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Publié le 6/03/2022
Une déléguée syndicale UGTG comparaît pour racisme antiblanc à Fort de France
Elle s’appelle Régine Delphin. Jeudi 13 décembre, cette jeune Guadeloupéenne comparaît devant le tribunal de Fort de France pour « provocation à la discrimination et à la haine raciale ». Son crime ?
Des propos tenus en créole, lors d’un meeting,en avril 2009, peu de temps après la grève générale en Guadeloupe et en Martinique contre la « profitation ».
Deléguée syndicale de la Sodimat, société de matériel d’équipement du groupe Vivies (1), grande famille héritière de colons européens, Régine Delphin comparaît pour la quatrième fois devant la justice parce qu’elle a dénoncé publiquement le système de domination des békés de Guadeloupe.
8000 euros d’amende, un mois de prison avec sursis
Le 25 mars 2010 (2), le tribunal de Pointe à Pitre la condamne à 8000 euros d’amende, un mois de prison avec sursis un mois de
prison avec sursis sur la base d’une traduction de ses propos en créole par un huissier, ni interprète, ni créolophone. Elle fera appel de cette condamnation. Le 14 septembre 2010, l’audience à la cour d’appel de Basse Terre commence mal : « Vous ne me faites pas peur », lance le président du tribunal à la salle, où des militants de l’UGTG sont venus la soutenir. A une question du président, Régine Delphin répond en créole. « Dans mon tribunal, on parle français », l’interrompt celui-ci. Il lui interdit
alors d’utiliser sa langue, reconnue pourtant par la Constitution française et la charte européenne des langues « régionales ». Remous dans la salle aussitôt évacuée par la gendarmerie. Et le procès ne se
tiendra pas.
Un traduction du créole qui ne sied pas au tribunal
Pourtant, par arrêt du 9 novembre 2010, la cour d’appel confirme le jugement prononcé en première instance. Régine Delphin se pourvoit alors en cassation. Le 3 janvier 2012, la cour de cassation annule les dispositions de l’arrêt de la cour d’appel Pointe à Pitre et renvoie à la cour d’appel de Fort de France. Le 20 septembre 2012, nouvelle audience à Fort de France. Un interprète est dépêché pour traduire les fameux propos en créole. Rien de méprisant, d’insultant, conclut l’interprète. L’affaire aurait pu s’arrêter là. C’était sans compter sur l’obstination du tribunal à s’opposer à un non lieu. Car une jeune syndicaliste noire qui s’affronte à un puisant beké, ce n’est pas d’ans l’ordre des choses admissibles. Le tribunal, insatisfait de la traduction, désigne un nouvel expert en créole guadeloupéen cette fois !, pour une nouvelle audience, ce 13 décembre toujours pour incitation à la haine raciale. Surréaliste ? Pas si sûr. Emblématique surtout du climat qui règne en Guadeloupe et en Martinique depuis la grève de 2009.
« Ne me touchez pas, sales nègres », : Sylvie Hayot n’est pas condamnée
« L’acharnement contre Régine Delphin, c’est la poursuite des représailles contre un mouvement qui a osé dénoncer l’ordre colonial qui règne aux Antilles, explique Elie Domota, secrétaire général de
l’UGTG et porte-parole du LKP. Au 17e siècle, on était pendus, aujourd’hui, les tribunaux nous condamnent, mais c’est le même état d’esprit. » Selon lui, pas moins de 80 syndicalistes ont été
poursuivis par la justice pour motifs divers : vol de matériel, entraves à la liberté du travail, entrave à la liberté de la circulation, refus de prélèvement ADN... Un record absolu et un constat : cette répression syndicale féroce a une couleur, car tous les syndicalistes poursuivis sont noirs.
Dans le même temps, une autre affaire judiciaire a retenu depuis 2011 toutes les attentions en Guadeloupe, l’affaire Sylvie Hayot., nièce de Bernard Hayot, patron béké le plus puissant des
Antilles, 151e fortune française (3).
Le 1er octobre 2011, secourue par des pompiers lors d’un accident de la route provoqué par son état d’ivresse, elles les accueille avec ces insultes : « Pa mannyé mwen, sal nèg ! » « Ne me touchez pas
sales nègres ! » Et de les menacer, arguant de son appartenance « à une famille qui a ses entrées à l’Elysée ». Elle ira jusqu’à gifler un des pompiers.
Le 17 novembre 2011, Sylvie Hayot comparaît devant le tribunal de Pointe à Pitre sur neuf chefs d’accusation (4), dont celui d’injures publiques à caractère racial.
