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Témoignage sur l’encerclement du centre commercial MILÉNIS par le LKP

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Ce samedi passé, nous étions une centaine de militants à avoir répondu, dès 5 heures du matin, à l’appel lancé par le LKP à occuper le centre commercial Milénis.

La veille, les grévistes, avec le renfort de militants, avaient déjà entrepris des premières mesures de blocage qui avaient entraîné une sorte de gigantesque jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre. C’est ce qui explique que des manblo (gendarmes mobiles), fraîchement arrivés de France, aient dormi sur place et que les militants les plus matinaux – certains présents même dès 4h30 du matin – aient trouvé les fourgons des différents unités militaires comme comité d’accueil à chacune des entrées du parking de Milénis.

Le temps d’atteindre un chiffre suffisamment respectable et d’enfourner un didiko afin de faire le plein de forces, les leaders de l’action ont lancé l’opération aux alentours de 6 heures du matin en répartissant, au départ, les militants pacifistes en 3 colonnes, soit une pour chaque entrée ; le rideau métallique des deux dernières, sur les cinq que compte Milénis, n’ayant pas été levé. A ce moment-là, les unités de manblo étaient regroupées à l’intérieur de leurs fourgons répartis en différents endroits du parking ; seuls quelques binômes militaires étaient postés aux environs des entrées.

Dès notre positionnement, les premiers effectifs furent envoyés pour se placer entre nous et les portes d’accès. Ce n’est qu’à l’arrivée de renforts de la police nationale, des babilòn de Guadeloupe sûrement envoyés après que le poste de commandement ait constaté que les militants du LKP étaient relativement nombreux, que l’opération de véritable interposition a été initiée par les forces de l’ordre. Forces de l’ordre capitaliste comme ne peut mieux l’illustrer la mise à disposition de la force publique au service des intérêts privés d’un entrepreneur refusant d’appliquer l’accord Bino.

Cette stratégie d’interposition a consisté à positionner des effectifs militaires plus importants entre nous et les accès. Une fois en place, sans aucune opposition de notre part, le regroupement de manblo et de babilòn a utilisé ses grands boucliers rectangulaires pour avancer de quelques mètres et gagner de l’espace sur nous. A l’entrée n° 2, cela a tangué un peu entre un babilòn et un militant de l’UGTG mais, de chaque côté des forces en présence, un appel au calme a été lancé et a rapidement fait redescendre la pression. Le fait que les deux blocs opposés aient recours à la même langue – le créole – a, sans doute aucun, facilité l’apaisement rapide d’un côté comme de l’autre.

Du côté de l’entrée n°1, qui présente la particularité de se faire par une sorte de couloir à ciel ouvert, les choses se sont passées avec plus d’électricité, l’espace plus réduit – puisqu’entre deux murs – ne permettant pas aux manifestants de se dégager sur les côtés et les gendarmes mobiles trop pressants, peut-être par manque d’expérience, ne leur laissant pas d’autre choix que de faire front. Résultat, la masse des civils a commencé à prendre le dessus sur les militaires, les acculant contre les portes automatiques au point qu’ils ressentent l’obligation d’utiliser les gaz lacrymogènes. La situation de légère panique des forces de l’ordre de la porte n°1 peut être confirmée par l’utilisation maladroite de ces gaz qui sont en bonne partie retombés sur ceux qui les avaient lancés. Mais, là encore, les responsables du LKP chargés du bon déroulement des opérations à cette porte ont tenu leurs troupes, les ont fait reculées et ont jantiman laissé les gendarmes mobiles se positionnaient comme bon leur semblait.

Au total, vers 8 heures 30 (heure d’ouverture habituelle du centre commercial) – 9 heures, les forces de l’ordre, une bonne vingtaine d’hommes par accès à l’extérieur, d’autres en attente à l’intérieur, faisaient face à une quarantaine de militants pacifistes du LKP par entrée. Assez tôt, le LKP réorienta la répartition des participants : son rideau de fer ayant finalement été abaissé, la porte n°3 ne devait plus être occupée, jusqu’à la fin de la journée, que par une dizaine de militants chargés de surveiller qu’elle ne servirait pas à permettre aux manblo de prendre à revers le dispositif mis en place. Outre les forces directement au contact, des unités militaires étaient positionnées autour de leurs fourgons sur le parking ainsi qu’en quelques points aux immédiats alentour du centre commercial (rond-point, sortie de la nationale, arrêt de bus).

