

Editor’s Note : We first posted this story on June 1, but at the request of Haïti Liberté, our partner in this series, we temporarily removed it until June 8. Some enterprising bloggers noted the “pulled scoop” and, pointing out that you “can’t stuff the news genie back in the bottle,” attempted to summarize it for their readers. Along the way, a few subtleties got lost—like that the factory owners at the center of this sordid story, who moved successfully to block the $5 per day minimum wage passed by the Haitian parliament, were making goods for big-name US retailers like Levi Strauss and Hanes. In keeping with the industry’s usual practice, the brand name US companies kept their own hands clean, letting their contractors do the work of making Haiti safe for the sweatshops from which they derive their profits—with help from US officials. We apologize for the delay in bringing the original article back online.

Publié par la Rédaction le samedi 18 juin 2011

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