La veille, Bernard Hayot recevait à l’Elysée, la distinction de commandant de la Légion d’honneur des mains de Nicolas Sarkozy. Aussi, personne dans la salle ne s’étonna, ce 17 novembre, du report
du procès. Le 22 décembre, nouvelle audience, nouveau report. Motifs ? « Trop de dossiers, pas d’assurance que les parties puissent disposer du temps nécessaire pour plaider ». Plus c’est gros, plus ça passe. Tout aura été tenté pour inciter les pompiers, parties civiles, à renoncer leur plainte. Seule leur détermination, le soutien de l’UGTG et d’une population très mobilisée, empêchera que cette affaire ne sombre dans les oubliettes. Le 24 avril 2012, le délit d’injures à caractère racial, n’est pas retenu à l’encontre de Sylvie Hayot (5), au motif d’un vice de procédure « imputable au parquet ». (6). Mais pour le procureur de la République de Pointe à Pitre, justice a été rendue. Il cessera les poursuites. Sylvie Hayot avait raison, on ne s’attaque pas impunément à une famille qui a ses entrées à l’Elysée.
« La classe sociale correspond à une couleur »
Ce deux poids, deux mesures, cette inversion de culpabilité entre les coupables et les victimes, n’étonne pas Maryse Condé, écrivaine guadeloupéenne, qui vit actuellement à New York : « Le pacte
colonial n’a jamais été remis en question au Antilles. L’abolition de l’esclavage ne s’est accompagnée d’aucune réhabilitation des 700000 Noirs déportés. Le racisme est institutionnalisé ici.
Les familles blanches héritières des colons esclavagistes tiennent tout, et l’Etat français est complice de cette caste. »
« Nous vivons dans un système d’apartheid, renchérit Elie Domota. Le préfet, le chef de police, de la gendarmerie, le quasi totalité des dirigeants des grandes entreprises, des cadres supérieurs sont
blancs. Les Noirs sont dans la salle des machines. Ou ils gèrent la misère à Pole Emploi. Chez nous, la classe sociale correspond à une couleur. »
C’est dire si le jugement de Régine Delphin est attendu en Guadeloupe. Mais il est instructif aussi de ce coté de l’Atlantique. Quelle évidente démonstration de l’objectif poursuivi par la très courue
accusation de racisme antiblanc : réduire au silence ceux qui dénoncent les discriminations de l’ordre racialisé dominant dont ils sont victimes. Elie Domota ne fait pas confiance à la justice « coloniale », mais il le sait : « Les békés et l’Etat français sont très ennuyés par ce procès. Ce n’est même pas sûr qu’il se tienne demain. » Le 13, Regine Delphin sera-t-elle fixée sur son sort ?
(1) Originaires de Martinique, les Viviès se sont implantés en Guadeloupe dans les années 30. Ils y ont bâti un groupe spécialisé dans le négoce des matériaux de construction, qui pèse 70 millions
d’euros de chiffre d’affaires (source l’Expansion).
(2) Le 25/03/2010, le Tribunal correctionnel de Pointe Pitre a relaxé Régine Delphin pour les faits de provocation au vol et de diffamation à l’encontre de la Société Sodimat et Frédéric Vivies. Par contre, elle a été déclarée coupable de diffamation publique à l’encontre de Béatrice Vivies, d’injures publiques à l’encontre de Béatrice Vivies et Frédéric Vivies, de provocation à la discrimination et à la haine raciale.
(3) Groupe Bernard Hayot (GBH) : parti de Martinique, Bernard Hayot a étendu son emprise sur les Dom, où il représente Carrefour, Renault, Mr Bricolage, Décathlon, Michelin, Danone… Il a réalisé en 2010 un chiffre d’affaires de 1,9 milliard d’euros, dont 38% à l’île de la Réunion. Famille Hayot, 155e fortune française estimée en 2012 à 275 millions d’euros. (source Challenges)
(4) Sylvie Hayot devait répondre de défaut de maîtrise, conduite sous l’empire d’un état alcoolique, rébellion contre les gendarmes, usage de cocaïne, violences et outrages sur des gendarmes, violences
et outrages sur des pompiers, injures publiques à caractère racial.
(5) Sylvie Hayot a été condamnée à 8 mois de prison avec sursis mise à l’épreuve pendant 3 ans avec obligation de soins, à 10 mois de suspension de son permis de conduire et à deux amendes de 3 000
et 500 euros. Elle a été aussi condamnée à payer à chacun des quatre pompiers agressés 1 euro de dommages-intérêts.
(6) Le tribunal s’est déclaré non saisi du délit d’injures publiques à caractère racial et a renvoyé le parquet à mieux se pourvoir. La procédure à mettre en œuvre en matière d’injure publique à caractère
racial est régie par la loi du 31 juillet 1881. Or, lors du procès, le vice-procureur, a affirmé que le parquet a omis de faire référence à cette loi.« La parquet a fait une boulette », dira publiquement le
vice-procureur !
MEDIAPART
11 décembre 2012 Par Michelle Guerci