L’heure de l’ouverture des portes arrivait, des employés et des consommateurs – vraiment avides de consommer ! – observaient et attendaient une éventuelle ouverture par la force.
Les leaders du LKP passèrent alors donner les instructions pour la journée : puisque l’armée et la police étaient elles-mêmes en position de barrage devant les portes du centre commercial et nous refusaient le passage, le LKP prenait la décision de former un second cordon afin d’expliquer aux personnes se présentant que le centre commercial était fermé pour cause de grève et du fait que les forces armées bloquaient l’entrée. Les rôles se trouvaient donc renversés par cette stratégie pacifique : une sorte de prise de judo utilisant la force d’un adversaire armé pour la retourner contre celui-ci.

Cette stratégie fut appliquée assez efficacement pendant les premiers temps, les employés et les badauds devant s’adresser aux militants du LKP qui faisaient tampon entre le public et les forces armées. Je crois que je ne pourrai donner un meilleur exemple de la détermination et de la maîtrise dont ont fait preuve tous les activistes de ce samedi en relatant la manière dont un homme d’une quarantaine d’années, haut de taille, tenta, de façon soudaine, de franchir la chaîne humaine que nous formions, escomptant que l’élan pris et que sa puissance physique suffiraient à forcer le passage. De mes yeux j’ai vu la tentative brutale de cet homme se fracasser, avec toute la force de son âge et toute la hauteur de sa taille, sur la dignité imperturbable et sublime d’une jeune femme d’à peine un mètre soixante qui lui opposa son absolue immobilité. Je crois que cette camarade de lutte donna le ton : les éventuels candidats à l’affrontement étaient avertis de l’inutilité de toute tentative.

La donne changea légèrement à partir du moment où les jeunes – très jeunes – gendarmes mobiles crurent discerner en chaque personne leur paraissant européenne, un possible client ou employé non-gréviste, et en chaque personne leur paraissant guadeloupéenne, un lkpiste. Un sous-officier jugeant bon de faire signe au loin, selon leur apparence physique, à certaines personnes semblant désireuses d’entrer ; celles-ci, enhardies par le soutien militaire, s’avancèrent – au niveau de la porte n°2 où j’étais placé – pour tenter de rentrer alors même qu’elles ne pouvaient le faire sans avoir à nous passer sur le corps.
Trois incidents s’enchaînèrent ainsi, par la faute d’une lecture raciste de la situation faite par les seuls gendarmes mobiles qui créèrent, de leur seule initiative, une période de confrontation nèg-Gwadloup contre blan-Fwans.

Le premier incident fut le fait d’un homme, ayant autour de la soixantaine, qui jugea que sa liberté personnelle à consommer spécialement dans ce supermarché-là, ce jour-là, était supérieure à la lutte collective de travailleurs réclamant la simple application d’un accord signé. Cet homme insista, malgré le discours argumenté de plusieurs militants toujours imperturbables, tentant de se faufiler entre nos rangs. Arrêtés une première fois, peut-être intimidé par la hauteur des camarades qui lui faisaient face ; l’homme crut rusé de choisir un nouveau point de passage qui lui paraissait plus aisé à franchir. Mal lui en prit ! Tel un dyab-zigidi, un camarade, surgi de derrière notre ronde, se dressa face à lui, à seulement quelques centimètres de son visage. Franchissant une nouvelle étape dans la provocation, l’homme crut que, parce que notre camarade faisait à peu près la même taille que lui, il lui serait loisible de passer. Ce fut la dernière tentative d’intimidation physique de cette longue journée. L’homme se retrouva promptement à terre, non pas sous l’action d’un quelconque coup du camarade mais simplement parce qu’il vint lui-même se cogner au corps solide et dur comme du bwa-gayak de notre camarade qui demeura jantiman, du début à la fin de l’incident, droit debout.

