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Utiles statistiques "ethno-économiques"

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Faut-il promouvoir les statistiques ethniques ? Cette question, presque aucun Américain ne comprend qu’on se la pose, tant la référence "raciale" (la couleur de peau) ou "ethnique", est inscrite dans la conception ici commune de la démocratie et de la république. Observée à travers ce prisme, une récente enquête vient éclairer d’un jour cru un impact particulier de la crise économique sur la société américaine.

Le 26 juillet, le Centre Pew, un important institut de recherche sociodémographique aux Etats-Unis, a publié une vaste étude fondée sur une analyse des données publiques fournies par le Census Bureau, l’équivalent américain de l’Insee, sur l’évolution du patrimoine des Américains, le patrimoine étant constitué des avoirs (logement, véhicule, épargne...) amputés des dettes. L’étude démarre trois ans avant le début de la récession (début 2005) et se clôt à la fin 2009, neuf mois après son pic. Les résultats, "ethniquement" parlant, sont sans appel. Sur ces cinq ans, le patrimoine médian d’un Hispano-Américain a chuté de 66 %, celui d’un Asiatique d’origine de 54 %, celui d’un Afro-Américain de 53 %, celui d’un Blanc de 16 %. Bref, tous les autres ont vu leur richesse se déliter durant la crise 3,5 à 4,5 fois plus que celle de ceux que le Census Bureau nomme les "Blancs seulement", cette part de la population qui ne s’identifie que comme blanche, excluant toute autre appartenance ethno-raciale (par exemple Hispanique et Blanc).

Par ailleurs, ces catégories les plus touchées par la crise détenaient aussi au départ le plus petit patrimoine. De sorte que, là encore, le fossé entre Blancs et "autres", si l’on peut dire, s’est considérablement accru. La richesse moyenne d’un foyer blanc (113 149 dollars) est devenue 20 fois supérieure à celle d’un noir, et 18 fois plus élevée que celle d’un hispanique, des différentiels deux fois plus forts qu’il y a vingt-cinq ans. Un tiers ou plus des foyers hispaniques et noirs disposent d’un patrimoine nul ou négatif (15 % seulement parmi les Blancs).

A vrai dire, la récente crise n’est pas seule en cause : entre mieux lotis et classes moyennes, le fossé s’est constamment creusé depuis la fin des années 1970. Et ce que Paul Krugman a appelé la "nouvelle économie de l’inégalité" ne compte pas que des Noirs ou des immigrés récents. Ce qu’il reste de ces "petits Blancs" du Sud, frustes et ignorants, qu’Erskine Caldwell a si cruellement dépeints, ou encore les enfants de ces fermiers paupérisés venus chercher un travail sans qualification dans les petites villes des Appalaches, en font tout autant partie (mais, politiquement, de crainte d’être assimilés aux populations non blanches, ils se retrouvent aussi souvent dans la frange raciste de l’opinion). Et des élites éduquées et fortunées émergent aussi parmi lesdits "non-Blancs". Reste que ce rapport, comme a jugé Paul Taylor, le vice-président du Centre Pew, constitue "un rappel sévère de la forte proportion de minorités vivant dans les marges économiques du pays".

Pour des raisons sociohistoriques, ces "marges" sont plus volumineuses aujourd’hui aux Etats-Unis qu’en Europe. Elles y fournissent les gros bataillons des emplois les moins qualifiés, de ceux qui disposent du plus faible niveau d’éducation, elles y sont le plus souvent dénuées de toute couverture santé. Parce que les plus précarisées, ce sont elles aussi qui fournissent le plus gros des actifs intermittents, une catégorie en forte croissance. Et ce sont enfin elles qui à la fois ne payent pas d’impôts et votent le moins.

De sorte que les états-majors des partis, sauf situation exceptionnelle, peuvent les exclure sans considération de leurs calculs préélectoraux : les "Blancs seulement" sont proportionnellement bien plus représentés dans les urnes que les autres.

Une autre étude récente du Centre Pew montre que, à la veille des élections en 2008, les Blancs préféraient légèrement les républicains aux démocrates (46 % contre 44 %). Ces derniers l’emportaient dans toutes les autres couches de la population. Aujourd’hui, l’avance républicaine atteint 13 points (52 % contre 39 %) parmi ces mêmes Blancs.

C’est ce qui explique, en grande partie, la détermination des républicains, Tea Party en tête, dans leur offensive générale contre la "gabegie publique des dépenses sociales". On a souvent du mal à comprendre leur manière de voir les choses. Mais elle est loin d’être marginale. Si une immense part du Tea Party pense d’une façon qui nous semble presque inhumaine dans son obsession à sabrer les dépenses sociales, c’est que leur base sociale est généralement moins concernée.

Pour ceux-là, l’immense quart-monde intérieur américain, bien que comptant des dizaines de millions d’êtres, est transparent. Si l’on ajoute que les deux autres catégories non ethniques qui s’étaient mobilisées plus que d’ordinaire en faveur de M. Obama il y a trois ans sont également les plus touchées par la crise aujourd’hui - les femmes, qui ont continué à perdre des emplois depuis la "fin de la récession", alors que le solde des créations d’emplois masculins est redevenu positif, et les jeunes, parmi lesquels le chômage atteint des niveaux "français" jamais connus aux Etats-Unis -, on comprend un peu mieux l’assurance avec laquelle les républicains peuvent promouvoir leur programme de résorption de la dette et de baisse d’impôts concomitante. Jusqu’à présent, les "Indignés" américains ne font pas le poids.

Sylvain CYPEL | Le Monde | Article paru dans l’édition du 03.08.11

Publié par la Rédaction le mardi 9 août 2011

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