Peu de temps après, toujours à l’invitation des manblo, une consommatrice rétorquant, en langue française, qu’elle ne comprenait pas la langue créole, aux argumentations présentées par les militants lui expliquant qu’elle ne pouvait venir faire le moindre achat aujourd’hui au centre commercial Milénis, insista pour tenter de passer notre cordon. Celui-ci s’anima tel une vague pour s’interposer entre elle et les forces armées. Jusque-là tout en contenance, certains militants à son immédiat abord ne purent leur indignation lorsqu’elle leur asséna qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait – y compris donc briser une grève et une protestation populaire légitime – puisqu’elle était dans son pays. Les injures en créole fusèrent qui, étonnement, choquèrent la dame qui, un instant avant, prétendait ne pas comprendre lorsque nous nous adressions à elle en créole guadeloupéen.

La puissance du verbe suffit finalement à éloigner cette dame dont l’intervention déplacée eut au moins le mérite d’initier une discussion collective sur la façon dont les Guadeloupéennes et Guadeloupéens présents avaient, chacun, subi des situations de racisme et de xénophobie lors de leurs années passées en France ; notamment en s’entendant dire qu’ils n’y étaient pas chez eux et qu’il valait mieux qu’ils retournent dans leur pays, pour s’entendre asséner, une fois de retour en Guadeloupe, que celle-ci appartenait aux Français et que ceux-ci considéraient que leur droit à consommer comme bon leur semble l’emportait sur le droit des Guadeloupéens à exister et travailler dignement. Mi ! Déba wòy wòy wòy !

Enfin, le dernier incident, beaucoup plus léger, impliqua une employée d’une boutique de la galerie commerciale plus motivée que quiconque à aller bosser ce samedi, alors qu’aucun client n’avait accès à Milénis. Comme de nombreuses autres personnes ce jour-là, elle tenta d’obtenir directement auprès des forces de l’ordre, sinon une autorisation de passer du moins une confirmation de la fermeture, ignorant les êtres humains, placés entre elle et les hommes en uniforme, et pourtant tout à fait disposés à lui exposer calmement les motivations de leur action. Comme aux autres personnes pleines de mépris qui adoptèrent ce comportement, les militants présents lui adressèrent cette simple question : E nou ? Nou pa moun ?

Il me faut quand même préciser, après l’énoncé de ces rares incidents, que la majorité des personnes venues faire quelques courses ce jour-là a eu le bon sens, à la vue des effectifs militaires déployés et de la présence des militants, de simplement faire demi-tour. A défaut de nous rejoindre dans l’action, un grand nombre a manifesté son soutien à notre action contre la pwofitasyon et pour l’application de l’accord Bino.

Une fois l’afflux d’employés et de clients tari au fur et à mesure que la matinée avançait, la situation se modifia en cours d’après-midi. La conjonction du nombre de grévistes, du peu de non-grévistes ayant pu rejoindre leur poste, de l’absence de chalands et de la continuation d’une action d’encerclement entamée depuis 5 heures du matin entrainait l’impossibilité d’une ouverture du centre commercial. On se retrouva alors, aux alentours de 14 heures, dans une nouvelle situation où le centre commercial était reconnu comme fermé, y compris par les forces armées.

Prenant conscience de ce retournement, les militants du LKP commencèrent à faire relâche. Après pratiquement 10 heures de station debout, les militants se placèrent sur les côtés des accès tenus par les forces de l’ordre, leur abandonnant la responsabilité d’annoncer aux consommateurs avides de dépenser que le centre commercial était fermé à tous, grévistes comme non-grévistes, militants lkpistes comme militants consuméristes ! A force d’obstination, le LKP obtenait donc le prononcé par le commandement militaire de la fermeture de l’ensemble du centre commercial pour la durée entière de la journée.
Vers 18 heures, après treize heures d’une action parfaitement maîtrisée, les brigades pacifiques du LKP décidaient donc de se retirer avec le sentiment du devoir accompli et de la pleine réussite de leur journée d’action non-violente.

Lundi 14 mai, au cours du débriefing qui s’est tenu devant le Bik, Elie Domota, porte-parole du Liyannaj Kont Pwofitasyon, a donné rendez-vous pour le meeting de ce vendredi 18 mai à 19 h – toujours au Bik a LKP – où sera annoncé le lieu de la prochaine action qui aura lieu ce samedi 19 mai.

lidéjis


Voir également : Chien Créole
Publié par la Rédaction le samedi 19 mai 2012
Mis à jour le mercredi 29 août 2012

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